Au contraire de ses clients cette semaine au stade Uniprix, Yvon Gilbert n'a pas droit à l'erreur. C'est qu'il hérite de la mission la plus délicate durant le tournoi de la Coupe Rogers: corder les raquettes des Djokovic, Nadal, Murray et compagnie.

Avec raison, les meilleurs joueurs de tennis du monde sont aussi les clients les plus exigeants. «Une demi-livre de différence dans la tension, tous les joueurs du circuit la sentent tout de suite à la sensation de frappe et au son, dit Yvon Gilbert. Si tu fais les choses comme il faut, il n'y a pas de problème.»

Propriétaire de la boutique TennisZon, Yvon Gilbert est trop occupé pour corder lui-même cette semaine, mais emploie trois cordeurs à temps plein, soit le Québécois Antonin Haligan, le Britannique Jamie Tetwik et l'Allemand Mark Maslowski. Deux autres cordeurs d'une autre entreprise toucheront aussi aux raquettes des joueurs. À cinq, ils corderont environ 800 raquettes cette semaine au stade Uniprix. Pour un match, chaque joueur de simple fait généralement préparer six raquettes, qu'il change à la même fréquence que les balles (la première fois après sept jeux, puis aux neuf jeux suivants).

Pas question d'attendre à la dernière minute pour servir les clients. «Les cordes perdent entre 10 % et 26 % de tension durant les deux premières heures, dit Yvon Gilbert. C'est pourquoi les joueurs demandent que leurs raquettes soient prêtes au moins deux heures avant le match, question que la tension ait fini de s'ajuster à la baisse. Certains veulent avoir leurs raquettes le soir, la veille de leur match, d'autres seulement le matin. L'important, c'est qu'ils gardent la même heure chaque jour afin que les cordes soient stabilisées de la même façon chaque jour.»

Copolyester ou boyau?

Le dilemme existentiel des joueurs de tennis: cordes en boyau naturel (meilleure sensation de frappe) ou en copolyester (davantage d'effets et de contrôle)? «Beaucoup de joueurs utilisent les deux sortes de cordes, dit Yvon Gilbert. Federer et Djokovic prennent du boyau pour le feeling de balle sur les cordes montantes (les plus importantes) et le copolyester pour le contrôle sur les cordes de travers. Murray fait le contraire. Nadal, lui, n'utilise que du copolyester.» Vous ne vous y retrouvez plus? Attendez de savoir que certains joueurs changent leurs types de cordes selon la surface de jeu. La tension des cordes, elle, varie de tournoi en tournoi selon la surface de jeu, le type de balles, l'altitude, la chaleur et l'humidité.

Yvon Gilbert est le cordeur officiel du tournoi montréalais pour une 32e année. S'il est trop occupé avec sa boutique de tennis pour corder durant le tournoi de la Coupe Rogers, il est encore d'office pour les matchs de Coupe Davis du Canada. Mais avant d'être cordeur, c'est un passionné de tennis. Classé jadis parmi le top 5 junior au Québec, il s'est procuré sa première machine à corder à 15 ans. «Les cordages coûtaient trop cher à mon père, alors je me suis mis à corder», dit-il. À l'université, il s'est ouvert une boutique l'été durant le congé scolaire. Quand les Internationaux du Canada ont été présentés pour la première fois à Montréal en 1980, il a proposé ses services au directeur du tournoi, Pierre Lamarche, son ancien entraîneur. «Quand les hommes sont venus pour la première fois en 1981, j'avais mal évalué la charge de travail et j'ai décidé de faire le tournoi seul, raconte-t-il. Je n'ai pas dormi de la semaine. Je cordais jour et nuit. J'avais l'air d'une loque humaine à la fin du tournoi, mais j'ai réussi à corder toutes leurs raquettes...»