Je n'ai pas souvent fait l'école buissonnière dans mon ancien boulot de patron. Une fois, cependant, si. C'était un lundi ensoleillé du mois d'août, en 2006. La veille, il était tombé des cordes et la finale des Internationaux de tennis du Canada avait été repoussée de 24 heures. Il s'agissait sans doute de ma dernière chance de voir en action Martina Hingis, dont l'improbable retour se heurterait bientôt à un mur.

En raison de son attitude de princesse, beaucoup d'amateurs n'aimaient pas Hingis. Ce n'était pas mon cas. J'appréciais ses coups précis et audacieux, cette façon unique dont elle tissait sa toile d'araignée, où elle emprisonnait des joueuses beaucoup plus puissantes qu'elle. En me rendant au stade du parc Jarry ce jour-là, je connaissais à peine le nom de son adversaire, une magnifique Serbe de 18 ans.

Une heure plus tard, le nom d'Ana Ivanovic était sur toutes les lèvres. Elle a expédié Hingis en deux courtes manches et remporté son premier titre important chez les pros. En coiffant Roland-Garos en 2008, elle a confirmé son talent. Sa carrière s'annonçait extraordinaire. Ivanovic a plutôt amorcé une invraisemblable descente aux enfers qui lui a fait quitter le top 50 des meilleures joueuses.

«Ana est devenue numéro un mondiale très rapidement, rappelle Sylvain Bruneau. Comme elle est très jolie, elle a reçu plusieurs propositions commerciales. Les séances de photographie se sont multipliées. Des intérêts autres que le tennis ont occupé son esprit. Elle n'a pas su gérer cette nouvelle vie tout en préservant la qualité de ses performances sur le terrain. Elle est devenue angoissée, a perdu de nombreux matchs qu'elle aurait dû gagner et a été emportée dans une spirale qui lui a fait perdre ses moyens.»

Au Canada, peu de gens connaissent le tennis féminin aussi bien que Bruneau, entraîneur des joueuses canadiennes. Il était en Australie, préparant ses troupes en vue du premier tournoi majeur de la saison, lorsque je l'ai joint au téléphone. «Ana a une bonne tête sur les épaules, ajoute-t-il. Elle pourrait retrouver sa place dans le top 10.»

Le rendement d'Ivanovic constitue une des intrigues du calendrier 2011. Ses succès de l'automne dernier lui ont permis d'atteindre le 20e rang mondial et de rebâtir sa confiance. Elle a perdu cinq kilos et semble en meilleure forme physique et psychologique. Cette déclaration, publiée sur le site des Internationaux d'Australie, fournit une indication de son état d'esprit: «Je veux juste apprécier ma vie de joueuse, explique-t-elle. J'ai parlé à des gens dont la carrière est aujourd'hui terminée et plusieurs m'ont dit combien ils regrettaient que le stress les ait empêchés d'en profiter pleinement.»

Une prédiction: si Ivanovic évite les blessures, elle atteindra la finale d'un tournoi du Grand Chelem cette année. D'ici là, savourons les Internationaux d'Australie. Au moment où une vague de froid s'abat sur le Québec, rien de mieux que de regarder les matchs disputés dans l'écrasante chaleur de Melbourne pour rêver un peu.