Le plan de match était très simple. Mikaël Kingbsury l’a résumé avec un grand sourire à son entraîneur la veille de la course : « Je veux me faire plus de fun que tout le monde… »

C’est l’avantage d’avoir déjà tout gagné dans son sport. La suite n’est que boni. À 28 ans, Kingsbury l’a bien compris.

« Je sais que je suis au mieux quand j’ai plus de fun. Des fois, le stress ou [le fait de] se mettre trop de pression, ça nous renferme, les athlètes. Je ne pense pas que c’est la meilleure manière d’approcher les grands évènements. »

Il était passé 19 h 30 à Almaty et Kingsbury s’excusait d’être encore dans ses sous-vêtements de compétition. Trois heures plus tôt, sur le nouveau parcours de la station Shymbulak, il avait cueilli un nouveau titre mondial, son cinquième et le troisième en simple. Ça a presque eu l’air facile, a entamé un journaliste en visioconférence.

« Ça ne l’était pas nécessairement, a précisé le médaillé d’or. Les conditions n’étaient pas évidentes. On a déjà couru ici, le départ est au même endroit, mais ils ont donné un nouvel angle à la piste. Non, ce n’était pas évident. Mais je suis content que ça ait paru facile ! »

Même en l’absence de spectateurs, Kingsbury a senti la tension grimper chez ses concurrents à l’approche de ces Championnats du monde de ski acrobatique, d’abord prévus sur le site olympique en Chine, mais reprogrammés au Kazakhstan pour cause de pandémie.

Avec quatre médailles d’or à son actif, dont le doublé en simple et en duel aux derniers Mondiaux de Deer Valley en 2019, l’athlète de Deux-Montagnes n’avait rien à perdre. Contrairement à la boxe, comme il l’a lui-même souligné, il n’a « pas de ceinture à défendre ».

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @FISFREESTYLE

Mikaël Kingsbury (au centre) célèbre sa victoire sur le podium.

« À part le Japonais [Ikuma Horishma], personne n’a de titre mondial ou de globe de cristal. J’en ai gagné plusieurs dans ma carrière. Je n’ai plus cette pression de me dire : c’est mon moment, c’est peut-être ma dernière chance. »

Dans les circonstances, autant avoir du plaisir, même si cette piste perchée en altitude (départ à 2570 mètres, le plus haut sur le circuit) offrait des conditions inégales. Horishima et l’Australien Matt Graham, deux des principaux prétendants, s’y sont butés dès les qualifications. Ils ont terminé respectivement 19e et 20e à l’issue de la deuxième vague, ratant de justesse le coche pour la finale 1.

Le rythme des bosses était bizarre. Il y avait beaucoup de pièges dans la piste. Il ne fallait pas que tu essaies de les éviter parce qu’ils allaient te mordre. Tu devais respecter la piste et avoir l’air le plus relax possible.

Mikaël Kingsbury

Deuxième après la première qualification, derrière le Français Benjamin Cavet, le Canadien a fait monter la sauce pour la finale 1, s’installant en tête en prévision de la course ultime, réservée aux six meilleurs.

Pour l’occasion, il était heureux de pouvoir « slanger» en français avec son compatriote Laurent Dumais, qui a poussé un cri rageur après son excellente descente lui ayant donné le dernier billet pour la finale 2.

De retour d’une blessure à une hanche qui lui a valu de rater la Coupe du monde de Deer Valley, au début de février, le skieur de Québec a accroché une carre intérieure à l’approche du deuxième saut, ce qui l’a exclu des débats pour le podium.

« Il n’y avait absolument rien à faire, j’ai été propulsé en dehors de la piste », a relaté Dumais, néanmoins très satisfait de cette sixième place, un sommet personnel à ses troisièmes Mondiaux. « Ça se range quand même haut dans la liste des accomplissements dont je suis fier. »

En bas de parcours, Dumais a été un témoin privilégié des prestations de Cavet et du Kazakh Pavel Kolmakov, invité-surprise de la finale 2. Le Français (82,43 points) a devancé de justesse le favori local (82,23) pour prendre la tête. « Je me suis dit que Mik aurait à sortir une grosse descente [pour l’emporter]. »

Le cœur léger…

Au sommet, l’entraîneur Michel Hamelin a demandé à son protégé ce qu’il souhaitait faire dans les circonstances. Préférait-il être prudent sur le dernier saut, comme dans la ronde précédente, ou y aller à fond avec son 1080 ?

« Il avait déjà gagné la finale 1 avec une descente un peu plus prudente, a expliqué Hamelin. Il était à l’aise avec les deux corks. Je lui ai demandé avec lequel il aurait le plus de fun. Il m’a dit : le 1080, c’est sûr ! La prise de décision s’est donc appuyée sur le fait d’avoir plus de fun que les autres. J’en ris encore ! »

Kingsbury s’est donc lancé le cœur léger, signant la descente la plus rapide et la plus fluide tout en exécutant les sauts les plus difficiles. Son score : 87,36 points, presque cinq de mieux que le médaillé d’argent Cavet, un gouffre à ce niveau. Kolmakov a complété le podium, lui qui n’en compte qu’un seul en Coupe du monde.

Ce cinquième titre de Kingsbury survient trois mois après une fracture de deux vertèbres thoraciques qui lui a fait rater les trois premières compétitions de la saison. Pratiquement exclu de la course au globe de cristal, qu’il convoitait pour la dixième fois de suite, il se console à l’idée de ravir « le titre que tout le monde voulait » cet hiver.

Malgré un peu de fatigue après une longue journée, il promet de « vider la tank jusqu’au dernier duel » de l’épreuve en parallèle de mardi. Pourquoi ne pas doubler le plaisir ?

Les sœurs Dufour-Lapointe écartées de la finale

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Perrine Laffont

Si Mikaël Kingsbury ne s’imposait pas de pression pour les Mondiaux d’Almaty, Perrine Laffont en ressentait des tonnes. La championne olympique française visait un premier titre en simple après avoir raté son coup il y a deux ans à Deer Valley. La skieuse de 22 ans a donc éclaté en sanglots après avoir devancé la Kazakhe Yuliya Galysheva et la Russe Anastasiia Smirnova, respectivement médaillée d’argent et de bronze.

Meilleures Canadiennes, les sœurs Justine (12e) et Chloé (16e) Dufour-Lapointe n’ont pas réussi à atteindre le sextuor de la finale 2. « C’est sûr qu’il y a une déception pour [Justine] », a confié l’entraîneur Hamelin, qui venait de faire le bilan avec la double médaillée olympique et championne mondiale en 2015. « On s’est dit qu’on n’avait peut-être pas assez poussé la vitesse. Normalement, Justine est une des plus rapides dans les compétitions. On va travailler là-dessus dans les prochains jours. Le plan, c’est de construire pour les Jeux olympiques l’an prochain. »

Quant à Chloé, le coach a salué sa « bataille incroyable » pour développer le saut cork 720, qu’elle a exécuté sur le tremplin du haut à chacune de ses trois descentes lundi. « Elle a fait quelques petites erreurs dans sa descente qui font que ce n’était pas assez poli pour monter dans le top 6. »