(Saint-Pierre) Le décor est agricole. Il y a des champs, quelques pommiers, une vieille grange et une vue plongeante sur le fleuve. C’est là qu’elle apparaît, insolite : une piste de glace à l’allure d’épreuve du Red Bull Crashed Ice.

Nous sommes dans l’île d’Orléans. C’est ici, à Saint-Pierre, que des patineurs de descente extrême de calibre mondial viennent de terminer un projet un peu fou. Cette bande tricotée serré ne s’est pas laissé abattre par l’annulation de la saison de compétition.

Les amis se sont plutôt retroussé les manches. Ils viennent d’inaugurer une superbe piste d’entraînement de 200 mètres, grâce à l’aide d’un bon Samaritain, qui leur a prêté gracieusement son terrain à Saint-Pierre.

On n’a pas eu de saison cette année. Alors l’idée est venue sur un coup de tête.

Gabriel Renaud, 33e sur le circuit mondial

Le projet d’aménager une piste a d’abord germé avec son beau-frère, Luca Dallago, troisième au monde. Mais Gabriel Renaud ne pouvait bien sûr pas bâtir une piste de cette ampleur chez lui, dans le quartier Limoilou. Le terrain de ses parents dans l’île d’Orléans était trop petit.

Le 10 février, il a donc publié un message sur un groupe Facebook de l’île d’Orléans : patineurs cherchent terrain. Autant dire que c’était comme lancer une bouteille à la mer. Mais François Boily, résidant de Saint-Pierre, a levé la main.

L’homme leur prêtait sa terre, qui surplombe le Saint-Laurent. A-t-il un quelconque lien avec le sport ? « Non, répond Gabriel Renaud. C’est un tripeux ! »

Cinq jours de travail

L’aménagement d’une piste de cette longueur, avec des bosses pour sauter comme en compétition, n’est pas chose facile.

Mais à Québec, habituée d’accueillir le Red Bull Crashed Ice, la petite communauté du patinage de descente extrême est bien organisée. Steven Cox, 13e au monde, est patineur, mais il a aussi longtemps travaillé à l’aménagement des parcours, notamment chez Gestev. Sa copine et lui sont devenus les « contremaîtres » de ce projet inusité.

« On sait comment travailler la glace. On sait comment dealer avec les pompes, les boyaux si ça gèle… On peut sauver une situation misérable, raconte-t-il. Ça prend quand même des connaissances. Ce n’est pas une petite patinoire sur le plat dans la cour. »

Le chantier s’est amorcé le 17 février. Il a d’abord fallu amasser la neige à la pelle pour former les bosses. Ç’a pris deux jours. Puis, il a fallu arroser. La longue piste sinueuse suit la pente naturelle vers le fleuve.

PHOTO GABRIEL BÉLAND, LA PRESSE

Luca Dallago, Steve Rioux, Gabriel Renaud et Steven Cox évoluent tous sur le circuit international en patinage de descente extrême.

Le couvre-feu a été un enjeu. C’est préférable d’arroser une glace comme ça la nuit, parce qu’il fait plus froid. Là, il fallait le faire le plus tôt possible. On partait à 5 h du matin pour se rendre ici.

Steven Cox

Le 22 février, ils patinaient enfin. Le parcours compte une dizaine de bosses. Il leur permet de revivre à petites doses les émotions fortes de la compétition. Il leur permet peut-être surtout d’avoir un projet commun, au grand air, tout en respectant les règles de distanciation physique, précise Gabriel Renaud.

« Habituellement, en hiver, on est sur le circuit ensemble, on voyage ensemble, on passe beaucoup de temps ensemble. Des liens forts se tissent. J’ai des amis suisses, finlandais, américains… », dit-il.

Luca Dallago a par exemple rencontré la sœur de Gabriel Renaud en marge du Red Bull Crashed Ice de 2015, illustre-t-il. Les deux se sont mariés. Dallago, originaire de l’Autriche, vit maintenant à Québec.

À défaut d’avoir eu une saison, cette petite bande de patineurs a maintenant sa piste d’entraînement. La vue sur le fleuve est sublime, et on peut y contempler des levers et des couchers de soleil pas piqués des vers.

Et la saison 2022 ? Luca Dallago y rêve, mais ne se montre pas très enthousiaste. « Je m’ennuie des boys », lâche-t-il simplement.