Une figure connue dans un manteau azur avait pris place au banc des entraîneurs aux Championnats d’Europe de patinage de vitesse sur courte piste en Pologne, le mois dernier.

Trois mois après son départ de Patinage de vitesse Canada (PVC), Frédéric Blackburn dirige maintenant l’équipe italienne, qu’il mènera au moins jusqu’aux Jeux olympiques de Pékin, dans un an.

« Je me suis terriblement ennuyé de voir des courses de patinage de vitesse sur courte piste, a confié l’homme de 48 ans, de l’Italie, la semaine dernière. J’aime le courte piste. Je ne suis pas coach uniquement parce que j’aime coacher. J’aime voir des courses aussi. »

En plus de la camaraderie avec ses collègues, il avait hâte de se retrouver sur la glace, de concevoir des plans d’entraînement et de prévoir des compétitions. « C’est un soulagement. »

Au moment de l’entrevue, sa première depuis la fin controversée de son mandat d’entraîneur-chef de l’équipe féminine canadienne, Blackburn rentrait de l’aréna de Bormio, où patine son nouveau groupe d’une vingtaine d’athlètes. Il portait le masque, même s’il marchait à l’extérieur.

Dans un pays très éprouvé par la COVID-19, la Lombardie est encore la région la plus touchée. La deuxième vague a été particulièrement virulente en novembre, avec plus de 30 000 infections quotidiennes pour une population de 10 millions.

« Les cas sont surtout concentrés à Milan, qui est à trois heures de route. Ils ont commencé à rouvrir un peu les restaurants. Mon gros problème est que ma blonde ne peut pas venir me rejoindre à cause de la situation. Je ne sais pas non plus quand je vais pouvoir revenir [au Canada]. »

Ironiquement, Blackburn a décroché ce nouvel emploi en raison des conséquences de la pandémie.

Son prédécesseur, le Français Ludovic Mathieu, a été rappelé dans son pays par le ministère des Sports, dont il est fonctionnaire, à titre de professeur de sport. Avant de quitter son poste, il a recommandé son ami québécois à la Fédération italienne des sports de glace.

Le Canadien Kenan Gouadec, ancien adjoint d’Éric Bédard qui a pris les commandes de l’équipe italienne jusqu’aux Jeux olympiques de 2018, est directeur technique. Il a également donné un avis favorable depuis l’Australie, où il travaille maintenant.

Blackburn, qui dirigera tant les femmes que les hommes, a été étonné de pouvoir se replacer aussi rapidement.

« J’ai été surpris aussi des avantages qu’on a par rapport au Canada. Je savais aussi que j’allais coacher les filles et les gars. C’est toujours quelque chose qui m’a manqué. »

J’adore coacher les filles, mais l’approche est différente avec les gars.

Frédéric Blackburn

Son principal objectif est d’instaurer « une structure » qu’il juge déficiente en Italie. Il a déjà proposé des plans d’entraînement individualisés à ses patineurs, ce qu’ils ne connaissaient pas jusque-là.

Blackburn cite l’exemple de Martina Valcepina, qui habite au-dessus de chez lui dans le village de Cepina, à l’ombre de la Cime Piazzi, qui pointe à 3440 mètres. « Elle a des jumelles, ça crie pas mal ! », a-t-il dit en riant. Il a compris que la double médaillée olympique au relais ne bénéficiait d’aucun aménagement par rapport à son rôle de mère.

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Martina Valcepina

« Elle ne faisait pas tout aux entraînements parce qu’elle arrivait toujours très fatiguée. Je me suis assis avec elle et je l’ai intégrée dans le processus. Je lui ai demandé à quelle heure c’était le mieux pour elle de patiner par rapport à sa récupération. On a déterminé un bon plan personnalisé. »

La majorité des patineurs baragouinent l’anglais, mais le Saguenéen d’origine a appris des rudiments d’italien grâce à des applications. « Avant de venir, j’ai mis sur papier tous les aspects techniques en italien. Je pense que les athlètes ont vraiment apprécié ce geste. Mon adjoint Assen [Pandov], un Bulgare, parle cinq langues. Ça m’aide et c’est le fun quand j’ai besoin de parler aux Russes ! »

Il compte également pour autre adjoint l’ancien patineur Nicola Rodigari, qui s’occupe davantage des juniors.

« Ça fait une grande différence avec mes dernières années à Montréal. À la fin, j’étais rendu tout seul sur la glace. Ça faisait un bon bout que je n’avais plus d’assistant. Ça arrivait que des entraîneurs viennent [m’aider], mais ce n’était pas automatique. Mentalement, la dernière année de coaching a été assez difficile parce que j’étais pratiquement tout seul. Si j’étais malade, c’était compliqué. »

« Très bon potentiel »

Blackburn dit hériter d’un groupe avec « un très bon potentiel ». Aux Championnats d’Europe, le jeune Pietro Sighel, 21 ans, a gagné l’argent au 500 m, au classement cumulatif et au relais. Le relais féminin a cueilli le bronze à la suite de la disqualification de la Russie.

Cynthia Mascitto, une Lavalloise d’origine, faisait partie du quatuor. Elle a conclu les épreuves individuelles au huitième rang, un sommet pour les Azzuri. « Je vois qu’il y a une grosse différence quand on fait des exercices techniques. Elle les connaît un peu plus. Au Québec, elle patinait avec Marc [Gagnon]. C’est un apprentissage un peu plus facile pour elle. »

Aux Mondiaux de Dordtrecht (du 5 au 7 mars), l’entraîneur québécois vise un résultat individuel parmi les huit premiers chez les femmes et les hommes. La participation ou non d’Arianna Fontana, absente en Pologne, sera un facteur déterminant dans l’atteinte de cet objectif.

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Arianna
Fontana

Insatisfaite de l’encadrement offert par sa fédération, la septuple médaillée olympique s’entraînait en Hongrie aux dernières nouvelles. Blackburn espère bien rapatrier la championne olympique du 500 m pour la dernière ligne droite avant Pékin. « J’avais quand même la meilleure athlète au monde au 500 m ces deux dernières années en Kim Boutin », a-t-il souligné.

Aux Pays-Bas, il renouera d’ailleurs avec l’équipe qu’il a menée à deux Jeux olympiques. « C’est sûr que ça va être spécial. Juste de les revoir. Ça fait longtemps que je ne les ai pas vues. J’avais quand même une très bonne relation avec tout le monde. »

Ayant un contrat jusqu’en juin 2022, Blackburn ne cache pas son intérêt pour la poursuite de son aventure italienne si les choses se passent bien et que le contexte s’y prête sur le plan personnel (il veut fonder une famille). Milan et Cortina accueilleront les Jeux olympiques de 2026, une perspective emballante.

Son ex-collègue Sébastien Cros, qui est maintenant entraîneur-chef de toute l’équipe canadienne de courte piste, l’a vécu à Vancouver en 2010 et à Sotchi en 2014.

« Il m’a toujours dit que c’était quand même de la pression de coacher pour le pays hôte, mais que c’est agréable parce qu’il y a beaucoup d’argent et pas de limites. »

Blackburn verrait bien l’équipe s’établir à Milan pour profiter des installations olympiques et d’un milieu de vie mieux adapté à de jeunes athlètes. En attendant, il savoure son retour sur de longues lames.

Une procédure judiciaire en cours

Avant d’accepter l’entrevue, Blackburn avait déjà prévenu qu’il refuserait de commenter les circonstances qui l’ont amené à quitter ses fonctions d’entraîneur-chef de l’équipe féminine canadienne, qu’il occupait depuis 2012.

Depuis avril, il était en congé payé en raison d’une enquête sur sa conduite lancée par Patinage de vitesse Canada (PVC) à la suite d’une plainte d’une athlète. À l’issue du processus, six mois plus tard, l’association de 10 ans entre Blackburn et la fédération s’est terminée. PVC dit lui avoir offert d’occuper de nouvelles fonctions à l’extérieur du cadre d’entraînement quotidien.

Pour seule réponse, Blackburn a stipulé par écrit « que le rapport de cette enquête indépendante conclut qu’il n’y a pas eu de harcèlement psychologique, selon ce que m’a communiqué Susan Auch [la directrice générale] de Patinage de vitesse Canada ».

La fédération a répliqué à Radio-Canada, qui a dévoilé l’histoire en octobre, que l’enquête « a démontré qu’il y avait eu plusieurs incidents qui sont contraires à la politique sur le harcèlement et au code de conduite des entraîneurs ».

Blackburn a indiqué qu’il réagirait après le début d’un « processus judiciaire » qui doit s’enclencher sous peu.