Presque tous les grands champions ont leur histoire de retour. Mikaël Kingsbury a maintenant la sienne. Et il n’a pas fait durer le suspense.

À sa première compétition depuis sa fracture à deux vertèbres, le 29 novembre, le skieur acrobatique a déjà renoué avec la victoire.

Kingsbury a remporté l’épreuve de bosses de la Coupe du monde de Deer Valley, en Utah, jeudi après-midi. Avec 88,10 points, il a nettement devancé le Français Benjamin Cavet (86,25) et l’Australien Matt Graham (84,44).

« C’est le meilleur feeling au monde ! », a réagi Kingsbury, masque noir au visage, quelques minutes après son triomphe. « Il y a seulement deux mois, j’ai eu deux fractures au dos. Je me souviens d’avoir regardé ces gars-là sur mon divan. Je ne pouvais très bien marcher ni très bien dormir. J’ai travaillé fort avec mes entraîneurs à la maison et j’ai fait de la bonne rééducation. Je n’avais pas d’attentes en revenant ici. Je voulais seulement skier aussi bien que je le pouvais. »

Deuxième à l’issue de la première finale, le champion olympique a fait les choses en grand dans la deuxième, réservant sa meilleure descente de la journée à son dernier essai.

Il a été le plus rapide sur le parcours le plus long et le plus exigeant sur le circuit, à près de 3000 mètres d’altitude. Il a été le plus gracieux dans les airs grâce à un premier saut périlleux arrière avec deux vrilles et son saut désaxé 1080, qu’il peut exécuter les yeux fermés dans toutes les conditions. Surtout, il a été le plus fluide entre les bosses, son pain et son beurre.

Après sa prestation sur le parcours « Champion », il a fait tournoyer son ski avant de l’attraper d’une main, sa signature empruntée au grand descendeur suisse Didier Cuche.

« J’ai tellement pensé à cette course-là ces derniers mois, c’est encore mieux que j’aurais pu l’imaginer », a-t-il exprimé en téléconférence plus tard en soirée.

Devant une telle démonstration, Ikuma Horishima, qui attendait son tour en haut, a senti le besoin de sortir le grand jeu.

PHOTO RICK BOWMER, AP

Ikuma Horishima

Le Japonais pouvait espérer chauffer son rival canadien quand il s’est élancé pour son deuxième saut : un 1440 désaxé, que Kingsbury est l’un des rares à avoir exécuté en compétition. Il a partiellement raté son atterrissage, déposant sa main sur la neige pour reprendre l’équilibre.

Horishima, le seul homme qui avait battu le Québécois la saison dernière, a chèrement payé son erreur, les juges le reléguant au cinquième rang.

« Ça adonnait bien que je sois rentré deuxième en super finale, a souligné Kingsbury. Ça mettait de la pression à Ikuma. Il n’a jamais vraiment bien réagi sous la pression. C’est un excellent skieur et c’est sûr que s’il atterrit ce saut-là, ça aurait été serré. Dans des moments comme ça, quand tu es un gagnant, il faut que tu prennes ces risques-là. »

Kingsbury a ainsi scellé sa 64e victoire en 110 départs sur le circuit. À Deer Valley, le parcours de référence en ski de bosses, il compte maintenant 14 succès, dont ses deux titres aux derniers Championnats du monde de 2019.

« Ça envoie un message à mes compétiteurs : même si je ne suis pas à 100 %, je suis capable de gagner sur la piste la plus difficile au monde. »

La qualité des cinq autres finalistes a donné une saveur particulière à cette victoire : « Les gars sont vraiment solides. Ce n’est pas évident d’aller chercher des victoires comme aujourd’hui. Je me sentais un peu comme aux Jeux olympiques. »

L’athlète de 28 ans s’était brisé les vertèbres thoraciques T4 et T5 sur une chute à l’entraînement avant la première épreuve de la saison à Ruka, en Finlande. Après avoir raté deux autres étapes en Suède, il avait remis les skis au début de janvier à Val Saint-Côme. Son départ précédent remontait à sa victoire à Krasnoyarks (Russie), le 7 mars, juste avant le début de la pandémie.

Au début de sa convalescence, Kingsbury s’était écrit une petite liste d’objectifs à atteindre, une étape à la fois. Le dernier point était : « Gagner une Coupe du monde ».

« J’ai appris beaucoup de choses sur ce chemin-là, a dit celui qui s’installe d’emblée au neuvième rang du classement. J’ai toujours cru en moi. Même en n’étant pas nécessairement à 100 %, en ayant moins d’entraînement, j’ai continué à croire en mes chances. J’aime toujours mieux gager sur moi. Aujourd’hui, j’ai bien répondu à ça. »

Son dos, auquel il n’a jamais pensé durant la compétition, se portait bien deux heures après la fin de l’épreuve.

Autres résultats

Le Britanno-Colombien Brenden Kelly (13e) est le seul autre Canadien qui a atteint la première finale réservée aux 16 premiers. Les Québécois Elliot Vaillancourt (31e), Gabriel Dufresne (32e) et Kerrian Chunlaud (37e) se sont arrêtés en qualifications.

Du côté féminin, la Française Perrine Laffont a poursuivi sa domination en signant un quatrième succès de suite cette saison. Avec 83,23 points, la championne olympique a devancé les Japonaises Anri Kawamura (80,94) et Kisara Sumiyohsi (79,55).

Aucune Canadienne ne s’est classée dans la deuxième finale, où seules les six premières étaient admises. À sa première compétition en deux ans après une sérieuse blessure à un genou, Sofiane Gagnon, de Whistler, a été la meilleure de la première finale avec une 10e place.

La double médaillée olympique Justine-Dufour, sixième des qualifications, a abouti au 11e rang. Berkley Brown (12e), Maia Schwinghammer (13e) et Valérie Gilbert (15e) ont suivi. Victime d’une chute à l’atterrissage d’un saut, Chloé Dufour-Lapointe n’a pas terminé sa descente en qualifications.

Qualifié de « Tom Brady du ski » par l’annonceur, Kingsbury n’aura pas à patienter longtemps pour continuer d’écrire sa légende dans un évènement qu’il qualifie de « Super Bowl » de son sport : une épreuve en parallèle est au programme dès vendredi au même endroit. Et il s’attend à être meilleur.