En 2016, à Waterloo, Yannik Morin se lance dans la construction… d’une piste de poussée pour le bobsleigh. Une idée en apparence farfelue, mais toujours bien vivante cinq ans plus tard. Genèse du projet.

(Waterloo) Début 1998, à Las Vegas, Yannik Morin remporte le plus important titre de sa fédération en culturisme naturel. Dans la jeune vingtaine, après huit ans dans cette discipline, il avait « fait le tour ».

« À ce moment, je ne sais pas trop où m’enligner, mais je sais que je veux continuer à allouer la majorité de mon temps à m’entraîner dans le but d’objectifs sportifs », raconte-t-il.

Cet été-là, il se rend pour le plaisir à Lake Placid, hôte des Jeux olympiques de 1932 et de 1980, au cours desquels s’est notamment produit le célèbre « Miracle on Ice ». Une destination qu’il ne connaît pas encore, mais dont il tombera amoureux.

« Ils offrent aux touristes des tours de bobsleigh sur roues. Je suis descendu et je suis tombé accro ! »

Il commence alors à s’entraîner au sprint. Forte de la médaille d’or de Pierre Lueders aux Jeux de Nagano en 1998, Bobsleigh Canada a beaucoup de fonds à sa disposition et procède à sa première vraie campagne nationale de recrutement « at large », explique Morin.

« Et c’est très important dans un sport de deuxième carrière comme le bob », ajoute-t-il.

Environ cinq mois après avoir pris la décision de poursuivre sa carrière d’athlète en bobsleigh, il est admis dans l’équipe nationale, basée à Calgary. Il la quittera après sa participation aux Jeux de Salt Lake City en 2002 (voir à la fin du texte l’encadré sur son parcours d’athlète).

Pousser un panier d’épicerie

Quand il regagne le Québec après ses hivers de compétition, Yannik Morin rencontre cependant un obstacle majeur. La province ne compte tout simplement aucune infrastructure lui permettant de s’entraîner adéquatement pour sa discipline.

Je devais pousser des voitures, des paniers d’épicerie. M’entraîner avec les moyens du bord. Il n’y avait même pas un gym d’entraînement athlétique où on pouvait, par exemple, faire des squats et franchir des haies ensuite. Ou faire un soulevé de terre, suivi d’une accélération. Ça n’existait pas.

Yannik Morin

Ainsi est née, en 2003, La Bat Cave, son « laboratoire sportif » montréalais, qui offrait des installations d’entraînement aux athlètes.

PHOTO PIERRE MCCANN, ARCHIVES LA PRESSE

En 2005, Yannik Morin dans sa Bat Cave, qu’il vendra neuf ans plus tard

« Mais il y avait toujours la problématique de ne pas pouvoir pousser de bobsleigh », souligne Morin.

Calgary a son Ice House, une espèce d’aréna avec piste de poussée intérieure glacée pour l’entraînement estival.

Un outil hors pair, mais où l’on doit louer ses heures à fort prix et qui n’est accessible qu’à partir de juillet, car son ouverture nécessite une certaine demande.

« Donc, pas si pratique que ça, au final… », soulève l’athlète multidisciplinaire originaire de Roxton Falls.

Sans compter que le seul site d’entraînement était donc dans l’Ouest, alors que la masse critique de recrutement est au Québec et en Ontario.

« Il y avait vraiment un clash. Au niveau démographique, ça ne marchait pas », affirme Yannik Morin.

En 2014, il cofonde donc Bobsleigh Skeleton Québec – qu’il préside toujours – pour promouvoir ces sports. Mieux encore, afin de produire des athlètes pour les équipes nationales.

Étape suivante : la piste.

L’idée folle

Depuis 2010, Morin est propriétaire du gym La Taule, dans l’ancienne prison de Waterloo, à une vingtaine de minutes de voiture à l’est de Granby. Il déménagera cinq ans plus tard dans son bâtiment actuel.

En octobre 2015, il soumet à la Ville de Waterloo une idée un peu folle : la construction d’une piste de poussée extérieure pour l’entraînement estival de l’élite du bobsleigh et du skeleton dans l’est du pays…

Quelqu’un lui a-t-il déjà laissé entendre que son projet était pour le moins excentrique ?

« Peut-être que plusieurs l’ont pensé, mais pas tant que ça me l’ont dit ! », répond-il en riant.

L’administration municipale plonge et, le printemps suivant, le projet est sur les rails. Elle fournira les 250 voyages de terre. Une firme commandite en grande partie la dépense nécessaire pour le béton, mais ce sont des employés de la Ville qui s’occupent des travaux pour la structure permanente.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

La piste de poussée extérieure fait 130 mètres de long.

Morin investit pour sa part dans le matériel mobile : le bobsleigh, les rails, le caoutchouc sous ceux-ci. Tout ce qui s’enlève.

« J’ai fait faire les rails et je les ai installés moi-même », raconte-t-il.

Résultat : une piste de poussée de 130 m de longueur, à très faible coût et qui ne demande pratiquement aucun entretien.

L’est du pays a son site d’entraînement. Essentiellement utilisé hors saison, évidemment, puisque l’élite est réunie à Calgary pendant la période compétitive. Il peut servir l’hiver, mais à 40 cm de neige, on attend que ça fonde…

Des pistes de poussée extérieures du genre, il n’y en a qu’une dizaine dans le monde. Une seule au Canada.

C’est un outil exceptionnel pour le développement et le recrutement des athlètes. Pour voir s’ils sont capables de transférer à la poussée leurs qualités du gym et de la course. Et mesurer leur intérêt aussi. Parce qu’il faut aimer ça assez pour avoir le guts de descendre à 140 km/h sur une piste glacée…

Yannik Morin

La piste démarre dans une espèce de cylindre, tout près du trottoir, rue Lewis, ce qui suscite beaucoup de curiosité. Les voitures ralentissent, les passants s’arrêtent, posent parfois des questions.

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Située près de la rue, la piste suscite beaucoup de curiosité chez les gens qui passent à proximité.

Elle se trouve sur un terrain situé à quelque 500 m de La Taule, l’un des 13 centres identifiés par l’INS comme pôles d’entraînement des athlètes de haut niveau. Entre les deux, une piste d’athlétisme.

> LISEZ
un texte de La Voix de l’Est à propos de l’INS

L’été, Morin entraîne un groupe qui fluctue de trois à huit athlètes en bobsleigh et en skeleton. En plus de quelques Ontariens qui se déplacent sporadiquement. Même des Européens sautent parfois dans l’avion pour venir à Waterloo.

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Yannik Morin entraîne chaque été de trois à huit athlètes canadiens. Parfois, même des Européens traversent l’Atlantique pour venir s’entraîner à Waterloo.

« Tout ce qui nous manque, je pense, présentement, c’est deux ou trois bobeurs ou athlètes de skeleton qui atteignent les sommets de leur sport et fassent rêver un peu les plus jeunes. Et qu’ils réalisent que c’est ici qu’ils peuvent s’y entraîner et que ça ne coûte rien. »

Un profil particulier

Le bobsleigh est un sport méconnu. Marginal. Sans compter son côté un peu folklorique, amplifié par la légendaire formation jamaïcaine aux Jeux de Calgary, en 1988.

Donc, les non-initiés ne réalisent pas forcément les qualités requises et les sous-estiment même fréquemment. Soulignons au passage que le bobsleigh pèse autour de 170 kg. Le skeleton, environ 40 kg.

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La piste est adaptée autant pour le skeleton que pour le bobsleigh.

« Au début, notre idée, c’était d’essayer de faire connaître notre sport, mais on s’est peut-être un peu perdus là-dedans parce qu’on initiait beaucoup de gens alors que, dans les faits, on n’a pas de sliding récréatif ici, fait savoir Yannik Morin. Et le niveau est tellement relevé. C’est comme si on recrutait des joueurs de hockey, mais directement pour l’équipe nationale. »

En règle générale, les bobeurs pèsent 100 kg et plus et la combinaison d’aptitudes recherchées n’est pas courante.

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Un athlète à l’entraînement en bout de piste

« On a des athlètes au sein de Bobsleigh Canada qui pourraient faire la finale en sprint au 100 m et aussi très bien faire en dynamophilie et en haltérophilie au niveau canadien », illustre-t-il.

Et on n’a même pas abordé les exigences du pilotage. Ce sera pour une autre fois. Dans le cadre des Jeux olympiques de 2022, peut-être…

Un parcours d’athlète atypique

  • Yannik Morin a fait du culturisme naturel pendant huit ans.

    PHOTO FOURNIE PAR YANNIK MORIN

    Yannik Morin a fait du culturisme naturel pendant huit ans.

  • Il s’est tourné ensuite vers le bobsleigh et a participé aux Jeux de Salt Lake City en 2002.

    PHOTO FOURNIE PAR YANNIK MORIN

    Il s’est tourné ensuite vers le bobsleigh et a participé aux Jeux de Salt Lake City en 2002.

  • Puis il s’est lancé ensuite en cyclisme sur piste. Il a intégré l’équipe nationale en 2003 ; il a joué le rôle de démarreur pour l’équipe de sprint.

    PHOTO FOURNIE PAR YANNIK MORIN

    Puis il s’est lancé ensuite en cyclisme sur piste. Il a intégré l’équipe nationale en 2003 ; il a joué le rôle de démarreur pour l’équipe de sprint.

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Après huit ans en culturisme naturel, Yannik Morin est attiré par le bobsleigh. Accueilli par l’équipe nationale en 1998 après s’être entraîné au sprint, il fera tout le cycle olympique jusqu’aux Jeux de Salt Lake City en 2002, où il pilotera Canada2, terminant au 24échelon en bob à deux au terme de la troisième manche. Des années marquées par de la bisbille interne impliquant Pierre Lueders, alors pilote vedette de Bobsleigh Canada. Pour cette raison, Morin décide de passer à autre chose. Il fait alors la connaissance de Jim Fisher, cycliste sur piste. Une fois de plus, il se lance dans un sport auquel il n’a jamais touché. L’année suivante, en 2003, il intègre l’équipe nationale, où il jouera le rôle de démarreur pour l’équipe de sprint, qui se dispute à trois cyclistes, en trois tours. Le rôle de Morin : il roule devant pour le premier tour, puis il se retire. De 0 à 70 km/h sur 250 m ! Il prendra part à deux championnats du monde, des Jeux du Commonwealth et sera médaillé deux fois aux Jeux panaméricains. Il est depuis revenu au bobsleigh, comme entraîneur et préparateur physique. Il entraîne également des athlètes d’autres disciplines.