(Manchester) Au son de la cloche, Marie-Ève Dicaire a levé le poing droit, même si elle savait bien qu’elle avait perdu. Sa culotte et son maillot blancs étaient maculés de sang, la faute à son nez blessé depuis le huitième round.

Elle avait perdu, mais elle s’était battue. Elle avait perdu, mais elle n’avait jamais reculé face à une adversaire pugnace et très adroite techniquement.

Surtout, pardonnez le cliché, elle était allée au bout de son rêve, comme le titre de la chanson de Céline Dion qui l’avait conduite jusqu’au ring une quarantaine de minutes plus tôt (The Power of the Dream).

La « petite fille de Saint-Eustache », celle en qui peu de gens croyaient quand elle ambitionnait de devenir boxeuse professionnelle, s’était battue dans un combat d’unification de quatre ceintures de championne mondiale, en finale d’un gala en Angleterre, le berceau de la boxe.

« C’est sûr qu’il y a un élément de déception parce que je voulais vraiment unifier les ceintures », a dit d’emblée Dicaire après la défaite.

Et moi, j’ai toujours une chose en tête, c’est gagner. Mais dans la vie, parfois tu gagnes, parfois tu apprends.

Marie-Ève Dicaire

Le vestiaire était enveloppé d’un silence respectueux. Derrière, la douzaine de personnes de son entourage – copain, entraîneurs, promoteurs, préparateurs, amies – écoutaient la femme de 36 ans qui venait de s’incliner sans appel face à la Britannique Natasha Jonas, samedi soir, devant quelque 9000 spectateurs à l’AO Arena de Manchester.

Un peu plus tôt, la boxeuse avait eu un court moment en privé au téléphone avec sa mère, demeurée au Québec. Sa fille unique s’était bien bagarrée d’un bout à l’autre des 10 rounds de deux minutes.

Même en occupant constamment le centre du ring, ce qui est contraire à ses habitudes, elle n’a jamais véritablement trouvé de solutions pour percer la défensive de Jonas (13-2-1, 8 K.-O.), une gauchère comme elle.

« Ce n’est pas facile d’encaisser la défaite », a admis Dicaire, qui ne s’inclinait que pour la deuxième fois en 20 affrontements. « Mais je vais lever mon chapeau à Jonas. Elle a été la meilleure boxeuse ce soir. Elle a été tough parce qu’à un moment donné, j’étais dans ses shorts. Je n’allais pas la lâcher, mais elle a réussi à continuer d’être là. Je lui souhaite la meilleure des chances pour la suite. »

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Natasha Jonas expose toutes ses ceintures après sa victoire.

Les trois juges – un Britannique, un Allemand et un Américain – ont noté le combat 100-90, 98-92 et 97-93. Jonas a donc conservé ses ceintures des super-mi-moyennes du WBC et de la WBO et conquis celle de l’IBF qui appartenait à Dicaire depuis près d’un an. La mère de famille de 38 ans recevra également la prestigieuse ceinture du magazine The Ring, puisque le duel opposait les mieux classées de la catégorie des 154 lb.

La Québécoise s’était préparée à contrer le crochet droit de sa rivale, mais c’est plutôt sa main arrière qui l’a pincée avec autorité à plusieurs reprises.

C’est une boxeuse d’expérience, elle a fait les ajustements. Je n’en ai peut-être pas fait assez. Mais on aura tout essayé.

Marie-Ève Dicaire

Dicaire a connu ses meilleurs moments au milieu de l’affrontement, en particulier au sixième round, alors qu’elle a réussi à toucher Jonas au visage avec une solide droite. « Laisse-la pas respirer ! », s’époumonait son entraîneur Stéphane Harnois depuis le coin.

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Marie-Ève Dicaire touche la cible avec puissance.

Au huitième, son nez s’est mis à saigner abondamment, mais la blessure remontait au premier round, a révélé son autre entraîneur Samuel Décarie-Drolet, qui agissait comme cutman.

Toujours au huitième, Dicaire a été surprise par un coup au corps qui l’a fait plier. Assis en bordure du ring, le promoteur Yvon Michel a craint que sa protégée ne devienne vulnérable.

« C’est la seule fois dans toute sa carrière que j’ai eu peur pour elle, a-t-il raconté. Je me suis dit : j’espère qu’ils vont prendre la bonne décision, savoir comment elle va être dans son coin. Elle est revenue et a gagné le neuvième round. »

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Marie-Ève Dicaire, le nez ensanglanté, durant un arrêt bien mérité entre deux rondes

Stéphane Harnois a retenu que sa boxeuse n’avait jamais lâché le morceau.

« Pour un entraîneur, on veut toujours le mieux pour son athlète, a-t-il admis, la voix éraillée à force d’avoir crié. Ce qui est arrivé est triste, mais ce ne l’est pas en même temps. J’ai rarement vu quelqu’un mordre comme ça dans son protecteur buccal et essayer jusqu’à la fin. Quand on voyait que les coups [de Jonas] étaient francs, on pensait qu’il y avait peut-être une possibilité qu’on se fasse arrêter. Finalement, Marie a continué à avancer et à essayer. Ça n’a juste pas fonctionné, c’est tout. »

Avec aplomb

Émue en parlant de son entourage, Dicaire a conservé son aplomb habituel devant les trois journalistes canadiens sur place. La dernière semaine a été la « meilleure de [sa] vie en amont d’un évènement sportif ».

Ce que je retiens le plus, c’est le plaisir que j’ai eu dans ce parcours. Comment j’ai grandi comme athlète, mais surtout comme humain. Au fil des années, j’ai appris que je pouvais faire confiance à des gens, que peu importe ce que je ferais, je ne serais jamais seule.

Marie-Ève Dicaire

Elle a remercié Yvon Michel pour toute la « machine » qu’il a érigée autour d’elle. Le promoteur et gérant était tout sourire, soulignant que le parcours vers ce combat avait été « une aventure extraordinaire ».

« Je retiens comment on est fiers de cette personne, mais surtout comment on aime cette personne, a insisté le patron du groupe GYM. Notre compagnie n’a pas fait une fortune avec Marie-Ève, mais elle nous a apporté tellement de bonheur et de joie à toutes les étapes. La négociation de combats ou la gestion de carrière, c’était toujours fait dans le respect, dans l’optique première d’avoir du fun. »

Michel prévoit rencontrer Dicaire la semaine prochaine pour envisager son avenir. Il lui proposera assurément de nouveaux affrontements, en se conformant évidemment à sa volonté. « Elle n’a pas boxé sur le ring comme quelqu’un qui avait le goût de s’en aller… »

La principale intéressée a sagement refusé de se projeter : « Si j’ai appris une chose au fil des années, c’est de ne jamais prendre des décisions quand on est rempli d’émotions. La pire chose que tu peux faire, c’est d’annoncer quoi que ce soit sur un coup de tête. La bonne nouvelle, c’est que j’ai des gens incroyables pour me conseiller, m’aider à me poser les bonnes questions.

Chose certaine, je ne suis pas inquiète. Peu importe la direction que je vais prendre, il y a encore de belles choses pour moi. J’ai 36 ans…

Marie-Ève Dicaire

Perdant sur le ring, peut-être, mais Dicaire donnait l’impression de parler comme une gagnante, même si elle ne pourra pas ouvrir les bouteilles de champagne à Manchester.

« Il y a des sportifs qui ont des carrières incroyables, mais sont malheureux dans la vie. Ça n’a jamais été le cas pour moi. Chaque moment est une aventure. Je l’ai fait parce que j’avais envie d’avoir du fun avec mes boys. C’est ce qu’on a fait ce soir… »