Le monde de la lutte professionnelle est en deuil cette semaine à la suite de la mort, lundi, de Scott Hall, qui s’est notamment fait connaître sous le nom de Razor Ramon dans les années 1990. La Presse revient sur les péripéties d’une vie glorieuse dans l’arène, mais troublée à l’extérieur.

Était-ce son cure-dents qu’il lançait à ses adversaires ? Son personnage inspiré de Scarface ? L’épique combat d’échelle qu’il a livré à Shawn Michaels ? Son fameux Razor’s Edge, sa prise de prédilection ultra-cool pour terminer ses combats ?

Quoi qu’il en soit, Scott Hall, avec son personnage de Razor Ramon, aura marqué une génération d’amateurs de lutte. La microbrasserie Ras l’bock compte la Razor parmi sa sélection. Et dans sa biographie, le regretté Derek Aucoin raconte que son frère, Raymond junior, était surnommé « Razor » en raison de vous-savez-qui.

« C’est assez incroyable, la vague d’amour qu’il a eue. Ça m’a un peu surpris, ça m’a fait réaliser qu’il a peut-être plus marqué une génération que ce que je pensais, admet Patric Laprade, historien de la lutte. Si Shawn Michaels meurt demain, je m’attends à ça. Michaels, Triple H, Kevin Nash, ce sont de plus gros noms. Mais on dirait que Razor a autant marqué les gens que les trois autres, même s’il n’a jamais été champion du monde. »

PHOTO TIRÉE DU COMPTE TWITTER @ENVIOUS_REBEL85

Scott Hall dans son personnage de Razor Ramon

En fait, il avait tout pour marquer les esprits. « C’était un personnage impressionnant, un gros bonhomme de 6 pi 4 po, 260 lb et en forme, ajoute l’ancien lutteur et descripteur Raymond Rougeau. Il avait un charisme et une présence. Quand je l’interviewais, il était toujours disponible, heureux d’être là. Il paraissait bien, il avait la gloire. Il avait tout pour être heureux. »

Il avait tout pour être heureux, mais pendant une longue partie de sa vie, il ne l’a pas été.

* * *

Scott Hall n’arrive pas de nulle part quand la WWF le présente sous le nom de Razor Ramon, en 1992. « Avec le câble, je le voyais aux émissions de l’AWA, mais c’était un gars de milieu de carte », se souvient Pierre-Carl Ouellet, ancien partenaire de Jacques Rougeau dans l’équipe des Quebecers.

Grand amateur de Scarface, Hall propose à Vince McMahon un personnage inspiré du film. Avant de l’envoyer dans l’arène, la WWF diffuse une série de scènes pour le présenter. Celle au restaurant est mémorable. « Tant qu’à y être, veux-tu que je lave la vaisselle ? », lance-t-il, outré, au pauvre serveur.

Regardez une vidéo (en anglais)

Il devient vite un favori de la foule. Son succès culmine à WrestleMania X, le 20 mars 1994, au Madison Square Garden, le temple de la lutte.

En demi-finale de la carte, il est opposé à l’acrobatique Shawn Michaels, dans un combat alors pratiquement inédit : un match d’échelle. En gros : la ceinture est suspendue en l’air, le but est de la décrocher, seule une échelle permet de s’y rendre. Et la lutte étant la lutte, l’échelle sert à pas mal tout sauf à grimper.

Regardez le combat

Ouellet luttait avec Jacques Rougeau à ce même spectacle. Il se souvient des préparatifs.

« Premièrement, ils ont pris le ring pendant les trois quarts de l’après-midi pour préparer leur combat ! se remémore Ouellet en riant. Shawn a amené le match à un autre niveau, mais ça en prend deux pour faire un show. Il faut lui donner le crédit qui lui revient, même si comme lutteur, Razor était moyen. Ce n’est pas lui qui est tombé du haut de l’échelle à la fin. Razor avait le bon gars avec qui voler le show ! »

« Ç’a été sa consécration à la WWF, souligne Laprade, également descripteur de la lutte à TVA Sports. C’est sûr que Shawn a mené le combat. Mais ça a aidé la trajectoire de Razor. »

* * *

À l’extérieur de l’arène, Scott Hall fonce vers le mur. Il se lie d’amitié avec quelques lutteurs qui forment un groupe surnommé en coulisses la Kliq. Des gars « pas commodes », explique Rougeau, qui en mènent large, dont les écarts de conduite ne sont presque jamais sanctionnés.

« Quand il est arrivé, il n’y avait aucun problème, il était straight. Il buvait, mais je n’ai jamais eu connaissance qu’il le faisait avant un show, assure Rougeau, aujourd’hui maire de Rawdon. Mais avec le temps, il se présentait à des shows sous l’influence, et ça s’est dégradé. »

« Sur le ring, ça allait, je lui faisais confiance, renchérit Ouellet. Mais dans les soirées, ça paraissait qu’il n’était pas heureux. Il avait une boule, il avait quelque chose. »

PHOTO FOURNIE PAR PIERRE-CARL OUELLET

Razor Ramon et Pierre-Carl Ouellet (Pierre, sur l’affiche) en finale lors d’une tournée de la WWF au Québec. La présence d’Abe « Knuckleball » Schwartz nous rappelle que la tournée a lieu pendant le conflit de travail de 1994 au baseball majeur.

Ce quelque chose, c’était notamment un meurtre commis en 1983, à la sortie d’un bar de danseuses. Les accusations ont été retirées par manque de preuves, mais dans un documentaire-choc d’ESPN sorti en 2011, il décrit carrément le meurtre.

Regardez une vidéo (en anglais)

Malgré ses problèmes de consommation, Ramon fait le saut à la WCW, grande rivale de la WWF. Lui et Diesel (Kevin Nash) y débarquent sous leurs vrais noms et sont dépeints comme les « Outsiders », venus semer le chaos dans la WCW. Peu après, Hulk Hogan se joint à eux et joue le rôle du « méchant » pour la première fois en plus de 10 ans. C’est le début du nWo, le New World Order, un des groupes les plus marquants de l’histoire de la lutte.

« C’est l’histoire qui a mené à la domination de la WCW dans les cotes d’écoute pendant près de deux ans. Il est devenu un visage important de la guerre des lundis soir », explique Laprade.

Ses problèmes de consommation deviennent toutefois de notoriété publique, au point que la WCW s’en sert dans le cadre d’un combat, où Hall agit comme s’il était en état d’ébriété.

Sa carrière périclite vite. Il retourne à la WWF en 2002, mais l’aventure prend fin au bout de trois mois, toujours en raison de ses problèmes de consommation. Problèmes exposés au grand jour lors d’un gala obscur à Boston, en 2011, où il n’est tout simplement pas en état de grimper dans l’arène, mais le fait quand même. C’est le point culminant du docu d’ESPN évoqué plus haut.

* * *

Ces dernières années, Scott Hall semblait toutefois avoir remis de l’ordre dans sa vie, avant d’être terrassé par trois crises cardiaques, résultat d’un caillot de sang qui s’est formé après une opération à une hanche.

Je pense qu’à la fin, il a trouvé une certaine sérénité. Mais il a lutté avec ses démons toute sa vie.

Raymond Rougeau

Hall était souvent vu, ces dernières années, dans des séances d’autographes et autres évènements regroupant d’anciens lutteurs. En compagnie de ses vieux potes de la Kliq, il gardait son côté ado, parfois insolent. « Il n’avait pas l’air malheureux, il semblait s’amuser avec Kevin Nash », se rappelle Ouellet.

« Mais il faut tirer des conclusions de sa mort, bonnes ou mauvaises. Quand je vois des gars mourir jeunes comme ça, je me dis qu’ils n’avaient peut-être plus vraiment de plaisir, pas grand-chose à quoi se rattacher. Il avait 63 ans… À un moment donné, le gars se dit : aussi bien lever les pattes. Ce n’est pas un suicide, mais je le vois un peu de même. Si tu l’as vu aller, tu ne peux pas dire que la vie est injuste. C’est de valeur. »