(Vatakara) Pieds nus, vêtue d’un sari jaune, chignon noué sur la nuque, Meenakshi Amma, à 78 ans, enseigne le kalari, art martial de l’État indien du Kerala, un « héritage ancestral » que sa famille aide à sauvegarder, après avoir été longtemps banni par le pouvoir colonial britannique.

Depuis son veuvage en 2009, elle a repris le flambeau familial à la tête de l’école Kadathanad Kalari Sangham fondée en 1949 par son époux, le « gurukkal » (maître) V. P. Raghavan. Elle y a mis les pieds pour la première fois à l’âge de sept ans.

Érigée entre des cocotiers, dans un jardin tropical de Vatakara, petite ville côtière du Kerala (sud), leur école, au pas de porte flanqué de deux sculptures d’éléphants, se dresse sous un toit traditionnel de tuiles en terre cuite.

À l’intérieur, une petite plateforme cernée de bancs plonge sur le « poothara », l’arène dédiée au « kalaripayattu » ou kalari, mesurant 12 mètres sur 6, creusée à deux mètres de profondeur dans la terre ocre rouge.

Là, Raghavan lui avait tout appris. Et à 18 ans, elle est elle-même devenue « gurukkal » puis a épousé son mentor, raconte à l’AFP Meenakshi Amma.  

« Aucune barrière de genre »

Ils ont eu quatre enfants, deux filles et deux garçons, et des petits-enfants. Tous pratiquent le kalari.

« Quand j’étais jeune […], nous étions à peine cinq ou six filles à suivre des cours », se souvient-elle, « mais depuis que j’enseigne, de nombreuses filles et femmes se sont ouvertes à l’apprentissage de cet art martial. »

Son fils Sajeev Kumar, 60 ans, également gurukkal, souligne qu’« il n’y a aucune barrière de genre » au kalari.  

Sous le portrait de Raghavan, Meenakshi et Sajeev s’affrontent bientôt au moyen de longues cannes en bambou. Leurs élèves, garçons et filles, alignés le long des murs du poothara, ornés d’épées, sabres, boucliers et autres armes anciennes propres au kalari, n’en perdent pas une miette.

Cet art martial, le plus ancien de l’Inde, en passe de disparaître après avoir été banni en 1804 par le pouvoir colonial britannique, vient d’être déclaré sport national. Il est actuellement mis en lumière dans l’exposition « Ultime combat », dédiée aux arts martiaux d’Asie, inaugurée cette semaine au musée du Quai Branly à Paris.  

« Le corps devient des yeux »

La pratique du kalari « purifie l’esprit, le corps et l’âme, améliore la concentration, la rapidité, la patience, régénère l’énergie physique et mentale », explique Sajeev, « quand on est mentalement et physiquement connecté au kalari, on ne voit pas l’adversaire, le corps entier devient des yeux ».

Dans un angle du poothara, des petites bougies illuminent un autel en bois où élèves et maître se recueillent pour la salutation rituelle.

Peu après, Sajeev entame son cours, déclame des « vaithari » (commandes d’exercices) que les élèves s’empressent d’exécuter.

« C’est une forme de poésie », murmure sa fille Alaka S. Kumar, ingénieur de 29 ans.

Le kalari est « l’héritage de mon grand-père », ajoute-t-elle, « avec mon frère, nous l’enseignerons à notre tour ».  

« C’était son rêve de transmettre l’art et ses connaissances aux générations futures, alors nous perpétuons l’enseignement du kalari, gratuitement au même endroit depuis 1949 », dit-elle, « il faut bien prendre le relais sinon, c’est terminé. »

« la paix ou la guerre »

L’enseignement commence par l’étude de « meypayattu », exercices de base visant à assouplir, équilibrer le corps, suivie de « kolthari » pour le maniement d’armes en bois et la concentration, puis de « ankathari » impliquant la pratique des armes blanches, enfin le « Verumkai » pour la maîtrise des techniques de combat à mains nues.  

Neha D., 13 ans, pratique le kalari depuis sept ans et la danse classique en parallèle, deux disciplines qu’elle juge complémentaires.  

Au début, « j’avais peur », dit-elle, « puis, j’ai appris les techniques défensives […] j’ai pris de l’assurance ».

Une fois les quatre étapes maîtrisées, elle pourra éventuellement étudier les « marmams » (points vitaux du corps), les soins et les massages qui découlent de l’ayurvéda, médecine naturelle traditionnelle indienne, pour devenir gurukkal.  

« C’est le seul art martial qui sache panser ses blessures », assure Sajeev, « les traitements sont conçus ici même ».   

Sur une étagère s’alignent pots d’herbes et flacons d’huiles aromatiques concoctées par les pratiquants en passe de devenir maîtres, guidés par leurs aînés.  

C’est un savoir « qui peut servir la paix ou la guerre », affirme-t-il, sa transmission exige de la psychologie pour déterminer qui « servira la paix et permettra à cet art de croître ».