Dans la foulée du drame de samedi au stade IGA, l’entraîneur Marc Ramsay, le député Enrico Ciccone et le DDave Ellemberg, neuropsychologue formulent des suggestions

Le « risque zéro » n’existera jamais en boxe. Marc Ramsay le réitère à plusieurs reprises au cours de l’entretien. « Mais il y a beaucoup de choses qui pourraient être faites », ajoute-t-il.

Ramsay a été matchmaker – celui qui recherche les adversaires, établit les confrontations – pendant près de 10 ans pour Groupe Yvon Michel (GYM). Un rôle aussi discret qu’important dans le milieu de la boxe. Il se concentre désormais entièrement sur son travail de coach. Il entraîne notamment David Lemieux, Óscar Rivas et Arslanbek Makhmudov.

Ramsay n’était pas présent au gala de GYM au stade IGA, mais il a évidemment vu, à la télé, la fin du combat entre Marie-Pier Houle et Jeanette Zacarias Zapata. Aux dernières nouvelles, la boxeuse mexicaine de 18 ans, passée K.-O., est toujours dans un état critique, mais stable à l’hôpital du Sacré-Cœur. Comme tout le monde, il s’en désole.

Depuis, plusieurs voix se font entendre pour réclamer un meilleur encadrement de la boxe, à tout le moins. Ce ne sera jamais parfait, tempère Ramsay.

« Il y a des sports comme ça : la course automobile, la boxe. À la limite, ceux qui font du downhill en ski alpin sont exposés un peu aussi. C’est sûr que la nature de notre sport fait que c’est encore moins bien vu », reconnaît-il.

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Marc Ramsay

Mais, à son avis, il y a moyen de faire beaucoup mieux. Comment ?

« Je commencerais au niveau international, où la structure même de la boxe fait vraiment dur. Ce n’est pas un sport qui est organisé. Quand on parle des associations – autant le WBC, la WBA, l’IBF, la WBO –, il n’y en a pas une qui est mieux que l’autre. C’est vraiment n’importe quoi, il n’y a rien de sérieux là-dedans. Il n’y a à peu près pas d’échanges entre ces associations et les commissions athlétiques de chaque pays, chaque province. C’est très fractionné. Tout le monde fait sa petite affaire. »

« Ici, on est chanceux, au Québec, c’est relativement bien, poursuit-il. C’est serré, c’est structuré. Mais il y a plein de places où on va partout dans le monde – et j’ai eu la chance de voyager pas mal – où il n’y a à peu près pas de supervision. »

Au Québec, la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) a le mandat d’encadrer l’industrie des sports de combat.

Les permis

Ramsay enchaîne avec les permis de boxeur, beaucoup trop faciles à obtenir, selon lui.

« Dans un même gala, tu peux avoir des athlètes de niveau très faible et d’autres de l’élite mondiale. Ça n’existe pas dans les autres sports. Dans la Ligue nationale de hockey, ce sont les meilleurs qui sont là, et c’est tout. »

Il prend l’exemple de Jeanette Zacarias Zapata, admettant cependant, pendant l’entrevue, suivre moins la boxe féminine que masculine.

Zapata, 18 ans, fiche de 2-3 avant d’affronter Houle, avait subi un K.-O. il y a trois mois. Le journaliste Francis Paquin, de RDS, a publié sur Twitter la fin de ce duel.

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Son combat précédent remontait à 30 mois, mais elle n’en avait également pas atteint la limite.

Or, en boxe féminine, les combats qui ne se rendent pas à la limite constituent une faible proportion, souligne Ramsay.

« Il faut suivre ça de très près. C’est un red flag. Il y a l’âge de la fille, et au dernier combat, ça ne s’était pas bien terminé », observe-t-il, ajoutant toutefois que « ce n’est pas une science exacte ».

En conférence de presse, dimanche après-midi, Yvon Michel, président de GYM, a expliqué que la boxeuse avait passé tous les tests requis.

« Après un K.-O., on regarde si elle a subi des tests neurologiques adéquats : c’était le cas. Afin de retrouver son permis au Mexique, elle devait se plier à cette exigence et au Québec, aucun boxeur ne peut se battre sans détenir le permis de l’État ou du pays d’où il provient. En plus de cela, la RACJ exige un scan supplémentaire », a-t-il rappelé.

En résumé : « Pour avoir son permis au Mexique, elle a dû passer un scan cérébral et pour pouvoir boxer ici, elle a dû en passer un autre. »

Cela dit, une étude récente, menée par le DDave Ellemberg et son laboratoire de l’Université de Montréal, a démontré qu’un athlète sur quatre ayant reçu le feu vert d’un médecin à la suite d’un examen médical pour reprendre la compétition après une commotion n’était « pas du tout prêt ».

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Le Dr Dave Ellemberg

Dans une entrevue avec La Presse, il y a plusieurs mois, il avait plaidé pour l’ajout d’un suivi neuropsychologique étroit, jumelé à l’évaluation neurologique, pour les boxeurs.

« Je crois qu’on aurait besoin d’un bilan complet en neuropsychologie, au moins une fois par saison sportive, et d’évaluer l’évolution de l’athlète », avait-il dit.

Et ce, malgré tous les tests obligatoires de la RACJ.

« Les examens cliniques typiques – scan, résonance, électroencéphalogramme (EEG) – ont généralement pour objectif de détecter un dommage associé à un diagnostic vital », nous a écrit le DEllemberg lundi soir.

La neuropsychologie évalue les capacités du cerveau dans la vie quotidienne en sondant directement ses fonctions qui, elles, peuvent être affectées par la commotion cérébrale.

Consultez la liste des examens exigés par la RACJ

Pour un registre

Enrico Ciccone, porte-parole de l’opposition libérale en matière de sports, aurait aimé que Geneviève Guilbault, ministre de la Sécurité publique, se prononce sur l’affaire. Le cabinet de cette dernière nous a dirigé vers la RACJ, sous la responsabilité de son ministère.

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Enrico Ciccone

L’ex-hockeyeur ne soutient pas que la Régie est déficiente, au contraire. Mais il insiste notamment sur l’importance de recueillir des données sur les commotions dans le monde de la boxe.

Contrairement à bien des sports, en boxe, la plupart des études à ce sujet sont mal structurées et se basent sur de vieilles données, nous avait en effet indiqué le DEllemberg en début d’année.

Au-delà des études, M. Ciccone voudrait un registre des commotions, comme dans la NCAA.

Et il soulève aussi des questions sur le matchmaking dans le monde de la boxe.

Comment se fait-il que ces deux-là étaient dans le même ring en même temps ?

Enrico Ciccone, député de Marquette à l’Assemblée nationale et ancien joueur de la LNH

Les sports évoluent, les mesures pour les rendre le plus sécuritaires possible doivent prendre la même tangente.

Une commission ? Pas nécessairement, répond-il. La RACJ mène d’ailleurs son enquête en ce moment. Mais il faut des consultations, des discussions entre les gens de la boxe et des spécialistes de la santé, propose le député de Marquette.

Le simple fait de mieux former les entraîneurs contribuerait déjà à améliorer la sécurité des boxeurs, selon le coach Ramsay.

« Je pense qu’il pourrait y avoir des formations aux deux ans, avec des neurologues, par exemple. On ne demande même pas un cours de réanimation, absolument rien. En fait, c’est plus facile en ce moment d’être un entraîneur en boxe professionnelle qu’en boxe amateur, ce qui n’est pas normal, lance-t-il. Je peux avec toi, lundi prochain, aller à la Régie, donner une trentaine de dollars et t’inscrire comme entraîneur. »

Puis, à la Régie, ajoute Ramsay, on aurait besoin de gens de boxe « qui ont l’expertise d’évaluer les combats qui sont mis sur pied ».

Oui, il faut des fonctionnaires pour structurer l’organisation générale.

« Mais si on parle de sécurité des boxeurs, il y a des gens très compétents au Québec qui seraient en mesure de donner leur avis sur l’organisation et l’approbation de combats. »

« De la stupidité suprême »

Au Canada, le Code criminel interdit les sports de combat. À moins que la province ait légiféré, ce que le Québec a fait par l’entremise de la Loi sur la sécurité dans les sports, qui émane du ministère de l’Éducation. Mais le volet sport professionnel est sous la compétence de la RACJ.

Ramsay craint-il que des évènements comme celui de samedi finissent, un de ces jours, par mettre son sport au ban ?

« Honnêtement, ce serait de la stupidité suprême, lâche-t-il. Ce ne serait vraiment pas la bonne direction à prendre. Ni pour les gens qui sont pour la boxe ni pour ceux qui sont ennemis de la boxe. »

Il rappelle les origines de la boxe anglaise, qui se disputait clandestinement il y a quelques siècles, sans gants. Puis, on a décidé de l’encadrer pour exercer sur elle le meilleur contrôle possible, « mais en sachant très bien qu’il y avait toujours des risques et il va toujours y en avoir », martèle le coach.

Interdire la boxe reviendrait à la remettre où elle était jadis.

« Le jour où on rend ça illégal, je vous garantis, il y a une clientèle pour ce genre de spectacle et on va retourner du côté de l’illégalité. Il faut aller vers plus de sécurité, plus de formation, être conscient des dangers, insiste Ramsay. La voie est là. »