Il y aura cinq ans cette année, Jean Bédard vendait Interbox à Camille Estephan, président d’Eye of the Tiger Management. Depuis, le grand patron de La Cage avait très peu parlé de boxe. Entretien.

Jean Bédard s’est-il amusé pendant sa décennie et des poussières dans le monde de la boxe ? « Oui. » S’en ennuie-t-il ? « Non, pas du tout. »

D’ailleurs, le PDG du Groupe Sportscene a très rarement remis les pieds dans un gala depuis la transaction. Pas par désintérêt, toutefois. Ce sport dont il a été l’une des figures incontournables de 2005 à 2016, il l’apprécie toujours.

« Ce que j’ai toujours trouvé l’fun de la boxe, c’est qu’un peu comme dans un septième match au hockey et au Super Bowl, il n’y a pas de lendemain. Souvent, c’est dramatique. Une victoire amène le boxeur quelque part, alors qu’une défaite peut le faire reculer beaucoup, indique-t-il en évoquant le récent revers de Steven Butler. C’est un sport qui me fascine et des gars pour qui j’ai beaucoup de respect. Pour monter dans un ring devant des milliers de personnes et à la télé, ça prend une grande confiance en soi. »

Depuis un an, Bédard avait justement été replongé dans ses souvenirs de boxe puisqu’en raison de la pandémie, plusieurs vieux combats ont été rediffusés à la télé. Et des souvenirs, il en a des masses.

Pour le meilleur et pour le pire

Son meilleur, il l’a déjà raconté dans le passé. Fin novembre 2009, à Québec, après que Lucian Bute eut passé le K.-O. à Librado Andrade, au 4e round, grâce à sa fameuse gauche au foie.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Lucian Bute contre Librado Andrade, lors de leur premier combat au Centre Bell, en octobre 2008

Ce soir-là, la pression était grande sur le Roumain en raison de la fin de son précédent combat contre Andrade, remporté dans la controverse. Dans la voiture qui les transportait, Bute, Stéphan Larouche et lui, du Colisée Pepsi à leur hôtel de la Vieille Capitale, l’ambiance était extatique. Bédard se souvient d’une chanson qui a joué en chemin : I Gotta Feeling, des Black Eyed Peas.

L’anecdote suivante, par contre, n’est probablement pas connue. Mais des observateurs attentifs l’avaient peut-être remarquée, note-t-il, commençant à rire avant même de la raconter.

Ça se passe au moment de la pesée avant le premier combat entre Adrian Diaconu et Jean Pascal, en juin 2009, au Centre Bell.

« Je n’allais jamais sur la scène, mais là, on me l’avait demandé. Habituellement, les promoteurs sont à côté des boxeurs quand ils se pèsent. Alors, Diaconu embarque sur la balance et je m’en vais m’accoter dessus pour voir combien il pesait… Il fallait qu’il soit à 175 lb, mais ça indiquait 184 parce que je pesais dessus. Il m’a regardé comme s’il voulait me tuer ! Je ne me suis plus jamais approché d’un boxeur à une pesée, j’ai eu l’air fou ! Ça montre que ce n’était pas mon bout. »

Il y a eu des moments tristes aussi. Comme assister, sur le bord du ring, à la dure défaite de Lucian Bute en Angleterre, contre Carl Froch, en mai 2012. Ou à celle d’Éric Lucas au Danemark, contre Mikkel Kessler, en janvier 2006.

« J’étais assis à côté de sa femme et ça n’avait pas été facile cette soirée-là, raconte Bédard. Après le combat, il n’y avait même pas de véhicule pour nous retourner à l’hôtel. Éric était quand même amoché et je pense qu’on a attendu une heure. Ça faisait pitié, notre affaire. On repartait avec notre pack-sack… »

Le proprio d’Interbox partageait les épisodes difficiles avec ses boxeurs, pas seulement les bons.

Avant les combats, cependant, il se faisait discret.

« J’aimais moins être là parce que je n’apportais pas grand-chose. Et je ne voulais pas qu’ils voient trop que j’étais nerveux ! »

« Quand je suis parti, je suis parti »

Si les émotions fortes ont été nombreuses, les relations de l’époque ne le sont pas demeurées pour autant.

Il a gardé de « bons contacts avec plein de monde ». De bons souvenirs aussi, notamment de Stéphan Larouche et d’Éric Lucas, nomme-t-il, bien qu’il ait eu avec ce dernier un litige financier, réglé en 2015.

« C’est juste que quand je suis parti de la boxe, je suis parti. Il fallait que j’aille m’occuper de mes restaurants, rappelle Bédard. Quelqu’un à qui je parle encore ? Non, pas vraiment. Mais je ne suis en chicane avec personne. Je fais autre chose, c’est tout. »

Ses meilleurs mots, sans qu’on l’y invite, il les aura pour un certain boxeur qui a fait le saut de GYM à Interbox en 2014…

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Jean Bédard et Jean Pascal, en décembre 2014

« Jean Pascal, c’est un gars qui gagne beaucoup à être connu et je le dis aux gens. Ce qu’il projette de l’extérieur et ce qu’il est vraiment… Et c’est tout un warrior. Lui, quand il s’en va à la guerre, il n’y va pas à peu près. Ça a été une belle surprise pour moi, Jean Pascal, sérieusement. Je le texte quand il se bat pour lui souhaiter bonne chance et il est toujours content. C’est un gars qui sait d’où il vient. »

Des extraterrestres

Sans refaire la séquence des évènements qui ont conduit Jean Bédard à mettre la main sur Interbox, rappelons à tout le moins qu’il l’avait achetée d’Éric Lucas, environ un an après que ce dernier l’eut acquise de son promoteur en faillite.

Au départ, il ne s’y consacre pas énormément, d’autres assurant le roulement à sa place.

Puis, en octobre 2007, Lucian Bute devient champion en l’emportant par K.-O. technique au 11e round contre Alejandro Berrio.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

À la gauche de Lucian Bute, en avril 2010

« On tombait dans une autre game, lance le restaurateur. Il y avait plus d’argent en jeu, plus de risques. C’est là que j’ai commencé à y mettre beaucoup de temps. »

Surtout au niveau du produit, sauf exception, précise-t-il. Les négociations avec les promoteurs, les contrats, les bourses, ce n’était pas son fort.

Comment son opinion sur le milieu de la boxe a-t-elle évolué de 2005 à 2016 ?

« Premièrement, je suis arrivé là-dedans comme un outsider. Dans n’importe quel domaine, comme la restauration, je pars toujours du client », relate Bédard.

On a voulu réinventer un peu la boxe, donc au début, on a passé pour des extraterrestres. Par exemple, on voulait mettre de la musique dans le Centre Bell et on se faisait dire que c’était de la boxe, pas une discothèque !

Jean Bédard

Mais il y avait une intention derrière l’approche.

« Je voulais augmenter le bassin de fans de la boxe. Parce que des fois, si tu écoutes trop les hardcores, tu ne développeras jamais ton marché. Si, à La Cage, j’écoutais juste ceux qui aiment les ailes, je n’aurais jamais lancé les pokés, par exemple. »

Il a été frappé par la passion des acteurs dans le monde de la boxe. Par le fait, également, que ses athlètes passent de héros à zéro en un claquement de doigts, aux yeux des fans, qui peuvent être « très méchants ». Sur les réseaux sociaux, en particulier.

« Ça me fâchait, donc j’ai arrêté de les lire pendant que j’étais en boxe », affirme-t-il, ponctuant ce segment de l’entrevue de quelques mots bien sentis… « C’est facile de se cacher derrière un clavier et d’écrire n’importe quoi. »

De la nature du travail de promoteur, il retient entre autres son haut degré d’exigence.

« C’est un milieu extrêmement imprévisible, un peu comme la politique. C’est très prenant, un business qui prend beaucoup de ta tête. La restauration, c’est plus prévisible », relève celui qui dit ne pas s’être rempli les poches, mais ne pas avoir perdu d’argent avec la boxe.

C’est, entre autres, cet aspect très accaparant, au détriment de ses Cage aux Sports, qui lui a fait jeter l’éponge.

Mais, avec le recul, Jean Bédard semble retirer une certaine fierté de son apport à la boxe pendant ces 10 années et quelques. Puis, il en retient le plaisir, également.

« On a fait partie des belles années de la boxe. On a mis beaucoup de gens dans le Centre Bell et je pense qu’on a fait de bons shows, dit-il. Et, même si à la fin, j’en avais moins, j’ai eu beaucoup de fun. Même en Angleterre. »

À part pendant le combat, précise-t-il.