Dans le livre Moi, Ali Nestor, petit prince de la rue, il est question de son grand ami Dan Bigras, de son idole de jeunesse Bruce Lee, de sa famille, des membres de gangs de rue qu’il fréquentait à l’adolescence, des jeunes qu’il aide aujourd’hui. Et, à travers eux, sont abordés, entre autres, la violence, la détresse et le racisme. Entretien.

« C’est juste plus sournois, ça ne s’est pas amélioré. Si ça s’était amélioré, je ne me ferais pas arrêter autant sur les routes. »

Ali Nestor a passé la mi-quarantaine. Avec sa longue et, surtout, grisonnante barbe, on ne pourrait le confondre avec un jeune délinquant. Et pourtant.

« Par mois, minimum deux fois, je suis suivi par un policier », affirme-t-il. Parfois, on lui demande de s’immobiliser et, après les vérifications d’usage, on le laisse partir. À d’autres occasions, la voiture de police le suit « pendant 5, 10 minutes », puis s’en va.

Il aimerait bien dire que c’est tout de même le jour et la nuit avec son adolescence, il y a une trentaine d’années. Mais ce serait mentir.

« Tellement que quand je décide d’aller m’acheter une nouvelle voiture, je rentre chez un concessionnaire et je suis obligé de me dire : ‟Oh, cette auto-là est belle, mais si je la prends, j’ai plus de chances de me faire remarquer par la police et de me faire arrêter plus souvent.” Je suis obligé d’avoir ce genre de réflexions. Même encore aujourd’hui, à l’âge que je suis rendu. »

Plus jeune, non seulement il a été maintes fois victime de profilage racial, mais encore il était régulièrement insulté par des policiers, raconte-t-il dans son livre, qui paraît ce mercredi, après 17 années de gestation. « T’es en état d’arrestation, mon estie de n… », il a déjà entendu ça.

Le Québec et le racisme

Le racisme n’a donc pas progressé dans la bonne direction, selon Ali Nestor. Ses manifestations ont plutôt muté, disons.

« À une certaine époque, oui, c’était blessant, oui, c’était dur, mais je savais clairement qui était devant moi. Quand je me retrouvais quelque part et quand j’allais me chercher un emploi et qu’on me disait : ‟écoute, j’en veux pas de n… ici”, c’était clair, je savais ce qui en était. Maintenant, c’est beaucoup plus sournois. »

Mais croit-il pour autant les Québécois plus racistes que les autres nationalités ? Non, assure-t-il.

Il mentionne le traitement réservé aux Africains noirs en Arabie saoudite et en Algérie. Et même en France, où l’on entendra encore des chauffeurs de taxi ou des propriétaires de dépanneur refuser de servir des Noirs et des Arabes, souligne-t-il.

Je l’ai écrit dans le livre, je considère que le Canada a évolué plus vite que bien des pays là-dessus. Mais je ne suis pas là pour parler d’ailleurs. C’est ici que je demeure, ici que mes enfants sont nés.

Ali Nestor

Et il ne voudrait vivre nulle part ailleurs.

« J’ai visité bien des pays, bien des villes, et c’est au Québec que je suis bien, indique-t-il. Je sais ce qu’est la bonté profonde des Québécois, à la base. Mais il y a un problème de racisme qu’il faut régler. Il y a un système, aussi, qui est là, mais qui est inconscient. Et il y a beaucoup de personnes qui ne le sont pas, mais qui suivent la machine et agissent de façon raciste sans le savoir. C’est ça qu’il faut changer, qu’il faut reconnaître. »

Bruce Lee, Ali et les Prince.sse.s

Ali Nestor a toujours aimé les arts martiaux. En particulier, son modèle, Bruce Lee. « Dès le premier film que j’ai vu de lui, Opération Dragon, je me suis dit : ‟Je serai le prochain Bruce Lee noir !” J’ai rêvé à travers lui pendant des années. Même ses fameuses chemises de style chinois, je les portais ! »

Pas surprenant, donc, que Nestor ait d’abord été connu au Québec comme combattant en arts martiaux mixtes, à compter de 1999, puis comme boxeur, jusqu’en 2012. Il y a compilé de bonnes fiches, mais ce n’est pas ce qui le définit. Au contraire, il ne retient de sa carrière aucun moment marquant, aucune fierté particulière.

Ce dont il est fier, par contre, c’est la création de son organisme – Ali et les Prince.sse.s – pour lequel il a travaillé d’arrache-pied.

Créé en 2001, Ali et les Prince.sse.s aide chaque année de 300 à 500 jeunes dans le besoin par des programmes de mentorat, d’aide aux devoirs, d’employabilité, de gestion de la colère, etc.

Et son École de la Relève – programme scolaire combiné avec des sports de combat adapté aux difficultés des jeunes – réussit à diplômer de 15 à 20 jeunes par année.

« C’est un travail de longue haleine. Avec un jeune, parfois, le travail peut se faire sur plusieurs années », souligne Nestor.

L’organisme et son Académie Ness Martial sont situés dans le quartier Saint-Michel. Les jeunes viennent des quatre coins de la ville, dont une forte proportion de Montréal-Nord, « un secteur qui est beaucoup laissé à lui-même ». Par manque de volonté politique, estime-t-il.

« Mais il y a des acteurs qui travaillent fort pour que ça change. Saint-Michel a beaucoup avancé. Il y a beaucoup d’organismes qui se sont installés pour accompagner les jeunes, mais ce sont des choses qui manquent à Montréal-Nord. Et les taux de décrochage scolaire et de chômage sont élevés, ce qui fait que ces jeunes se retrouvent à ne pas faire grand-chose. Malheureusement, ils finissent par s’occuper de manière pas toujours positive. »

Ali Nestor en connaît long en la matière, lui qui a trempé sérieusement dans les gangs de rue de 15 à 18 ans. La mort, il l’a frôlée à maintes reprises. Il était alors « un volcan en éruption », écrit-il, sa relation houleuse avec un père violent n’étant pas étrangère à ce mauvais détour.

« La première tendresse, la première affection, les premières valorisations qu’un enfant est censé avoir, celles qui comptent le plus, ce sont celles de ses parents. Alors quand un jeune ressent qu’il n’aurait même pas dû venir au monde, c’est le premier signe qui peut l’amener à vouloir se détruire », fait-il valoir.

Alors qu’il est en centre jeunesse, à quelques mois de sa majorité, sa mère, aujourd’hui morte, aura réussi à provoquer chez lui l’étincelle qui le ramènera progressivement dans le droit chemin.

Ça a été très dur pour lui. Ça prenait ben un esti de combattant pour endurer tout ça.

Dan Bigras

L’amitié indéfectible entre les deux hommes – ils se disent « frères de choix » – s’est cimentée pendant le tournage du documentaire Le ring intérieur de Bigras, qui s’est échelonné sur deux ans. Le chanteur prenait alors une pause de la musique, il était sobre et il s’entraînait au dojo de Nestor pour retrouver la forme. Le boxeur avait accepté de plonger dans le projet de film dans l’espoir que son message puisse aider des gens.

« Il ne m’a pas demandé pourquoi. Il m’a demandé pour qui. Ça, c’est Ali tout craché », raconte Dan Bigras.

Après le tournage, petit à petit, Nestor a poursuivi cette démarche qu’il venait d’entamer.

« Il y avait beaucoup de misère autour de lui et je sais que ça l’atteignait beaucoup. Ça lui faisait de la peine et il se demandait ce qu’il pouvait faire, relate Bigras. Je l’ai vu se transformer. Les gens qui ont eu mal beaucoup, quand ils comprennent l’avantage de faire partie d’une gang qui fait du bien, ceux qui le comprennent vraiment dans leurs os, dans leur sang, ils vont loin. »

En Haïti bientôt

Ali Nestor n’a pas visité son pays d’origine, Haïti, depuis ses 18 ans. Mais n’eût été la pandémie, il y serait probablement allé dans les derniers mois. Parce que son organisme, ses programmes, il veut les y implanter. Dès que les voyages seront sécuritaires, il mettra le projet en branle.

« Je compte d’abord y aller pour faire du rodage, reprendre le pouls du pays pour bâtir un programme qui tient compte de la réalité des jeunes de là-bas », dit-il.

Il fera ainsi profiter aux jeunes de sa patrie d’origine, qu’il a quittée à 6 ans, du savoir et de l’expérience qu’il a acquis pendant les 40 dernières années au Québec.

Un extrait du livre, en guise de conclusion :

Les jeunes et les moins jeunes qui se retrouvent en situation de vulnérabilité, dans la rue, dans les gangs criminalisés, dans la drogue ou même dans l’industrie du sexe, n’ont pas choisi consciemment de se perdre ainsi. Ce sont plutôt les blessures de la vie, la peur de l’abandon, du manque d’amour ou de valorisation et même la peur de ne pas exister qui leur ont fait prendre le mauvais chemin.

PHOTO FOURNIE PAR LIBRE EXPRESSION

Moi, Ali Nestor, petit prince de la rue, Ali Nestor, Libre Expression, 248 pages