Une tragédie a bouleversé la vie de la boxeuse Leïla Beaudoin, il y a deux ans. De plus en plus sereine, elle veut désormais aider ceux qui souffrent.

Leïla Beaudoin montera dans le ring, samedi, au Mexique, pour son troisième affrontement chez les pros. Elle sera en territoire inhospitalier contre une boxeuse locale. Mais aucun de ses combats ne sera plus éprouvant que l’épreuve qu’elle a vécue il y a deux ans.

Le 13 juin 2018, l’ex-conjoint de Leïla s’est donné la mort. Le couple était séparé, mais sentant qu’il n’allait pas bien, elle s’est présentée à leur ancien appartement. C’est elle qui a découvert le corps.

Depuis, chaque souvenir heureux avec lui auquel elle repense est indissociable de ce qu’elle a vu ce jour-là en pénétrant dans le logis.

« Il y a toujours cette image qui vient briser le beau moment. L’image de moi qui ouvre la porte et qui le voit, pendu. Je ferme la porte, je hurle. Je le revis toujours. »

L’émotion qui suit cette vision est aujourd’hui moins violente qu’elle l’était dans le passé.

« Mais c’est toujours un cercle vicieux et j’ai hâte d’être capable de penser à lui sans voir cette image. Je ne sais pas si ça va m’arriver un jour, je ne suis pas encore rendue là, raconte la boxeuse de 24 ans. L’automne, en particulier, c’est toujours plus difficile. En septembre, octobre, ça m’arrive souvent de faire des cauchemars. »

Comme une pub de Dodge

Pendant l’entrevue, le chat de Leïla miaule. « Il fait exprès ! », dit-elle en riant. Il a hâte de ravoir de l’attention, apparemment.

Ça va beaucoup mieux aujourd’hui, assure celle qui travaille dans le milieu de la restauration entre deux combats. Elle a un nouveau conjoint. La boxe la passionne.

Mais elle tient à offrir son soutien à celles et ceux qui traversent des moments semblables aux siens. Elle voudrait un jour devenir porte-parole. « C’est une cause que je veux défendre », insiste la boxeuse. Les hommes ont particulièrement besoin d’aide, selon elle.

On parle beaucoup de féminisme et de la pression sociale qui est exercée sur les femmes. Mais je trouve qu’on ne parle pas assez de celle qui est exercée sur les hommes.

Leïla Beaudoin

Elle qui a trois frères regrette qu’aujourd’hui encore, les hommes peinent à s’exprimer, à extérioriser leurs émotions, et qu’on leur impose toujours, en quelque sorte, le devoir de se montrer forts, robustes.

« Quand je pense à ça, je pense aux annonces de Dodge. Fort, robuste, comme un homme ! C’est niaiseux, mais c’en est, des étiquettes sociales. Et après, quand vous vivez une détresse, vous ne trouvez pas ça normal, donc vous n’en parlez pas », déplore-t-elle.

Pour l’instant, son implication ne se fait pas par une voie « officielle ».

La boxeuse a mis aux enchères, en septembre, les premiers gants avec lesquels elle s’est entraînée pendant un an chez les pros, avec l’intention de remettre la moitié de la somme recueillie à un organisme qui travaille à la prévention du suicide.

Elle est également active sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, quelques hommes lui ont écrit récemment – « parce qu’ils savent que j’ai un background là-dedans » – pour entrer en contact avec un psychologue.

Des coups de pouce de ce genre, elle souhaiterait donc pouvoir en distribuer à plus grande échelle. Et servir d’inspiration.

« C’est sûr que je veux utiliser mon histoire pour faire une différence dans la vie des gens à ce niveau-là. Et leur montrer que ce n’est pas parce qu’on vit des choses comme ça qu’on ne peut rien accomplir. »

Regardez une vidéo sur Leïla Beaudoin

Boxeuse par hasard

La boxe compte de plus en plus de modèles féminins. Mais ce n’est pas ce qui l’a conduite vers ce sport.

Entourée d’hommes à la maison, ses exemples étaient essentiellement masculins. Son père, fan de boxe, aimait bien Lucian Bute. Elle a d’ailleurs assisté avec lui et l’un de ses frères à la défaite du Roumain contre James DeGale, à Québec, en 2015.

À ce moment, elle boxait depuis peu. Grande sportive, elle a d’abord et avant tout été une passionnée de ski alpin pendant 10 ans.

PHOTO VINCENT ÉTHIER, EYE OF THE TIGER MANAGEMENT

Leïla Beaudoin

« Aussitôt que j’ai été capable de marcher, j’avais une paire de skis dans les pieds, relate-t-elle. Puis, mon père, quand j’avais 13, 14 ans, parce que le ski coûtait cher, me disait :’’Lâche le ski, fais donc de la boxe’. Il n’était pas sérieux ! »

Elle ne se doutait pas que c’est pourtant ce qui allait arriver. Et elle ne pensait jamais qu’un sport la comblerait un jour autant que le ski. « La boxe, ç’a été un coup de foudre », lance la résidante de Québec.

Un coup de foudre qui a frappé par le plus grand des hasards.

J’ai commencé la cardioboxe, un soir, parce que je n’avais plus de sport à pratiquer. Je ne savais pas ce que c’était et j’ai vraiment tripé.

Leïla Beaudoin

Elle a poursuivi cet entraînement, puis découvert la boxe amateur.

« Je me suis dit que je voulais essayer ça. Et dans la cardioboxe, le coach avait dit à sa blonde, avec qui je m’entraînais :’’Mets-toi avec Leïla pour faire le pad et place-la comme il faut, je trouve qu’elle a quelque chose, je pense qu’elle va être bonne’’ », raconte la pugiliste.

La suite a coulé de source. Un premier combat, remporté, en mai 2013. Avec moins d’un an de bagage, elle va aux Gants dorés, termine deuxième, puis, en 2015, elle fait la sélection olympique. « Je me demandais comment je pouvais être là ! », dit-elle.

Plus tard, elle gagnera à la fois les Gants dorés et le championnat canadien.

Aujourd’hui professionnelle depuis un an, elle a remporté ses deux combats par décision unanime. Très unanime, en fait, ayant gagné chacun de ses huit rounds sur la carte de pointage de tous les juges. Et elle n’a pas l’intention que cette fiche immaculée change samedi.

Ce mercredi, elle a pris l’avion en direction de Cuernavaca, plus précisément de l’amphithéâtre Deportivo Cri Cri. Sur le ring l’y attendra Ilse Viridiana Rojas (1-1-0).

Deux autres Québécois en action

Leïla Beaudoin ne sera pas la seule protégée d’Eye of the Tiger Management (EOTTM) à se battre dans ce gala, à une heure au sud de Mexico.

Thomas Chabot (2-0, 2 K.-O.) se frottera à José Hernández (2-5, 1 K.-O.). Sur Boxrec, nous avons dénombré… 87 José Hernández ! Heureusement, en activant le filtre « actifs », ils n’étaient plus que quatre.

PHOTO VINCENT ÉTHIER, EYE OF THE TIGER MANAGEMENT

Thomas Chabot

Celui-ci, malgré sa fiche médiocre, n’a été passé K.-O. qu’une seule fois, ce qui permettra peut-être à Chabot d’accumuler quelques rounds. Son premier combat s’est terminé après 1 min 45 s. Son second, 1 min 24 s, ce qui ne l’avait pas empêché de visiter d’abord le plancher lui-même. Plutôt mouvementé comme début de carrière.

« Mon style offensif me pousse énormément vers l’avant. Ce sera à moi de prendre mon temps et de m’installer, analyse Chabot. Je ne m’attends pas à l’arrêter. Et je n’ai jamais pensé comme ça, de toute façon. Je vais faire ce que je fais le mieux, boxer. »

Luis Santana fera pour sa part ses débuts chez les professionnels. Son vis-à-vis aura pour nom Gabino Toala (1-0-1, 1 K.-O.).

Exil forcé

On est plutôt habitués à voir des Mexicains venir boxer ici que l’inverse. Mais pour garder ses boxeurs actifs, Camille Estephan, président d’EOTTM, a choisi de les envoyer combattre au Mexique, qu’on a sélectionné à la fois pour des questions de timing et de proximité. Une première pour l’organisation. « On ne s’en plaint pas. Beaucoup de boxeurs aimeraient avoir cette opportunité », dit-il. Les juges seront mexicains, une perspective qui ne l’effraie pas. « Quand tu ne boxes pas chez toi, il y a toujours certains risques. Mais c’est bien mieux que l’Angleterre… » EOTTM a demandé et obtenu que ses trois boxeurs se battent l’un après l’autre, afin d’offrir à ceux qui commanderont le gala sur Punching Grace une nouvelle expérience télévisuelle immersive. Un caméraman suivra les Québécois du vestiaire au ring, puis reviendra avec eux au vestiaire.