Le plus fou des promoteurs, le rêveur invétéré, l’amoureux des chevaux, le pusher de jurons, la légende québécoise de la boxe Régis Lévesque est mort mardi à Montréal des suites d’un cancer. Il avait 85 ans.

« Il est mort chez moi, entouré des siens. Sereinement », a dit mercredi matin à La Presse sa fille, Annie Lévesque.

« Il savait que ça s’en venait. Mais jusqu’à la semaine passée, il était encore en train d’imaginer quel combat il pourrait organiser pour faire son retour », lâche sa fille avec affection.

L’homme au parler inimitable aura été le plus grand promoteur des années 70 et 80 au Québec. Il aura loué le Forum « presque 100 fois » et rempli à craquer le centre Paul-Sauvé.

Avant l’ère de la télé câblée en boxe, il aura régné sur son royaume grâce à une recette éprouvée : deux boxeurs locaux moussés par une promotion digne d’une fête foraine. Il a pavé la voie aux promoteurs modernes Yvon Michel et Jean Bédard, même s’il avait parfois des mots durs pour ce qu’est devenue la boxe au Québec.

« Les autres promoteurs, ils annoncent leur show et pendant huit jours, on n’en entend pas parler. Le show meurt. Moi, je m’arrangeais pour qu’on en parle d’un bord pis de l’autre », a raconté l’homme dans une de ses nombreuses entrevues à La Presse.

Le natif de Trois-Rivières s’était lui-même essayé à la boxe dans sa jeunesse. Mais il avait déjà l’œil du promoteur : il savait bien qu’il n’avait pas le talent pour faire carrière. Il s’est donc tourné vers l’organisation de combats.

De Trois-Rivières à Montréal

L’un de ses premiers galas, en 1962, attire 6000 spectateurs au Colisée de Trois-Rivières pour voir Robert « Bob » Cléroux. « J’ai rempli le Colisée ben dur, j’ai pogné la piqûre », racontera-t-il plus tard.

À Montréal, le promoteur Eddie Quinn règne sur le monde de la boxe et de la lutte. Il a un bureau à même le Forum. Il meurt en 1965. Régis Lévesque viendra en quelque sorte le remplacer, mais avec une bonne dose de ces épices dont lui seul connaissait le secret.

« Quinn a eu une grosse carrière, mais il n’avait pas de publiciste. Il aurait été dix fois plus riche avec un publiciste », dira Lévesque.

Publiciste, Lévesque l’était dans l’âme. Rapidement, ses conférences de presse deviennent des évènements courus. Les journalistes se battent pour y aller.

« Régis Lévesque est le plus grand promoteur de boxe livre pour livre. Il nous faisait croire qu’un combat local de 10 rondes était plus important qu’un titre mondial », s’émerveille l’homme de coin et entraîneur Russ Anber.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Rapidement, les conférences de presse de Régis Lévesque deviennent des évènements courus.

Régis Lévesque a organisé des combats de Donato Paduano, Fernand Marcotte, Dave Hilton et bien d’autres. Mais son boxeur fétiche sera Eddie Melo. C’est pour un de ses combats qu’il remplit le centre Paul-Sauvé de 8000 spectateurs. La capacité est pourtant de 6000 personnes.

« Les gars étaient assis deux par deux dans les marches. Le record n’a jamais été battu », aimait répéter Lévesque. « Tous les mois, Melo faisait la finale et c’était paqueté ben dur. Aujourd’hui, ils ont de la misère à faire un combat par six mois. »

Ses boxeurs n’étaient pas des champions du monde. Mais ils empochaient parfois 50 000 $ par soir, une rondelette somme pour l’époque.

Au bout du fil, Dave Hilton est ému quand il se souvient de cet homme plus grand que nature. « Contrairement à d’autres promoteurs, Régis Lévesque n’a jamais essayé de me voler. Il a tout le temps respecté ses boxeurs. Ça, vous pouvez l’écrire dans votre article s’il vous plaît. »

Un beau fou

Excessif, Régis Lévesque l’était lorsque venait le temps de vendre un combat. Il l’était aussi dans d’autres aspects de sa vie.

Ce parieur invétéré avait l’habitude d’amasser de bons montants avec ses galas de boxe, qu’il allait dilapider dès le lendemain à Blue Bonnets. « Il ne me reste rien, zéro. Les courses de chevaux m’ont tué. J’ai tout perdu à Blue Bonnets. Combien ? J’aime mieux pas le dire. »

Pour se renflouer, Lévesque aimait ourdir de fameux stratagèmes. Le plus connu de tous est sans doute celui qui consistait à faire boxer Joe Frazier contre Bob Cléroux dans un avion, pour déjouer le refus de la Commission athlétique, qui les jugeait trop vieux. C’était en 1985.

PHOTO RENÉ PICARD, ARCHIVES LA PRESSE

Régis Lévesque (à droite) en 1970.

Après une publicité tapageuse et une conférence de presse passée à l’histoire, le combat n’a finalement jamais eu lieu. Lévesque a perdu 200 000 $ dans l’aventure.

« Régis n’est jamais aussi fou que lorsqu’il est obligé de se sortir du pétrin dans lequel l’a plongé sa dernière folie », écrivait déjà six ans plus tôt, en 1979, le journaliste de La Presse Pierre Foglia.

« Mais c’est un fait, Régis Lévesque est complètement fou. Reste que la boxe montréalaise a mieux vécu de la folie d’un Régis qu’elle ne vivra jamais du sérieux d’un Alfred Véronneau », ajoutait Foglia, en référence à un autre promoteur de l’époque, au style plus conventionnel.

Dans les dernières années de sa vie, Lévesque pouvait paraître amer en entrevue. Il n’aimait pas la direction que prenait la boxe québécoise, sa dépendance envers les grands réseaux de télévision américains, sa fascination pour les titres mondiaux au détriment des combats locaux…

Son dernier combat avait été organisé en 2007, entre Dave Hilton et Adam Green. Un fiasco. « C’est parce que les journalistes avaient boycotté », rouspétait-il.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Dave Hilton (à gauche) et Régis Lévesque (au centre), vus en 2007.

Mais Lévesque n’avait pas lancé l’éponge. Dans ses dernières entrevues, il disait encore rêver à un dernier combat. Il voulait convaincre Hilton de revenir.

Attablé au Deli Beaubien, son repaire de toujours, il pouvait parler pendant des heures, alimenté par le café et les cigarettes.

« Si Hilton revenait et était capable d’aller jusqu’au bout, je ferais 200 ou 300 000 $ en six mois. Sûr, sûr, sûr. Tabarnak, c’est tout écrit dans le ciel ! »

Dans les dernières années, la maladie l’avait amaigri. Son visage était émacié. Mais le feu brûlait toujours à l’intérieur de lui.

Régis Lévesque aura rêvé jusqu’à la fin.