Il est né à Kinshasa, en République démocratique du Congo, avant de déménager à Chicoutimi alors qu’il avait 6 ans. L’un de ses frères s’est noyé en faisant de la raquette, il y a cinq ans. L’histoire de Francy Ntetu, prochain adversaire de David Lemieux le 10 octobre à Shawinigan, est tout sauf commune.

Mais parlons d’abord de boxe. Ntetu (17-3, 4 K.-O.) a eu une carrière amateur bien garnie. Cent trente combats, dont une centaine de victoires, estime-t-il. Quelque part au tournant des années 2000, il est allé se battre au gymnase de Fernand Marcotte, à Québec, contre le plus bel espoir de l’ex-boxeur vedette.

« Attends, oui, c’était Charles… Charles… », lance-t-il, enthousiaste, mais sans réussir à se remémorer le nom de famille de son adversaire. « Je m’étais fait avoir à ce combat-là ! Je donnais tout ce que j’avais, je frappais vers l’avant, mais je voyais des flashs, je recevais des coups que je ne voyais pas, dans mes angles, parce qu’il était beaucoup plus expérimenté que moi. Il voyait mes attaques, mais je résistais parce que j’étais fort physiquement. Je me souviens que j’avais perdu ce combat. »

Ou pas tout à fait. Une défaite n’a pas été ajoutée à sa fiche ce soir-là puisqu’il s’agissait d’un combat amical, se rappellera-t-il. « Ça devait être juste pour le fun, mais il avait essayé de m’arracher la tête devant son monde ! », se rappelle le Saguenéen en riant.

L’histoire du combat entre Apollo Creed et Ivan Drago, bref. La guerre froide et la mort d’un belligérant en moins.

La contre-attaque mue… par la peur

Le ton était donné. Très loquace, Ntetu s’exprime aisément. Et avec abondance. Jamais ce texte n’aurait pu voir le jour sans cet outil parfois indispensable qu’est l’enregistreuse…

« Je suis très généreux en coups de poing et en paroles ! », dira le boxeur de 38 ans, qui travaille désormais dans la construction après un passage en enseignement de l’éducation physique.

Ces coups, il lui faudra les distribuer bien généreusement pour venir à bout de David Lemieux (41-4, 34 K.-O.). Mais il lui faudra aussi éviter ceux qui viendront en sens inverse. Et qui seront lourds.

Tu ne peux pas te préparer contre la puissance que David possède. Il faut plutôt se préparer à le faire rater. Donc, nous avons travaillé beaucoup sur le mouvement. Et le faire payer quand il ratera. C’est la seule façon de lui enlever cet avantage.

Ian McKillop, entraîneur de Ntetu

« You can’t hit what you can’t see. David est très fort. Mais la vitesse va toujours primer la force », exprime en d’autres mots son protégé, qui voit par ailleurs sa plus grande taille comme un atout majeur.

Autre élément en sa faveur, croit-il, il a toujours livré ses meilleures performances lorsque ses niveaux de stress et de peur – lui qui se dit peureux depuis l’enfance – étaient le plus élevés.

« Cette peur m’a amené à être un contre-attaquant en boxe. J’ai toujours aussi peur, donc plus tu me mets de pression, plus je suis réactif et plus je suis efficace », lâche franchement Ntetu. « Mais c’est une peur contrôlée, précisera-t-il plus tard. Bernard Hopkins disait qu’il aimait aller chez l’ennemi parce qu’il était vraiment en mode survie. C’est comme ça que je me sens en allant boxer pour Eye of the Tiger, contre David. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Francy Ntetu, le 16 janvier 2012, lors d’un combat des mi-lourds où il a envoyé Schiller Hyppolite au tapis au troisième round.

Le duel chez les super-moyens entre Lemieux et Ntetu est prévu pour 10 rounds – ce qui représenterait une première pour le Saguenéen si le combat se rend à la limite – et constituera la finale du gala de trois combats présenté par Eye of the Tiger Management, au Centre Gervais Auto de Shawinigan, le samedi 10 octobre. L’évènement se déroulera à huis clos.

Direction paradis

Francy Ntetu a atterri au Québec avec sa famille à l’âge de 6 ans, en 1989.

« Je me souviens que venir au Canada, dans ma tête, c’était aller au paradis », dit-il avant de répéter le mot en lingala, langue parlée dans son pays d’origine. « On était en plein mois de janvier. Les hivers étaient plus froids que maintenant, mais la journée où on est arrivés, c’était une belle journée d’hiver, où il neige mais où il ne fait pas trop froid. Des flocons tombaient et j’ouvrais la bouche… C’était parfait. »

Pourquoi ce déménagement ? Pas pour fuir la misère. Sa famille n’était pas fortunée, mais « assez bien placée », avance-t-il, en mesurant bien ses mots.

Donc, un peu pour des raisons politiques. Les Hutus, les Tutsis. Un conflit qui dégénérera dramatiquement au Rwanda voisin, cinq ans plus tard.

Mais surtout parce que son père étudiait déjà à l’Université de Montréal. Et, pour donner à sa famille « de meilleures opportunités de vie », il l’a fait venir au Canada.

Et pourquoi Chicoutimi alors, plutôt que Montréal ? C’est ce que souhaitait le paternel, Antoine. Moins de violence, école à proximité.

M. Ntetu décrochera un boulot à l’Université du Québec à Chicoutimi. Il en a notamment été le directeur du département des sciences humaines.

Drame familial

En cours de conversation, entre deux phrases guerrières à propos du combat, Francy Ntetu laisse tomber qu’il a « le nom de [son] frère décédé à la taille ».

Un jour, à la fin de janvier 2015, Hervé Ntetu, amateur de plein air, sort faire une balade en raquettes au parc de la Rivière-du-Moulin, à Saguenay. La glace cède sous son poids et il se noie. Il avait 36 ans.

« Dans ce temps-là, je le trouvais vieux ! Il avait quatre ans de plus que moi. Mais maintenant que je suis rendu à 38, je me dis : “Mon Dieu, il est mort jeune”, raconte le boxeur. Le pire, c’est qu’il a toujours détesté l’eau. Tellement que moi et mon petit frère Willy, on s’est enrôlés dans la marine canadienne, et lui ne nous a pas suivis, il était dans l’armée de terre. »

Ntetu a depuis remplacé son nom de famille par le prénom de son défunt frère à la ceinture de sa culotte. Ses autres proches encourageront Francy à distance le 10 octobre. Hervé, lui, sera dans le ring avec son jeune frère.