L’ex-combattant Patrick Côté publie aujourd’hui Dans l’octogone – Les dessous des arts martiaux mixtes. Pas pour convertir les réfractaires, dit-il. Mais pour démystifier le sport et faire en sorte que ses combattants soient ainsi plus respectés. Entretien octogonal, autour de huit thèmes abordés dans ce bouquin truffé d’anecdotes.

1. Un jeu d’échecs… violent

La Presse : Tu admets d’emblée que l’Ultimate Fighting Championship (UFC), à ses débuts, « c’était une boucherie ». Et tu ajoutes ensuite que, malgré la multiplication des règles qui s’en est suivie, les arts martiaux mixtes [qui allient lutte, jiu-jitsu brésilien, boxe thaïlandaise, boxe et kickboxing] demeurent « un sport ultra-violent ». Mais tu insistes beaucoup sur la stratégie derrière tout ça, tu le compares même fréquemment aux échecs. Quel type de victoire t’apportait le plus de satisfaction ? Le K.-O. ou la soumission ?

Patrick Côté : C’est deux sentiments complètement différents. Quand tu passes le K.-O. à ton adversaire, tu te sens le plus fort du monde pendant 35-45 secondes, puis après, ça va tomber. Des lucky punch, ça existe. Des lucky submission, ça n’existe pas. Quand tu réussis à faire abandonner un adversaire avec une soumission, c’est quelque chose que tu as préparé. C’est pourquoi je compare ça aux échecs, tu places tes pions pour aller chercher l’échec et mat, qui est la soumission. Quand ton adversaire tape sur toi en signe d’abandon, c’est satisfaisant parce que tu as tellement bien travaillé qu’il est obligé de dire : « OK, tu m’as eu, tu m’as surpris ». Ça, tu te sens fier pour une couple de semaines.

2. Peau grise et black-out

LP : Le sous-chapitre sur la déshydratation est saisissant, voire troublant. À 12 reprises, tu as perdu 22 ou 23 lb en 18 heures. Tu racontes que ta peau devenait grise, que ta voix changeait. Et même qu’en une occasion, tu as eu un black-out total dans les heures précédant la pesée. Avant que quelqu’un y laisse sa vie, tu ne crois pas que les sports de combat devraient serrer la vis ? Par exemple, en disant aux combattants que s’ils doivent perdre plus que tel pourcentage de leur poids pour atteindre une catégorie, ils n’ont pas le droit de s’y battre ?

PC : En Californie, c’est rendu comme ça maintenant. Ils te pèsent la semaine du combat et tu ne peux pas être plus haut que 9 % de ton poids de pesée, je pense. Donc, c’est en train d’en arriver là. Moi, je n’aurais pas pu me battre en Californie. J’arrivais et mon pourcentage était beaucoup plus haut, mais j’étais capable de le faire et le lendemain, j’étais capable de performer et je gagnais. Parce que je le faisais comme il faut. Mais en rendant ça obligatoire, tu payes pour ceux qui ne le font pas comme il faut et qui font mal paraître la déshydratation, qui est, je l’admets, très dangereuse. Il faut faire extrêmement attention. Il y en a qui ont perdu la vie en faisant ça. Pas des combattants qui sont dans des grandes organisations, mais au Brésil, il y en a un qui a essayé de se déshydrater de 33 livres. C’est sûr que lui, il n’est pas sorti de là.

Mais c’est de la science. C’est un choix personnel et, tant qu’à le faire, il faut le faire le plus sécuritairement possible, même si c’est horrible pour le corps. Je n’encourage personne à faire ça, mais ça fait partie de notre réalité. C’est pour ça que j’explique les mauvaises choses qui me sont arrivées, comme le black-out, mais aussi comment j’ai travaillé pour parvenir à mes fins parce que c’est un sacrifice que j’étais prêt à faire.

3. Un sport-spectacle ou un spectacle-sport ?

LP : Tu écris : « Maintenant, les acteurs de l’UFC ont compris que c’était plutôt un spectacle-sport qu’un sport-spectacle. Les combattants ont compris que l’attention et l’argent iront davantage sur le spectacle que sur les performances sportives. » Cette approche ne mine-t-elle pas la crédibilité du sport et de l’organisation ?

PC : L’UFC est une entreprise événementielle qui fait des spectacles. Eux veulent le meilleur spectacle possible. Et plus tu es capable de vendre des billets, plus tu vas avoir de l’attention autour de toi. Évidemment, si tu perds, que tu ne fais pas des bonnes performances, c’est sûr que tu ne vivras pas de ça et qu’en bout de ligne, ils ne feront pas de promotion autour de toi. Sauf que si tu es capable de mettre les actions derrière tes mots, en faisant une belle promotion – et tu n’es pas obligé de faire du trash talk et d’écœurer tout le monde –, et de bien te vendre, le sport est rendu là. Parce que c’est tellement contingenté, le sport est rendu tellement gros. Avant, tu avais juste besoin de gagner et tu pouvais faire une carrière. Maintenant, si tu gagnes, mais juste par décisions… Le meilleur exemple, c’est Leon Edwards. Il est sur une séquence de huit victoires. Mais personne ne sait qui il est parce qu’il est plate. Mais plate ! La réalité, c’est ça. L’UFC est là pour vendre des billets et faire les meilleurs spectacles, et si tu n’es pas capable d’en faire un, ils vont peut-être te tasser dans un coin.

4. Machisme

LP : Tu cites la combattante retraitée Valérie Létourneau, qui raconte qu’elle a été bouleversée par l’accueil de la foule un soir au Centre Bell. Depuis des années, elle lisait des messages qui ridiculisaient la présence des femmes dans le gym. Elle s’était donc préparée à des huées… mais a reçu une ovation debout qui l’a émue au point de lui faire perdre partiellement sa concentration. Une autre combattante qui contribue au livre, Corinne Laframboise, affirme ressentir fréquemment du sexisme dans le milieu. Mais pour ta part, tu écris n’avoir jamais été témoin d’un tel comportement. As-tu été surpris par leurs histoires ?

PC : Ce n’est pas parce que je ne l’ai pas vu que ça n’existe pas. Peut-être qu’il y en a beaucoup plus dans des organisations régionales. Parce qu’à l’UFC, tout le monde était traité pareil. Dana White avait déjà mentionné dans le passé que jamais il n’y aurait de femmes dans l’UFC. Ça prenait Ronda Rousey, qui arrivait avec une forte personnalité et qui terminait ses adversaires aussi. Ça n’aurait jamais pu être quelqu’un d’autre qu’elle. Elle avait le profil parfait pour amener les femmes à l’UFC et aujourd’hui toutes celles qui se battent à l’UFC – que tu l’aimes ou pas, Ronda Rousey, parce qu’elle n’est pas facile à aimer, on va se le dire ! –, il faut que tu la remercies.

5. Superhéros

LP : Extrait : « Les coups de poing, coups de coude, on encaisse ou on tombe K.-O. C’est un des deux. Mais est-ce que ça fait mal ? Sur le coup, non. Il y a tellement d’adrénaline qu’on peut encaisser des coups qu’on ne pourrait jamais prendre à l’entraînement. On devient des super humains, des superhéros dans l’octogone. » Vraiment, jamais tu n’as ressenti de douleur instantanée pendant un combat ?

PC : Le seul coup, vraiment, que tu ressens, c’est un coup de pied dans les jambes. Un gros coup de pied qui va te geler le corps pendant cinq secondes. Mais, honnêtement, quand tu rentres au Centre Bell et qu’il y a 20 000 personnes qui crient, tu es capable d’encaisser beaucoup plus. Ça ne fait pas mal. Mais quand tu vas retourner dans le vestiaire après le combat, ça va prendre dix minutes et tu vas avoir mal partout. Le meilleur exemple : j’ai vu des combattants qui se sont cassé des tibias en frappant, ils sont sortis sur la civière et ils ne criaient même pas. Moi, je me suis cassé la main, j’avais une fracture ouverte en dessous de mon gant, j’avais mal un peu, mais quand on m’a enlevé mes gants et mes tapings, là oublie ça, c’était l’enfer.

6. « The Crow »

LP : Un chapitre est consacré à David Loiseau, alias « The Crow », le tout premier combattant québécois. Que représente-t-il pour toi ?

PC : C’est le pionnier, c’est lui qui nous a pavé la voie, et c’est une histoire un peu triste parce qu’il est tombé dans l’oubli. Et je comprends que Georges [St-Pierre], par la suite, est devenu une super vedette. Georges, c’est un ami, et pour moi c’est le meilleur combattant de tous les temps. Reste que David, en fin de carrière, je trouve que c’est triste comment c’est arrivé. C’est un sport qui est super ingrat. Tu gagnes, ça va bien, tu perds, tu es tout seul à manger le trouble. Ça dépend de l’entourage que tu as, mais il a été le premier Québécois à se rendre à l’UFC, et plus grand-monde ne sait qui il est. Beaucoup l’ont oublié, peut-être que ça fait son affaire, mais moi je trouvais important de faire ressortir que c’est grâce à lui que les Québécois, après, ont pu se battre à l’UFC.

7. Respect

LP : Tu racontes que ton plus beau souvenir en carrière est survenu après une défaite par décision partagée particulièrement difficile à digérer, à Las Vegas, en 2006. Tu étais inconsolable. « À un moment donné, j’ai vu Chris Leben [l’adversaire] entrer dans mon vestiaire. Il est venu s’asseoir à côté de moi, a posé une main sur ma cuisse et on est restés comme ça à échanger… pas un seul mot. Puis, au bout de 20 minutes, il m’a donné deux tapes sur la cuisse, s’est levé et est reparti. » Ça m’a rappelé Arturo Gatti et Micky Ward après leur troisième combat. Le doc de Ward tire le rideau, Gatti est de l’autre côté et la première chose qu’il lui dit n’est pas « good fight » ou un autre truc du genre. Gatti demande à Ward : « Mick, you OK ? » Quoi qu’on pense des sports de combat, il y a quelque chose de touchant dans ces moments, non ?

PC : C’est ce que j’essaie depuis des années de faire comprendre aux gens, que ce n’est pas juste deux gars dans une cage qui se frappent sur la gueule. C’est un des seuls sports qui se commence avec une poignée de main et qui se finit avec une poignée de main. Et même s’il y a eu un gros spectacle avant le combat, qu’on s’est envoyé promener, il reste que quand tu te bats pendant 15 ou 25 minutes, que tu te frappes dessus, il y a un respect naturel qui va se développer entre deux athlètes. Puis, à la fin, c’est sûr que tu vas le prendre dans tes bras, lui taper dans la main et lui dire « good job ». Il y a du respect parce que c’est un sacrifice corporel, ce sport-là. Donc, veut, veut pas, à la fin, ça se termine 98 % du temps par une accolade, et si les deux s’en vont à l’hôpital, ils vont sûrement prendre une photo ensemble parce qu’ils sont fiers de ce qu’ils ont fait ensemble. Je trouve ça important que les gens sachent ce qui se passe derrière les rideaux, une fois que c’est fini.

8. Commotions et société

LP : Dans le dernier chapitre, Valérie Létourneau dresse la liste de ses problèmes physiques. Mais ce qui l’inquiétait par-dessus tout, c’était les séquelles laissées par les commotions. Crois-tu qu’un jour les gens, les décideurs vont statuer qu’il n’est plus socialement acceptable de laisser des jeunes se lancer dans un sport qui a de fortes chances de leur endommager le cerveau irrémédiablement ?

PC : Si c’est ça, il n’y aura plus beaucoup de sports. Au hockey, il y a des problèmes de commotions. Au football aussi. Il va falloir arrêter tous les sports de contacts. Les gens s’arrêtent à la première image des arts martiaux mixtes. Ç’a l’air sauvage d’aller terminer quelqu’un qui tombe au sol, de sauter dessus. Mais à la boxe et au football, les coups à la tête, c’est à répétition dans le même match. En arts martiaux mixtes, si ça ne va pas bien, tu peux te coller, tu peux aller au sol, mais dès que tu ne te défends plus intelligemment, tu n’as plus de chances de revenir dans le combat comme avec le compte de huit à la boxe. J’adore la boxe, mais pour moi, le compte de huit, c’est ce qui est le plus dommageable. Le boxeur est déjà commotionné, mais l’instinct de guerrier fait qu’il va se relever. Donc, c’est sûr que si tu regardes quelqu’un sauter sur son adversaire en arts martiaux mixtes, ç’a l’air barbare. Mais c’est moins dangereux que des coups à répétition à la tête comme à la boxe.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L’HOMME

Dans l’octogone – Les dessous des arts martiaux mixtes, de Patrick Côté

Dans l’octogone – Les dessous des arts martiaux mixtes
Patrick Côté, en collaboration avec Joanie Godin
Les Éditions de L’Homme
256 pages