Éprouvée par l’AVC subi par son père, qu’elle a vécu à distance, la judoka Catherine Beauchemin-Pinard connaît les meilleurs moments de sa carrière

Catherine Beauchemin-Pinard a éclaté en larmes après son ippon par immobilisation contre la Polonaise Agata Ozdoba. Elle s’est donné une contenance le temps de saluer. Quand elle a quitté le tatami, les pleurs ont recommencé de plus belle. Pour de longues minutes.

Cette victoire assurait à la judoka la médaille de bronze au Grand Chelem d’Iekaterinbourg, le 16 mars. Elle lui permettait d’atteindre un objectif majeur : un premier podium chez les moins de 63 kg dans un tournoi de cette catégorie. Mais il y avait plus.

Quelques jours plus tôt, l’athlète de 24 ans était à Tokyo pour un stage d’entraînement. Son téléphone a sonné au petit matin. Sa mère avait probablement mal calculé le décalage horaire de 14 heures, s’est-elle dit. Elle a quand même eu un doute, confirmé par un message : « Rappelle-moi, c’est vraiment important. »

Son père, âgé de 64 ans, venait de subir un accident vasculaire cérébral (AVC). Après quelques heures inquiétantes et un transfert d’hôpital, son état s’était stabilisé aux soins intensifs. À l’autre bout du monde, Catherine Beauchemin-Pinard se demandait ce qu’elle devait faire. Revenir au chevet de son père, qui avait surmonté un premier AVC quelques années plus tôt ? Ou poursuivre sa route vers la Russie et ce tournoi crucial ?

Elle s’est donc rendue à Iekaterinbourg, le cœur déchiré et triste de ne pouvoir soutenir les membres de sa famille. Pendant ce temps, son père a eu quelques rechutes, une pneumonie, un problème avec sa gastrostomie, et est retourné aux soins intensifs.

« Un combat à la fois »

Deux jours avant son entrée en scène, elle a reçu une courte vidéo que sa mère lui a envoyée de l’hôpital. Son père avait pris du mieux, mais peinait à ouvrir les yeux et remuait à peine les lèvres. Elle pouvait tout de même comprendre ce qu’il voulait lui dire : « Rapporte-moi une médaille, ma championne. »

Avec son préparateur mental, Beauchemin-Pinard a établi une stratégie pour ce qui s’annonçait comme une journée stressante. Elle pouvait penser à son père à n’importe quel moment, sauf durant les quatre minutes de ses combats.

« J’y suis allée comme ça, un combat à la fois, et ça a super bien marché », nous a-t-elle raconté durant une entrevue à l’Institut national du sport du Québec, il y a une dizaine de jours.

À son retour à Montréal, elle s’est rendue directement à l’hôpital pour glisser sa médaille de bronze au cou de son père.

Les semaines suivantes n’ont pas été de tout repos. Peu après son transfert dans un centre de réadaptation, son père a été renvoyé à l’hôpital en raison de complications. Pendant ce temps, Beauchemin-Pinard se préparait pour les Championnats panaméricains de Lima, à la fin d’avril. Vidée sur le plan émotif, elle ne se sentait pas dans les meilleures dispositions avant cette échéance importante en vue des Jeux olympiques de Tokyo. Encore une fois, son préparateur mental, Jean-François Ménard, a mis les choses en perspective. Sa fatigue était compréhensible. Ses frustrations à l’entraînement ne la conduiraient pas automatiquement à une contre-performance.

« On dirait que tout s’est placé à la dernière minute, constate-t-elle. Le dernier week-end avant mon départ, j’ai dormi une nuit de 13 heures. J’ai fait un examen [en comptabilité à l’UQAM] avant de partir. Arrivée là-bas, je me sentais prête. »

Même si elle ne s’est pas battue de la façon dont elle l’aurait souhaité, Beauchemin-Pinard a gagné l’or face à une Cubaine qui l’avait vaincue un an plus tôt. Ce titre continental était son premier après quatre médailles d’argent et de bronze.

De Rio à Tokyo

À mi-chemin dans le processus de qualification pour Tokyo, elle occupe le huitième rang du classement mondial chez les 63 kg. Les 18 premières au 25 mai 2020 obtiendront un billet pour leur pays (maximum d’une par pays).

PHOTO JACK GUEZ, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Aux Jeux de Rio, Catherine Beauchemin-Pinard (en blanc) a été éliminée dès son premier combat, contre la Hongroise Hedvig Karakas.

Cinquième aux Mondiaux de 2015, la native de Saint-Hubert a vécu une déconvenue aux Jeux de Rio, l’été suivant. Elle s’est fait sortir dès son premier combat sur une pénalité face à une Hongroise. Encore aujourd’hui, elle peine à visionner la reprise.

« Je me sentais bien, j’avais bien fait ma perte de poids, je m’étais super bien préparée. La nervosité a peut-être embarqué un peu. Je n’ai peut-être pas assez attaqué non plus. […] À un moment donné, je l’ai quasiment eue en clé de bras au sol. Je l’ai échappée. Ça, je le regrette vraiment. Des fois, ça me revient en tête quand je travaille au sol. » — La judoka Catherine Beauchemin-Pinard, à propos de sa performance aux Jeux olympiques de Rio

À son retour du Brésil, Beauchemin-Pinard s’est heurtée à un mur. « Tout a éclaté, explique-t-elle. J’ai comme voulu tout faire : voir mes amis, faire un peu le party, manger. Vous savez, le judo est un sport de catégories de poids. On s’impose beaucoup de restrictions par rapport à la bouffe pour faire le poids. Je n’ai pas surveillé mon poids pendant un mois, un mois et demi. Quand j’ai regardé, j’étais rendue à 68 kg. »

Elle s’est acharnée à rester chez les 57 kg, la catégorie où elle est montée deux fois sur le podium aux Mondiaux juniors, réussite inédite dans le judo canadien.

À un certain moment, elle a dû perdre 10 kg en un mois et demi. « Ce n’était vraiment pas sain. […] Veux, veux pas, le fait de faire des pertes de poids à répétition, ça crée quelques problèmes alimentaires. »

S’adapter à une nouvelle catégorie

Sa nutritionniste l’a incitée à consulter une psychologue spécialiste de la question. Celle-ci l’a aidée à revoir sa relation avec la nourriture. Au bout du processus, elle a réalisé qu’elle aurait avantage à se battre chez les 63 kg, sa catégorie de poids naturelle de 2009 à 2013.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

« Ç’a été l’une de mes meilleures décisions. Je suis très bien classée pour les Jeux, je mange vraiment mieux, à ma faim ! Et mon poids est beaucoup plus facile à atteindre. Aujourd’hui, je me maintiens à 64, 65 kg. »

La transition face à des adversaires généralement plus grande n’a pas toujours été simple. Aux derniers Mondiaux, à Bakou, elle s’est encore inclinée au premier tour. Démotivée, elle a connu deux autres contre-performances à la fin de l’année au Grand Chelem d’Osaka et au Masters de Guangzhou.

Cette mauvaise tangente a pris fin en février au Grand Chelem de Paris (5e) et sa bonne séquence s’est poursuivie à Ekaterinbourg et à Lima. Beauchemin-Pinard a maintenant un nouvel objectif : remporter une première médaille d’or dans un tournoi de catégorie Grand Prix. Pourquoi pas à Montréal, qui accueillera un premier événement de cette envergure, du 5 au 7 juillet ?

En espérant que son père, qui prend du mieux et vient d’être transféré dans un centre de réadaptation, puisse être du nombre des spectateurs.

Prochain tournoi de Catherine Beauchemin-Pinard : Grand Prix de Hohhot, en Chine, du 24 au 26 mai.