Marie-Ève Dicaire respire la bonne humeur avant son entraînement public. Elle sourit et chantonne tout au long de l’échauffement. Puis, avant d’enfiler les gants, elle déroule son ruban qui vient gentiment fouetter le visage de son entraîneur, Stéphane Harnois. L’ambiance décontractée tranche avec le visage fermé de Mikaela Laurén qu’elle affrontera, ce soir, lors de la première défense de son titre de championne IBF des poids super-mi-moyens.

« La méthode de Marie-Ève, c’est le rire, confirme ensuite Harnois. Comme entraîneur de boxe élite, tu arrives dans le gym, tu dis ce qu’il faut faire et on se concentre là-dessus. Mais Marie-Ève, elle va sourire et saluer tout le monde. Par contre, quand c’est le temps de s’appliquer, elle le fait à merveille et elle écoute à 200 %. »

Harnois, ancien boxeur amateur et ancien adjoint de Marc Ramsay, connaît sa protégée sur le bout des doigts – ou des gants. Il l’avait rencontrée, il y a quelques années, lorsque les deux se croisaient dans le même gymnase. « À l’époque, j’avais vu qu’il avait beaucoup à m’apporter. Il avait saisi ma personnalité », se rappelle Dicaire.

Après une blessure majeure – une commotion cérébrale –, c’est vers lui que Dicaire s’est naturellement tournée. Assis côte à côte, la boxeuse eustachoise et son entraîneur rejouent une partie de la conversation qui a marqué le début de leur véritable collaboration il y a environ cinq ans.

« Je l’appelle et je lui dis : “Veux-tu t’occuper de moi ?” Il me répond qu’il a pris sa retraite de la boxe, mais il ajoute… »

« … “Je ne peux pas te dire non, alors on peut essayer quelque chose et je peux te donner un peu de mon temps.” De fil en aiguille, ça a continué comme ça », poursuit Harnois.

« Et maintenant, on se voit six jours par semaine. Je le vois plus souvent que mon conjoint. »

— Marie-Ève Dicaire, en rigolant

À ce moment-là, les deux établissent rapidement un plan de match. La priorité est de soigner la commotion cérébrale qui empêche Dicaire de se battre pendant environ un an. Harnois lui lance ensuite une succession de défis. Elle se rend en Ontario, soit l’endroit où elle aime le moins boxer (« Je suis trop flamboyante pour le public ontarien »). Elle affronte ensuite l’adversaire Kaitlyn Clark qu’elle juge comme son « pire adversaire possible ». Finalement, elle croise Carolyn Veyre à l’automne 2015.

Au fil de ce cheminement, et malgré les échos initiaux (« Ce que j’entendais n’était pas nécessairement positif selon moi »), Harnois comprend le potentiel de Dicaire, dont il vante la technique.

« Après ces trois combats-là, je lui ai dit qu’elle était prête à devenir professionnelle. On s’est assis et, pour de vrai, on a regardé les adversaires qu’on voulait affronter. Il y avait Cecilia Braekhus [actuelle championne WBC, WBA, WBO, IBF et IBO des poids mi-moyens] et Mikaela Laurén. Je lui ai dit : “Tu vois cette fille-là, tu vas être dans le même ring qu’elle d’ici deux ans.” Mais on ne voyait pas ça comme une défense de titre. »

« Le mari de ma meilleure amie »

Dicaire et Harnois sont indissociables dans cette ascension qui a culminé avec ce titre de championne du monde IBF des super-mi-moyens, le 1er décembre. Mais après tant d’heures à suer sur le ring, quelle relation entretient-on lorsque l’on quitte le gymnase ?

« Sa femme est ma meilleure amie. Quand je vais chez lui, je dis qu’il est le mari de ma meilleure amie, répond Dicaire.

« Je les laisse ensemble à la maison et je ne monte même pas les voir », complète Harnois.

« Dans le gymnase, je suis son pire ennemi dans le sens où je dois être la personne la plus critique. Le jour où je vais être trop amical, je risque de ne plus l’être complètement [critique]. »

— Stéphane Harnois

Ancienne propriétaire d’un dojo, Dicaire comprend parfaitement la position de son entraîneur. Il s’est adapté à sa personnalité et s’est détourné des « méthodes traditionnelles » qui, selon la principale intéressée, marchent « plus ou moins » avec elle. Mais cela n’a jamais empêché Harnois de lui dire la vérité, « que ça lui plaise ou non ».

« Avec mon passé d’enseignante en karaté, je suis capable de faire la part des choses entre Stéphane l’entraîneur et le Stéphane de l’extérieur. Quand il me fait des commentaires négatifs, ça n’affecte pas notre relation en dehors, dit-elle. De toute façon, il y a une belle chimie entre nous. On n’a pas besoin de se parler, il suffit de se regarder pour se comprendre. »

Où serait Dicaire sans cette belle rencontre ? Pas folle des hypothèses, elle esquive la question en abordant plutôt son bonheur actuel. « Je fais juste apprécier ce que j’ai dans la vie. Je me lève le matin, je boxe, je vis de ma passion et je mords dans la vie à pleines dents. C’est en grande partie grâce à mon équipe et à Stéphane », souligne-t-elle tout en le qualifiant de mentor.

Mentor ? « Je voulais dire menteur », plaisante-t-elle.

Les éclats de rire retentissent de nouveau dans le gymnase…