Lorsque Yvon Michel s'est réveillé samedi matin et qu'il a allumé son téléphone intelligent, son esprit a basculé à l'été de 1996 lorsqu'un déjeuner qui aurait pu être bien banal s'est transformé en un «moment de grâce» qui ne s'effacera jamais de sa mémoire.

Présent aux Jeux olympiques d'Atlanta à titre d'entraîneur de l'équipe nationale du Canada, Michel était attablé à la cafétéria des athlètes avec Gaby Mancini, qui était gérant de l'équipe.

«Soudainement, il y a eu un brouhaha et on a réalisé que Muhammad Ali arrivait dans l'allée, a relaté Michel, réagissant au décès d'Ali à l'âge de 74 ans, annoncé samedi matin. Évidemment, il avait toute sa suite et quand il est arrivé à notre hauteur, il s'est assis devant nous et il a demandé à déjeuner. Sa femme s'est assise à côté de lui, l'une de ses filles de l'autre côté, et il a commencé à jaser avec nous, comme ça, tout bonnement, a raconté le président de GYM samedi matin en entrevue à La Presse Canadienne.

«J'ai eu la chance de lui parler pendant une bonne trentaine de minutes. Il a pris le temps de déjeuner, on lui a apporté tout ce dont il avait besoin. Il n'était pas pressé et il faisait des blagues. Ç'a été un moment incroyable. Je n'ai jamais été autant impressionné», a ajouté Michel, précisant que Ali, ce jour-là, se portait bien.

Au passage, Michel a raconté un moment savoureux impliquant Mancini.

«Gaby a participé aux Jeux olympiques de Rome [en 1960] et il était dans le même dortoir qu'Ali. Il a commencé à lui parler et il lui a dit: ''Je ne sais pas si tu te souviens, je suis le Canadien qui te disait tout le temps de te la fermer pour qu'on puisse dormir le soir''. Et Ali lui a dit: ''Ah, c'est toi le gars qui n'arrêtait pas de m'engueuler!

À Atlanta, Michel avait eu le privilège d'assister à la cérémonie d'ouverture et à ce grand moment lorsqu'Ali a allumé la vasque olympique.

«J'ai été ému lorsque l'on a allumé la flamme aux Jeux de 1976 à Montréal, mais en 1996, en voyant Ali tremblant, on était tous émus en même temps que nous avions peur qu'il échappe la torche et qu'il se brûle.»

Michel reconnaît que Ali a eu un grand rôle à jouer dans son amour de la boxe. Mais il admet aussi qu'il n'a pas toujours été l'admirateur numéro un du controversé pugiliste.

«Comme beaucoup de gens, j'ai détesté Muhammad Ali au début. Il avait une grande gueule, il se prenait pour un autre, il disait qu'il était le plus grand alors qu'il n'avait encore rien accompli. Puis est arrivée l'histoire du Viêtnam. Mais j'ai commencé à avoir beaucoup d'admiration pour lui lors de sa défaite contre Joe Frazier en 1971. Il a perdu, il est allé au tapis, mais il s'est battu comme on ne le pensait pas capable de se battre. Avec détermination, ténacité. Il s'est fait frapper, mais il est revenu. Dans les autres combats, il donnait l'impression d'avoir plus de flamboyance que de substance. Mais contre Frazier, il a vraiment montré que la substance était plus grande que la flamboyance.»

Aujourd'hui, Yvon Michel affiche une admiration sans bornes pour Ali.

«Sa personnalité a transcendé depuis longtemps le monde des athlètes, du sport en général. Il a tellement eu une influence importante, pas seulement au sujet de la condition des Noirs, mais à partir du moment où il a démontré dans les années 60 qu'il était un homme de conviction, affirme-t-il. Quand il a décidé de ne pas aller à la Guerre du Viêtnam, il s'est aliéné la plus grande portion de la population blanche aux États-Unis, mais il a utilisé ses exploits sportifs, sa notoriété, pour tenter de faire un monde meilleur. C'est un homme qui était rempli d'amour pour son prochain, pour la condition humaine.

«Muhammad Ali est le plus grand sportif de l'histoire de l'humanité. Donc, quand un homme comme ça ne fait que te regarder, tu te sens bénis. Imagine en plus lorsqu'il s'asseoit devant toi et qu'il décide de passer du temps en ta compagnie.»

Un homme incomparable

Si Yvon Michel a eu la chance d'échanger avec Ali, Bernard Barré, le vice-président opération et recrutement chez GYM, n'a pas eu ce bonheur. Et ce, même s'il l'a vu en chair et en os lors des Jeux d'Atlanta.

«Je faisais l'analyse d'un combat quand soudainement tous les yeux se sont tournés dans la même direction vers quelqu'un entouré de sa garde rapprochée, au point où plus personne ne regardait le combat, a raconté Barré samedi matin à La Presse Canadienne. Muhammad Ali venait d'arriver et il avançait lentement. C'était le pape, le président des États-Unis, compare-t-il.

«J'étais tellement impressionné, mais il fallait que je continue mon travail d'analyste. Mais je voyais que personne ne s'intéressait à l'affrontement. Pauvre eux, c'est le combat le plus important de leur vie et personne ne se préoccupait d'eux», dit-il en parlant des boxeurs qui s'affrontaient à ce moment-là.

Si seulement Barré avait pu quitter son siège d'analyste et faire la file pour serrer la main de la légende, il sait très bien quel message il lui aurait livré.

«Je lui aurais dit que je l'admire. Il a été notre meilleur vendeur. J'ai passé ma vie dans la boxe et jamais personne n'a eu un impact comme lui au-delà du sport. Il a eu un impact au niveau politique, au niveau social et tout le monde a fait en sorte d'apprendre à le connaître. Les Bédouins dans le désert, et les indigènes dans la jungle le connaissaient.

«Muhammad Ali ne laissait personne indifférent. On l'aimait ou on le haïssait. Mais les gens n'étaient pas indifférents et ça lui a permis de recevoir d'importantes bourses. Il a touché 2,5 millions de dollars contre Joe Frazier, 5 millions contre George Foreman, 8 millions contre Larry Holmes. Il est le premier boxeur à avoir reçu des bourses de cette ampleur. Il faisait rouler l'industrie et il menait les projecteurs vers nous. C'est certain que je l'aurais remercié.»

Si Bernard Barré oeuvre activement dans le monde de la boxe depuis au moins trois décennies, c'est beaucoup grâce à Muhammad Ali. Celui qui s'appelait alors Cassius Clay, au début des années 60, lui a fait découvrir un sport qu'il a commencé à chérir alors qu'il fréquentait à peine les bancs d'école et surtout, un homme au charisme incomparable qui n'aura jamais son égal, croit-il fermement.

«Il m'a fait aimer la boxe, absolument, a-t-il admis. J'ai suivi sa carrière amateur alors que j'étais encore ''p'tit gars''. Lorsqu'il a participé aux Jeux olympiques de Rome je n'avais que six ans, mais déjà, j'entendais parler de lui parce que mon père était un amateur de boxe. Quand il a commencé à monter tranquillement en direction du championnat du monde qu'il a gagné contre Sonny Liston en 1964, là j'étais vraiment éveillé! J'avais hâte de lire le journal le matin pour voir ce qui s'était passé.

«Et quand j'ai commencé à vieillir un peu et que j'ai eu la chance de le voir à la télévision, j'étais très impressionné parce que je m'étais fait une idée d'un grand boxeur. Or, c'était au-delà de ce que j'avais pu imaginer, tellement il avait de talent, de charisme, et qu'il avait compris le principe: je te frappe, et tu ne me frappes pas! Mon amour de la boxe vient beaucoup de lui. Il a attiré mon attention dès mon jeune âge.»

PHOTO JEAN-MARIE VILLENEUVE, ARCHIVES LE SOLEIL

Bernard Barré, le vice-président aux opérations et au recrutement au sein du Groupe Yvon Michel