Dierry Jean était attendu à une séance d'entraînement publique en milieu d'après-midi, hier. Quelques minutes après le début de l'événement, le boxeur brillait toujours par son absence. Son entraîneur Mike Moffa s'est alors dirigé nerveusement vers la sortie du gymnase en tentant de le joindre au téléphone.

Jean a fini par se présenter peu de temps après, tout sourire, prêt à mettre les gants et à suer à grosses gouttes.

Ce n'est pas la première fois que Moffa s'inquiète ainsi pour son protégé. Trop souvent, il s'est demandé pourquoi il n'arrivait pas à avoir de ses nouvelles après un combat. Trop souvent, il découvrait que c'est parce que Jean avait de nouveau succombé à ses démons, l'alcool et le jeu. Et trop souvent, Moffa a dû ramasser à la petite cuillère celui qu'il a presque élevé comme un fils.

«Ça finissait toujours comme ça. Je l'amenais chez nous, et ensuite, on l'amenait en cure à [la Maison] Jean-Lapointe. C'était notre routine», raconte-t-il en entrevue avec La Presse.

Déjà traité vers la fin de 2014 pour ses dépendances, Jean a rechuté durant la période des Fêtes, l'an dernier. Une rechute précipitée par la mort de son frère Réginald, qui avait déjà été déporté en Haïti en raison de son historique criminel.

«Je ne pouvais plus gérer mes émotions, et c'est allé vers l'alcool, explique le pugiliste de 34 ans. Je ne pouvais plus contrôler cela. Je croyais que [l'alcool] était la manière la plus facile, mais non.»

Traitement choc

Estimant qu'il était devenu nécessaire de régler le problème avec un remède choc, le président d'Eye of the Tiger Management, Camille Estephan, a annoncé à la veille de Noël qu'il suspendait Jean jusqu'à nouvel ordre pour lui permettre de retourner en cure de désintoxication.

La suspension a été levée quelques semaines plus tard. Jean poursuit désormais le travail qu'il a amorcé et assiste régulièrement à des rencontres à la Maison Jean-Lapointe. Hier, il soulignait son 120e jour d'abstinence.

«C'est comme une leçon, admet-il. C'est comme si on me disait: si tu ne te réveilles pas, il sera trop tard. J'ai pris ça sérieusement et j'ai fait le nécessaire pour qu'ils me reprennent. J'ai fait de la thérapie et maintenant, ça va super bien.»

« C'est la première fois depuis qu'il est devenu professionnel que je le vois aussi heureux et aussi discipliné, tant au gymnase qu'à l'extérieur», affirme Mike Moffa.

N'empêche, un doute évident subsiste dans l'esprit du coach. Ça se voit quand on lui parle. Bien sûr, il se réjouit des progrès de son boxeur pour se libérer de ses dépendances. Mais l'expérience passée lui a appris à la dure que Jean demeure fragile malgré tout.

«Oui, ça me fait encore peur, avoue Moffa sans détour. Mais là, il m'encourage quand je le vois. Il a une bonne fille et une bonne blonde qui le surveille et qui fait attention à ce qu'il fait.»

Double combat

Dierry Jean (29-2, 20 K.-O.) remontera dans le ring le 13 mai au Métropolis, dans le cadre de la série Fightclub d'Eye of the Tiger. Il affrontera dans un combat préliminaire le Philippin Ricky Sismundo (30-9-2, 13 K.-O.), âgé de 29 ans. Ce sera son premier combat depuis la fin de sa plus récente cure.

Jean et Moffa le disent eux-mêmes, il s'agit d'abord et avant tout d'un duel de remise en forme pour le Québécois. «Avec cet adversaire, il est supposé gagner», affirme d'ailleurs l'entraîneur. Tous deux espèrent qu'une victoire permettrait à Jean de se battre à nouveau pour un titre mondial d'ici la fin de l'année.

Mais pour Jean, l'enjeu est bien plus grand. Il sait qu'il ne peut se permettre de perdre cet affrontement et, surtout, de replonger dans l'alcool une fois que la cloche se sera fait entendre. Il veut montrer à ceux qui ont cru en lui qu'ils ont eu raison de ne jamais le lâcher.

«C'est le combat de la dernière chance. Je me dis que si ça me cause encore trop de problèmes, il faudra que je raccroche les gants. Parce que de retomber encore, ce serait cracher sur la chance qu'on me redonne. Celle-là, c'est la bonne.»

«Ce sera deux gros combats. Un combat sur le ring et un combat après le combat», illustre quant à lui Moffa.

Jean souhaite prouver qu'il a enfin trouvé le moyen de dominer ses démons. Qu'il peut maintenant éviter de se tourner vers la bouteille pour célébrer la victoire ou oublier la défaite. Et du même coup, il désire montrer au public qui le verra à l'oeuvre vendredi prochain qu'il n'a pas dit son dernier mot.

«C'est ce combat qui va démontrer que je suis encore là et qu'il ne faut pas me perdre de l'oeil», conclut-il.