Chronomètre en main, Firas Zahabi réunit une quarantaine d'élèves autour de lui pour le début du cours de jiu-jitsu brésilien. Pendant plus de 90 minutes, le groupe tente d'imiter les techniques décortiquées par l'instructeur. Au même moment, des élèves répètent des mouvements dans un octogone - un cadeau de Georges St-Pierre - alors que des lutteurs effectuent leur entraînement au fond de la salle. Bienvenue au gymnase Tristar, épicentre des arts martiaux mixtes (AMM) au Canada et lieu reconnu mondialement.

«Mon groupe a tellement grandi. Là, ça représentait 60-70% du gym alors que j'ai commencé avec quatre ou cinq élèves, fait remarquer Zahabi. Ça ne fait que monter. J'enseigne à des hommes d'affaires, des mères de famille, des champions du monde d'arts martiaux, de jiu-jitsu ou de muay-thaï. On a des élèves de partout dans le monde et on a même un dortoir pour eux.»

Le gymnase, situé rue Ferrier à Montréal, est la deuxième maison de Zahabi. S'il en est le propriétaire depuis 2007, il y a d'abord approfondi les rudiments du jiu-jitsu sous les ordres d'Angelo Exarhakos pour ensuite l'enseigner à un petit groupe de passionnés. À l'époque, il n'imaginait ni l'explosion des AMM ni la possibilité de transformer ce gymnase en lieu de travail. «Je ne pensais jamais gagner ma vie avec ça. Je le faisais juste par amour, se rappelle-t-il. Mais après mon diplôme en philosophie à Concordia, je me suis dit que j'allais essayer de faire ce que j'aime. Sinon, j'aspirais à une carrière d'avocat. C'était soit l'un, soit l'autre».

St-Pierre ou Rory MacDonald, qui se battra pour le titre des mi-moyens en 2015, peuvent se réjouir qu'il n'ait pas exploré la deuxième option. Dans la mi-trentaine, Firas Zahabi - happé par le phénomène dès le UFC 1, en novembre 1993 - est le prototype même de l'expert en AMM. Plutôt que de se spécialiser dans une discipline, il a touché à tout dans sa jeunesse, jonglant entre les tournois de boxe, de lutte olympique ou de muay-thaï.

«(Le UFC 1), c'est ça qui a piqué mon intérêt pour le jiu-jitsu et le combat, commence-t-il par raconter avant de se replonger dans les réactions de sa famille. Mon père n'a jamais vraiment rien dit, mais ma mère n'aimait pas ça. Elle ne comprenait pas ce que c'était et elle avait peur. Mais moi, cela me plaisait puis, dans les combats amateurs, c'est plus sécuritaire que chez les pros. On porte des gants plus gros et des protège-tibias.»

Un duo marquant

Impossible de dissocier Zahabi de GSP, dont les portraits ornent les murs de la réception du gymnase. Dans leur histoire s'entremêlent d'abord les premières heures passées au Tristar ou les voyages à New York pour absorber les enseignements de Renzo Gracie. Puis, en 2007, la relation s'est définitivement muée en celle d'un entraîneur à temps plein face à son élève. C'est à cette époque, après une défaite surprise face à Matt Serra, que GSP a fait le grand ménage dans sa vie professionnelle.

«Georges cherchait un entraîneur d'arts martiaux mixtes et il n'en trouvait pas. Il n'y avait que des coachs de lutte ou de boxe qui ne comprenaient pas vraiment notre sport, explique Zahabi. Il m'a alors demandé de l'entraîner en me disant que je savais comment gérer l'entraînement avec ses points forts et les faibles.»

Fait à noter, l'entraîneur n'a que un an de plus que son célèbre protégé, alors que certains élèves sont carrément plus âgés que lui. «Le sport a le même âge que moi et j'ai grandi en même temps que lui. Il n'y a personne qui a une expérience de 10 ou 30 ans de plus, réplique-t-il. On a tous commencé en même temps et ce n'est pas comme si j'entraînais les échecs.»

Un généraliste

Par opposition aux experts de chaque composante des AMM, Firas Zahabi se définit lui-même comme un généraliste. Comme un observateur capable, «grâce à (son) bac de philosophie, d'analyser les problèmes et de trouver la solution». Dans son livre Le sens du combat, GSP vante justement la polyvalence de Firas tout en le comparant au personnage de Pai Mei, figure récurrente des films d'arts martiaux depuis plusieurs décennies. Comme le maître présent au grand écran, Zahabi est toujours en quête de savoir, ce qui le pousse encore à pousser les portes des gymnases de la famille Gracie, en Californie.

«Je m'entraîne sérieusement dans tous les arts. Je m'entraîne avec les meilleurs au monde dans toutes les disciplines. Je voyage et je fais tout pour apprendre, énumère-t-il. En tant qu'entraîneur, je dois voir et identifier si tu as un problème en jiu-jitsu ou ailleurs.»

Et comment aborde-t-il un combat? L'analyse vidéo est le point de départ d'une réflexion sur les forces et les faiblesses des deux combattants. Il doit connaître les attributs de l'adversaire autant que ceux de son propre athlète. Démarre alors la partie d'échecs dans son cerveau.

«Je dois anticiper les problèmes qui vont se présenter en fonction des styles. Le style influe beaucoup sur le combat. Tu peux avoir deux boxeurs, un boxeur contre un lutteur ou un gars qui fait beaucoup de coups de coude contre un spécialiste de jiu-jitsu. Il y a tellement de combinaisons qu'il faut tout prendre en considération et c'est ce qui rend la chose complexe.»

Avec les années et la notoriété acquise en UFC, Tristar est devenue une marque internationale. Et pour Zahabi, il n'y aucune raison pour que cela s'arrête maintenant. «Cette année, j'ai été classé numéro un par le site Sherdog et, honnêtement, cela m'a vraiment ému. Je veux que ça continue, que l'on forme de nouveaux athlètes et que l'on continue dans la même trajectoire. On a déjà huit autres Tristar autour du monde et la franchise grandit.»

En disant ça, l'entraîneur retourne sur les tapis pour combattre avec quelques-uns de ses élèves. Le temps de quelques minutes, il éprouve alors les mêmes sentiments qu'à ses débuts. Le savoir et la réputation en plus...