Au hockey, la gloire arrive vite. Des jeunes de 18 ans vivent déjà leur rêve d'enfance en enfilant le chandail de l'équipe qui les repêche.

Kevin Steen vit ce rêve d'enfance à 30 ans. Mardi, la WWE, la plus prestigieuse organisation de lutte professionnelle, l'a «repêché». Un contrat annoncé avec un article sur le site de l'entreprise, ce qu'elle fait rarement pour une embauche. Avec lui sur la photo, Triple H, qui a dominé son sport pendant 15 ans.

Ajoutez à cela Stone Cold Steve Austin et The Rock qui le félicitent sur Twitter. Les deux plus grandes vedettes depuis Hulk Hogan qui saluent un humble Québécois de 5 pi 11 po, un petit dans ce monde de géants. «Vraiment une journée spéciale», reconnaît Steen, au téléphone.

L'ascension

En écoutant l'histoire de Kevin Steen, on comprend mieux pourquoi il suscite l'admiration.

C'est à 11 ans qu'il a la piqûre. Une bonne vieille cassette, celle de Wrestlemania XI. En finale, Shawn Michaels se démène contre Diesel, un lutteur à qui il concède un pied. Ses acrobaties soulèvent la foule et font rêver le petit Kevin. «J'achalais mes parents pour qu'ils me trouvent une école de lutte», raconte-t-il.

Après un bref passage à l'école de lutte de Serge Jodoin, il s'inscrit à celle de Jacques Rougeau, où il livre ses premiers combats. Il y rencontre Éric Mastrocola, un lutteur - toujours actif - qui le prend sous son aile.

«Il apprenait vite, explique Rougeau, aujourd'hui promoteur de galas de lutte pour le public familial. Il était très expressif du visage, et ça, c'est un gros vendeur dans la lutte. Et il était très acrobate. Il avait plusieurs outils pour percer aux États-Unis. Mais je ne pensais pas qu'il était assez grand et gros pour se rendre. C'est une bonne nouvelle, et une bonne référence pour mon école!»

Au début des années 2000, des divergences de philosophie avec Rougeau amènent Steen à voler de ses propres ailes. Ses succès lui valent des invitations à lutter aux États-Unis, mais aussi au Japon, en Australie, en Allemagne, en Italie. À Montréal, ses plus grands combats ont lieu au Medley, où les chaises, les tables, les échelles et les néons ne sont pas ménagés. Il carbure à la passion pour son sport.

«C'est un maniaque. Il travaillait de nuit dans une station-service, il amenait sa télévision, ses vidéos et il regardait des combats pendant son quart de travail! Sa vie, c'était ça. Il n'a pas poussé ses études. Il luttait chaque week-end et faisait des jobines ici. Il a tout misé sur la lutte et ça a fonctionné», soutient Jean-Frédéric Clément, lutteur et ami de Steen.

«Pendant longtemps, j'avais un job du lundi au jeudi et je partais pour le week-end pour lutter, dit Steen. Et à partir de 2011, j'ai commencé à vivre de la lutte, grâce à mon contrat avec Ring of Honor (ROH). Mais même là, je rêvais de me rendre à la WWE. Tout ce que j'ai fait, c'était pour m'y rendre.

«Je n'ai jamais cessé d'y croire, mais à un certain point, j'ai cessé d'y rêver. Si ça arrivait, tant mieux. Je voulais nourrir ma famille et c'était ça, l'important. Mais je n'ai jamais arrêté de travailler pour m'y rendre.»

Deux barrières abattues

L'an dernier, pendant un gala en Californie, il réalise qu'un agent de la WWE, l'ancien lutteur William Regal, épie son combat. Il lui en met plein la vue.

«C'était un de mes meilleurs matchs, estime le Marievillois. Quelques jours plus tard, j'ai reçu un courriel pour une invitation à un camp d'essai, et je suis le premier de ce camp à me faire engager.»

«Je suis fier de Kevin parce qu'il a bûché dans la vie, il ne s'est jamais arrêté aux embûches qu'affrontent les lutteurs, surtout les Québécois avec la langue, et en plus, il a franchi l'obstacle de la grandeur», estime Marc-André Boulanger, lutteur et parrain du fils de Steen.

Deux Québécois

Steen se rapportera à NXT, la filiale de la WWE, où il renouera avec un autre Québécois, Sami Zayn, longtemps partenaire de Steen sous le nom d'El Generico.

«Avant, un Québécois avait presque plus de chances de jouer pour le Canadien en grandissant dans Hochelaga que d'atteindre la WWE, estime Patric Laprade, coauteur d'À la semaine prochaine, si Dieu le veut! D'avoir ces deux gars-là, ça pourrait aussi inciter la WWE à revenir à la télévision en français, à faire en sorte qu'un jeune voie Kevin et Sami, deux Québécois, et se dise: «J'aimerais ça faire ça.»

Steen a été inspiré par Shawn Michaels et Steve Austin. Avec le parcours qu'il a connu, il pourrait déjà inspirer des plus jeunes.

Les prochaines étapes

Kevin Steen a beau avoir en poche un contrat avec la WWE, ce n'est pas demain qu'on le verra dans les grands événements à la télévision à la carte, ou à Raw, émission diffusée chaque lundi et regardée par quelque 4 millions d'Américains.

À compter du 25 août, l'athlète de Marieville fera ses classes à NXT, la filiale de développement de la WWE, basée près d'Orlando, où Steen a d'ailleurs déménagé. NXT diffuse tout de même une émission hebdomadaire d'une heure, où les étoiles de demain tentent de se démarquer dans l'espoir d'être «rappelées».

Entre ces galas, les lutteurs sont soumis à un entraînement rigoureux, cinq jours par semaine. Le matin dans l'arène, l'après-midi au gymnase. Le vendredi et le samedi soir, ce sont des galas dans la région d'Orlando. «Comme un job», illustre-t-il.

«Des gars sont là depuis huit mois et n'ont pas encore lutté à la télévision ou dans les galas non télévisés, raconte Steen au bout du fil. Sami Zayn (l'autre Québécois à NXT) était à la télévision après trois mois. Je ne sais pas comment ça ira pour moi.

«En ce moment, je ne pense pas à Raw. Je pense aux étapes. Une fois que j'en ai fait une, je passe à l'autre. Quand j'ai commencé avec Jacques Rougeau, je voulais lutter dans un gala. Ça a pris six, sept mois. Donc là, je pense simplement à passer à la télévision pour NXT.»

Selon Patric Laprade, coauteur d'À la semaine prochaine, si Dieu le veut!, les chances de Steen d'être promu sont très bonnes.

«Il a atteint une étape restreinte, et c'est déjà un succès en soi. Ses chances sont bonnes, explique Laprade. Mais il y aura aussi une question de timing, de même que le personnage qu'ils vont développer. Contrairement à un joueur de hockey, il n'y a pas que les performances. C'est évident que s'il lutte mal, si son travail au micro n'est plus au niveau, ça ne marchera pas. Mais je ne vois pas pourquoi il perdrait ces talents.»

Selon Laprade, l'histoire récente laisse croire à un avenir radieux pour Steen.

«Dans les dernières années, les vedettes des circuits indépendants ont eu la cote quand elles sont passées à la WWE. Ça a commencé avec C.M. Punk, Daniel Bryan, Cesaro et The Shield. La WWE a eu de bonnes expériences avec des lutteurs indépendants. C'est à Kevin de poursuivre ça.»

Reste à voir comment s'appellera Kevin Steen avec son nouvel employeur. À l'exception de C.M. Punk, l'écrasante majorité des vedettes des circuits indépendants ont dû changer de nom une fois à la WWE.

«La WWE préfère leur attribuer un nouveau nom sur lequel elle garde les droits. Ainsi, s'ils quittent la compagnie après avoir connu du succès, ils ne peuvent pas utiliser ce nom et leur valeur diminue», explique Laprade.

Photo Patric Laprade, collaboration spéciale

«Des gars sont là depuis huit mois et n'ont pas encore lutté à la télévision. Je ne sais pas comment ça ira pour moi», s'interroge Kevin Steen.

Les visages actuels de la lutte québécoise

La lutte québécoise n'est peut-être plus ce qu'elle était à l'époque de Lutte Internationale, de Dino Bravo, de Rick Martel et des frères Rougeau, mais elle produit néanmoins son lot de vedettes auprès des plus fervents amateurs. Kevin Steen était l'une d'elles. En voici d'autres.

Jean-Frais (Jean-Frédéric Clément)

Emploi: directeur adjoint, recrutement de la relève, Ordre des CPA du Québec

Championnat: champion poids lourds TOW

Prise finale: marteau-pilon

Essai: avec la WWE le 31 mai 2004 au Centre Bell, en équipe avec Éric Mastrocola, contre Hurricane et Rosey

Photo fournie par le lutteur

Jean-Frais (Jean-Frédéric Clément)

Dru Onyx (Rodney Kellman)

Emploi: propriétaire de l'école de lutte Torture Chamber, à Montréal-Nord

Championnats: champion par équipe TOW avec Éric Mastrocola

Prise finale: le Roadkill

Essai: trois fois pour la WWE, dont une fois à Ottawa

Photo fournie par le lutteur

Dru Onyx (Rodney Kellman)

Franky TM (Marc-André Boulanger)

Emploi: Institut Philippe-Pinel et quelques rôles au cinéma et à la télévision

Championnat: ex-champion poids lourds TOW

Prise finale: la preuve de crédibilité

Essai: un à Ottawa en 2006, au Centre Air Canada en 2008 et trois jours de suite en 2009, dont un au Centre Bell, chaque fois pour la WWE.

Photo fournie par le lutteur

Franky TM (Marc-André Boulanger)

Le tabar*** de team (ou TDT)

Noms: Mathieu St-Jacques (Mathieu Laframboise) et Thomas Dubois

Emploi: soudeur et manoeuvre spécialisé sur l'asphalte

Championnats: champions par équipe C4 (Ottawa) et NSPW (Québec)

Prise finale: la taxe de bienvenue

Essai: aucun à la WWE. Un pour Ring of Honor, en 2013, à Toronto.

Photo fournie par les lutteurs

Mathieu St-Jacques (Mathieu Laframboise) et Thomas Dubois

Lufisto (Geneviève Goulet)

Emploi: étudiante diplômée en design graphique

Championnat: championne WSU (New Jersey)

Prise finale: le Burning Hammer

Essai: «Je n'ai jamais eu d'essai à la WWE, mais j'ai souvent lutté au Mexique, au Japon, en Europe et aux États-Unis.»

Photo fournie par la lutteuse

Lufisto (Geneviève Goulet)