C'est une photo dans le casier d'un boxeur. Une photo qui raconte une histoire. Celle d'une longue amitié entre un entraîneur et son protégé. Celle d'un entraîneur qui pense que son poulain doit accrocher les gants pour ne pas subir de dommages irréversibles. Celle d'un boxeur qui jure qu'il n'est «pas fini», qui rêve de redevenir champion du monde.

La photo raconte l'histoire de Stéphan Larouche et de Lucian Bute. Elle explique aussi en grande partie pourquoi les deux ont annoncé mercredi la fin de leur association de plus de 10 ans. Pourquoi, l'espace d'une conférence de presse, les deux amis ont choisi de tourner l'une des plus belles pages de l'histoire de la boxe au Québec.



Un jour de 2003, un jeune boxeur de 23 ans arrive au Centre Claude-Robillard, dans le nord de la ville. Lucian Bute a été recruté pour relancer InterBox et, qui sait, devenir un jour champion du monde. Il débarque de Roumanie. Il laisse derrière lui ses amis et sa famille. Mais il en trouve une nouvelle à Montréal.

Même s'il n'a que 13 ans de plus que lui, l'entraîneur l'accueille un peu comme un fils. Ce jour-là, Stéphan Larouche entraîne Lucian Bute dans les dédales du Centre Claude-Robillard. Les deux s'arrêtent devant un photomaton. Le jeune Roumain s'assoit. La machine s'active dans un petit boucan et crache des photos de format passeport.

Dessus, on voit un Lucian Bute de 23 ans. Il sourit. Mais ce qui frappe, c'est son visage immaculé. C'est la figure d'un boxeur qui n'a encore livré aucun combat professionnel.

De retour dans le gymnase, Larouche accroche les photos dans le casier de Lucian Bute.

«Tu vois ton visage? lui demande Larouche. Le jour où tu vas prendre ta retraite, je veux que tu ressembles à ça, tu comprends? J'ai vu trop de gars livrer un combat de trop. Pas toi.»

Larouche a des doutes

Stéphan Larouche ne le dira pas devant les micros et les caméras. Il a trop de respect pour Lucian Bute pour le faire. Mais cette photo et ce qu'elle représente ne sont pas étrangers à sa décision de se séparer de Bute.

Après la défaite de son poulain contre Jean Pascal, en janvier dernier, il s'est assis quelques fois avec lui pour discuter de la suite des choses. La Presse a appris que, sans détour, Larouche a fait savoir à Bute que le temps était peut-être venu d'accrocher les gants.

«Il me l'a dit, a confirmé Lucian Bute mercredi. Mais c'est moi, en définitive, qui prends la décision. Et je ne pense pas être un gars fini. J'aimerais redevenir champion du monde. J'ai 34 ans, il me reste deux ou trois années encore.»

Larouche n'est pas d'accord. La raclée subie en mai 2012 contre Carl Froch a marqué autant le boxeur que l'entraîneur. Le combat contre Denis Grachev n'a convaincu personne. La défaite contre Pascal n'a rien arrangé.

«C'est rare qu'un boxeur termine sur de bons moments. C'est très rare. Des fois, il faut choisir le bon moment, croit Stéphan Larouche. Pour ça, il ne faut pas écouter son coeur, il faut écouter sa tête. Si tu attends trop, la tête n'est plus là et il ne reste que le coeur.»

Larouche n'était pas à l'aise avec l'idée de continuer, ni avec celle d'être dans le coin de Bute si jamais ce combat de trop survenait. En entrevue, l'entraîneur rappelle souvent qu'il regarde son sport bien en face. Il sait que la boxe est dangereuse pour la tête. «Des fois, j'aimerais ça que mes boxeurs aillent faire un tour au Temple de la renommée une fois dans leur vie pour rencontrer leurs idoles. Ils se rendraient compte que certains n'ont plus toute leur tête.»

Bute y croit encore

Dans les dernières semaines, après être rentré de ses vacances en Roumanie, Bute a consulté plusieurs spécialistes. Il voulait découvrir ce qui n'allait pas; ce qui expliquait pourquoi il arrivait à dégommer ses partenaires d'entraînement au gym mais figeait le soir du combat. Il voulait redevenir le même champion qu'avant. Sa conclusion? Les choses peuvent s'arranger. Il peut continuer. Sa décision n'est pas motivée par l'argent: Bute a investi ses gains intelligemment et détient quelques immeubles d'appartements à Montréal. Non, il croit simplement avoir encore des choses à prouver. «J'ai encore le goût de la boxe, dit-il. Je n'ai pas tout dit ce que j'avais à dire dans la boxe.»

Il parle vaguement d'une revanche contre Pascal, avec encore moins d'aplomb qu'à l'époque où il parlait d'une revanche contre Froch. Il devra d'abord se trouver un nouvel entraîneur, puis disputer un combat de remise en forme à l'été ou à l'automne. «Ça prendra des mois», dit-il.

Stéphan Larouche aussi a réfléchi. Il a conclu que si son boxeur se donne une dernière chance, ce sera sans lui. Il a annoncé sa décision à l'athlète mercredi matin, quelques instants avant la conférence de presse. «Je ne pense pas que Lucian veuille me laisser. Mais pour son bien, je vais devoir me tasser, explique Larouche. Il lui reste deux, trois ans tout au plus. Changer d'entraîneur sera pour lui comme un vent de fraîcheur.»

Ce sera aussi sa dernière chance.

À la même époque où la photo de Lucian Bute a été scotchée dans son casier, le boxeur a promis quelque chose à Larouche. «Je ne suis pas du genre à avoir plusieurs entraîneurs, lui a-t-il dit. Je veux n'en avoir qu'un seul chez les professionnels, ça va être toi. On ne va jamais se laisser.»

Onze ans plus tard, la photo est encore là, accrochée dans le casier de Lucian Bute, dans le même sous-sol de ce même Centre Claude-Robillard. Le visage du boxeur a un peu enflé. Il a pris quelques rides. Avec l'aide de Stéphan Larouche, Bute est devenu champion du monde. Il a défendu son titre un total ahurissant de neuf fois. Il a appris le français, est devenu l'un des plus grands champions de l'histoire de la boxe au Québec. Les deux hommes sont aussi devenus amis.

La photo est toujours là. Et Stéphan Larouche se rappelle certainement encore des mots qu'il a prononcés ce jour de 2003: «J'ai vu trop de gars livrer un combat de trop. Pas toi.»

Photo André Pichette, La Presse

Lucian Bute repousse l'idée de prendre sa retraite.