Jean Pascal est un boxeur malin. Il a aussi un très bon menton, une vitesse respectable, un style compliqué. Mais son principal atout dans son combat contre Lucian Bute pourrait être son coeur. Jean Pascal est orgueilleux... sur les réseaux sociaux comme sur un ring.

«Je veux monter sur le ring en deuxième.»

Nous sommes en mars 2013. Les négociations s'étirent pour organiser le plus gros combat de l'histoire de la boxe québécoise. Les discussions achoppent sur quelques points.

À un moment, on frôle la catastrophe. Jean Pascal est à deux doigts de tweeter la phrase suivante: «Le combat contre Bute est off.» Mais un appel du promoteur de Lucian Bute, Jean Bédard, sauve la mise. Il invite Pascal à souper. Les deux hommes se parlent autour d'un steak. Le combat est sauvé.

C'est à ce moment, alors que toute l'affaire semble enfin résolue, que Jean Pascal y va de sa dernière demande: «Je veux monter sur le ring en deuxième.»

L'ordre de marche au ring n'est pas anodin en boxe. La tradition veut que le champion marche vers l'arène en second, histoire de laisser l'aspirant poireauter entre les câbles quelques minutes de plus.

Mais pour un combat entre Lucian Bute et Jean Pascal, comment trancher? Aucun des deux n'est champion. Chacun est à la maison.

Le plan initial consiste à tirer au hasard l'ordre de marche au ring. Mais Pascal refuse. Comme ça l'est souvent avec lui, il s'agit d'une question de respect. Du respect qu'on lui doit, en l'occurrence.

Voici comment Pascal fait valoir son point. Pour pouvoir affronter Bute, il a dû annuler un combat contre celui qui était alors champion WBC, Chad Dawson.

Pascal soutient donc qu'il devrait logiquement marcher en deuxième parce qu'il était plus proche d'un titre que Bute... Dans le clan adverse, on accède à sa demande sans trop de difficulté.

«Lucian se foutait pas mal de marcher premier ou deuxième», dit-on dans l'entourage du Québécois d'origine roumaine. Bute demande en échange de pouvoir utiliser le soir du combat son vestiaire habituel au Centre Bell. L'affaire est réglée.

Les sceptiques confondus

L'épisode peut sembler banal. Il illustre toutefois à merveille le caractère de Jean Pascal, un boxeur fier et orgueilleux qui se bat depuis ses débuts pour la reconnaissance.

«Quand Jean, qui était champion junior, est passé chez les seniors à 18 ans, tout le monde disait qu'il ne serait pas capable de devenir champion québécois, se rappelle son entraîneur Marc Ramsay. Puis il a remporté les gants dorés seniors. Là, les gens disaient qu'il ne deviendrait jamais champion canadien. Il est devenu champion canadien senior. Là, les gens ont dit qu'il se ferait ramasser aux championnats du monde. Il a fini cinquième aux championnats du monde. Tout ça à 18 ans.

«Les doutes, Jean ne connaît pas ça», lance-t-il.

Sylvain Gagnon est le premier entraîneur de Jean Pascal. Il se souvient du jour où le jeune de 13 ans est débarqué au club de boxe Champions, dans l'est de Montréal. «C'est son grand frère qui me l'a amené. Ce qui m'avait frappé, c'est à quel point ce petit gars-là était déterminé.

«Je me rappelle que Ti-Guy Émond était passé au gymnase. Je lui avais pointé Jean et lui avais dit: «Ce petit gars-là va devenir champion du monde.» Quand Pascal est devenu champion, Guy m'a appelé pour me féliciter.»

Sylvain Gagnon comme Marc Ramsay en conviennent: Jean Pascal carbure à l'orgueil. «Tous les athlètes sont orgueilleux. C'est dans leur nature. Mais chez Jean, c'est très, très prononcé», explique Ramsay.

Dans l'entourage de l'ancien champion du monde, on chuchote qu'il ne craint rien comme de perdre la face. Cette préoccupation est décuplée dans un combat local, alors que les deux boxeurs se disputent la faveur de la foule.

«Un combat local, ça fouette mon ego, explique Pascal, joint au téléphone en Californie où il termine son camp d'entraînement. Si je perds ce combat-là, je vais avoir la queue entre les deux jambes. Ça va être dur sur mon orgueil!»

Canaliser l'orgueil

L'orgueil sera une arme essentielle pour Pascal samedi soir prochain. Mais Ramsay précise qu'il s'agit d'un outil délicat. «Chez lui, ça peut être un couteau à double tranchant. Il faut savoir canaliser ce sentiment», dit-il.

«Si on en perd le contrôle, l'orgueil peut avoir raison du plan de match durant un combat. En même temps, c'est un outil formidable. Quand je sens que Jean n'en donne pas assez, je m'en sers pour le piquer et lui redonner de l'intensité.»

Pascal est bien entouré. Toute une équipe autour de lui travaille à faire de son orgueil une arme redoutable. Le psychologue sportif de l'Université Laurentienne Robert Schinke travaille aux côtés du boxeur pour le préparer mentalement au combat de samedi soir.

En attendant de le voir dans un ring, dans une semaine, l'orgueil de Pascal est en vitrine sur les réseaux sociaux. Il y a quelques jours, il a pris à partie sur Twitter les journalistes qui écrivaient «Bute-Pascal» plutôt que «Pascal-Bute» pour désigner leur combat. Son nom est en premier sur les affiches promotionnelles, a insisté Pascal, pourquoi décider d'inverser l'ordre? En premier sur les affiches, en deuxième à marcher au ring...

Pascal se bat depuis des années pour la reconnaissance. Au début chez les amateurs, puis chez les professionnels. Au moment de leur montée au sommet simultanée il y quelques années, Pascal et Bute revenaient souvent dans les conversations des amateurs. À l'époque, la plupart voyaient Bute sortir grand gagnant.

Les choses ont changé depuis. Pascal est aujourd'hui favori. Mais il n'a pas oublié les jours pas si lointains où on lui préférait Lucian Bute.

«Ça m'a motivé, les gens qui doutent de moi. Parce que moi, j'aime ça avoir raison. J'aime ça avoir le dernier mot», lâche Pascal.

Il aura 12 rounds pour avoir le dernier mot samedi prochain. Douze rounds ou un peu moins, si les choses se déroulent comme il l'espère...