À 4 ans, Adonis voit un homme se faire assassiner sous ses yeux. À 14 ans, il claque la porte de la maison. Il dort souvent dans le métro. À 20 ans, son gang de rue gère une agence d'escortes. Les filles sont battues à répétition. À sa sortie de prison, il retourne à temps plein au gymnase. Sa longue marche vers la rédemption commence. Voici la vraie histoire de Superman.

LE CHOC

Début des années 80, Port-au-Prince. Adonis Stevenson vit chez sa grand-mère à Carrefour, quartier populaire de la capitale haïtienne. Il ne se souvient pas de son âge exact, pas plus de 4 ans, croit-il.

Comme chaque jour, il s'amuse dans la rue avec les autres enfants. Soudain, un tonton macoute fait irruption et tire une balle dans la tête d'un homme, à bout portant.

Les morceaux de cervelle éclaboussent le sol. Les gens courent se cacher.

«J'ai revu longtemps la scène dans ma tête.»

Sa mère a déjà immigré à Montréal d'où elle envoie un peu d'argent chaque mois en attendant d'en avoir assez pour faire venir le reste de la famille.

Adonis n'a jamais connu son père, mort avant sa naissance. Il lui a été décrit comme un athlète, un maître de karaté. Sa mort est nébuleuse. Certains disent qu'il est mort empoisonné à la suite d'un rituel vaudou. D'autres, qu'il a péri à la suite d'un coup au coeur reçu lors d'un combat.

L'enfant rejoint sa mère à Montréal en 1984. Il a 7 ans. Il atterrit dans un petit logement de la rue Barclay, dans Côte-des-Neiges, avec son frère aîné et une soeur plus jeune.

Sa mère a refait sa vie avec un Québécois avec qui elle aura trois autres enfants. De plus en plus à l'étroit, ils déménagent dans un modeste bungalow de Laval.

Adonis n'a pas le droit d'inviter d'amis à la maison. Elle est déjà trop pleine.

À 14 ans, il claque la porte. Il vit dans la rue. «C'est là que je me sentais bien.» Il dort chez des amis ou dans le métro.

«Quand le métro ouvrait, vers 5h, j'embarquais à Henri-Bourassa et je dormais jusqu'à Côte-Vertu. Puis je refaisais le trajet en sens inverse. J'étais instable», raconte-t-il.

L'instinct du lion

Début des années 90, Montréal. Une bande de jeunes Noirs entre dans le gymnase de kickboxing de Tiger Paul, sur l'avenue Papineau.

Parmi eux, le jeune Adonis.

Tiger Paul le remarque tout de suite. À 15 ans, il est le plus costaud du groupe.

C'est le chef de la bande, Bélande Thadal, surnommé Fox, qui, du haut de ses 17 ans, ordonne à l'entraîneur d'expérience d'«évaluer ses gars».

«Je veux savoir qui a une chance d'aller plus loin», insiste Fox.

Sa bande a un nom: les Black Panthers. Selon la police, elle est affiliée à un gang majeur d'allégeance bleue, les Crack Down Posse.

Tiger Paul ne se laisse pas impressionner. Il enseigne quelques rudiments aux jeunes et les fait combattre.

«Les gars n'avaient pas de technique, raconte-t-il. Mais Adonis avait une force incroyable pour son âge.»

Au terme de la première séance, l'entraîneur annonce à Fox que le meilleur, c'est Adonis. «Il était comme un animal. On n'apprend pas à un lion à se battre. Il le sait d'instinct.»

Fox lui remet un peu d'argent pour financer l'entraînement de son poulain. Le jeune homme se prend déjà pour son agent. Pour le meilleur. Et, surtout, pour le pire.

Un jour, Adonis dit à Tiger qu'il ne croit pas que le kickboxing va le rendre riche. La boxe serait plus payante, pense-t-il. L'entraîneur le dirige vers un confrère à Brooklyn, qui accepte de le prendre sous son aile.

Vers l'âge de 18 ans, Adonis ne fait ni une ni deux et part aux États-Unis. Fox est du voyage. Là-bas, on lui offre une allocation de subsistance. L'entraîneur veut toucher 35% de ses bourses à venir. Fox s'y oppose.

«J'avais dit à Adonis de ne pas s'occuper de Fox et de signer le contrat. Il ne m'a pas écouté», déplore Tiger Paul, père spirituel du boxeur.

À l'époque, Tiger part pour Haïti. Il croit son poulain en train de parfaire les rudiments de la boxe à Brooklyn.

Adonis entame plutôt le début de sa carrière criminelle à Montréal.

Un enfant influençable

La mère d'Adonis, Colette Adonis (il inverse son nom et son prénom en boxe), défend son fils. Plus jeune, il était naïf, influençable, dit-elle.

Fox a déjà fait croire à Adonis qu'ils étaient cousins, car leurs mères venaient toutes deux de la région des Cayes, en Haïti.

Il a dit ça seulement pour profiter de lui, dit la sexagénaire. «Ses problèmes ont commencé quand il l'a rencontré.»

Entre ses six enfants à élever et son emploi de préposée aux bénéficiaires, la mère n'avait jamais de répit. Son fils s'est mis à lui désobéir à l'adolescence. Il n'était jamais à la maison. Elle ne savait pas avec qui il traînait.

Aujourd'hui, elle est fière de ce que son fils est devenu. Les nombreux trophées gagnés par Adonis en boxe amateur qui trônent sur la table du salon du modeste bungalow de Laval en témoignent. Son fils a commis une «erreur de jeunesse», dit-elle.

«Personne n'est parfait. Son passé est derrière lui. Il est sur le bon chemin.»

LA NOIRCEUR

12 septembre 1998, à Anjou. La tension est à son comble dans le quatre et demie délabré de la rue Judith-Jasmin. Deux jeunes prostituées, Roxanne et Isabelle (noms fictifs), ont comploté pour faire assassiner Stevenson et Fox, selon les documents judiciaires consultés par La Presse.

Stevenson a 21 ans, Fox, 23. Toujours inséparables, ils ont fondé une agence d'escortes, l'agence Obsession, avec un autre membre du gang, Pascal Almonacy. Un quatrième homme se joindra à eux plus tard.

Les filles travaillent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Elles ont entre 17 et 25 ans. Elles n'ont pas le droit de sortir de l'appartement sans autorisation. Chacune est amoureuse d'un gars du gang.

Adonis est le pimp de deux filles. Isabelle est déjà danseuse érotique quand elle le rencontre. «J'en veux un comme ça», lance-t-elle en le voyant. Il recrute la seconde, Véronique, à la Ronde, où elle travaille. À la fin d'un de ses quarts, il l'invite à un party. Elle est prête à faire «n'importe quoi pour lui», racontera-t-elle plus tard au procès.

Il leur promet des fiançailles. D'ici là, il faut amasser beaucoup d'argent. La prostitution, c'est «temporaire». Un moyen rapide d'arriver à leurs fins.

Les membres du gang récoltent l'argent à même les sacs à main des filles. Il leur laisse 10 ou 20 $ par jour pour manger au McDo. C'est 120 $ de l'heure pour une relation sexuelle complète. Isabelle estime qu'en quelques mois, elle a remis environ 40 000 $ à Stevenson.

Vengeance au salon

Au fil des mois, le climat se dégrade. Les filles se font tabasser lorsqu'elles ne rapportent pas assez d'argent. Fox les viole quand ça lui chante.

Un jour, Isabelle confie à Roxanne qu'elle a envie de tuer Stevenson. Il la frappe de plus en plus souvent. Un jour, il lui montre un couteau et lui dit de choisir: ou elle se rentre l'objet dans l'anus, ou elle se fait sodomiser.

Roxanne convainc Isabelle qu'il vaut mieux faire tuer le chef, Fox. Elle a un client régulier qui peut s'en charger.

Avant que le complot ne se concrétise, Isabelle déballe tout à Fox. Il est furieux. Ce soir-là, le gang décide de punir Roxanne. Isabelle est forcée de regarder.

Fox part le bal et saute carrément sur Roxanne, assise sur le divan du salon. Stevenson et Pascal se mettent de la partie. Le sang gicle. Fox sort un couteau et vise le bras de la jeune femme. À plusieurs reprises, il arrête la lame à quelques millimètres de sa peau.

«Tout le monde m'a frappée, dans le fond. Tu manges des coups de poing sur la tête, dans les côtes, dans la figure», dira Roxanne au procès.

Elle a le nez brisé, la mâchoire fracturée. Tous ses membres la font souffrir. Le lendemain, elle se fait battre à nouveau. Épuisée, elle dénonce Isabelle, qui «vole» le gang en conservant l'argent des «extras» donnés aux clients.

C'est au tour d'Isabelle d'y passer. Stevenson la frappe une première fois au visage.

«Après ça, il a pris un couteau, il me l'a accoté sur les doigts, à l'envers, là, mais il poussait pareil, tu sais, je sentais la pression du couteau», témoignera-t-elle au procès.

Stevenson ne mettra pas sa menace à exécution et finira par lui dire: «Viens te coucher. Tu sais que tu es ma femme puis que je t'aime, hein?»

Tous les coups sont permis

Pour poursuivre la torture, les gars ont une nouvelle idée. Ils organisent un combat de boxe entre les deux «conspiratrices».

Stevenson leur prête chacune une paire de gants. Tous les coups sont permis. «Si je ne mettais pas Isabelle knock-out, c'était Fox qui me mettait knock-out», a expliqué Roxanne au procès.

Fin septembre, à force de supplications, Roxanne obtient la permission d'aller manger avec son père. Elle jure qu'elle ne dira rien. Elle se maquille outrageusement pour cacher ses hématomes. Mais une fois devant son père, elle éclate en sanglots. Elle raconte son cauchemar. Il la cache dans un endroit sûr. Elle portera plainte à la police.

La disparition de Roxanne sème l'émoi. Les membres du gang déplacent les filles d'un motel à l'autre. Puis, comme la police ne leur rend pas visite, ils retournent à l'appartement d'Anjou.

Au petit matin du 21 octobre, la police de Montréal débarque dans le logement. Les membres du gang se font passer les menottes. Les filles sont embarquées aussi. Elles vont déballer leur sac.

Pas moins de 32 chefs d'accusation sont déposés contre les quatre gars: proxénétisme, menaces de mort et voies de fait graves.

Objectif olympique

Quelques jours après la première comparution, les accusés demandent de retrouver leur liberté.

«Mon but, c'est de pouvoir aller aux Olympiques. (Avant l'arrestation), je m'entraînais vraiment régulièrement, six heures par jour. Je m'entraîne le matin. Je cours deux heures», dira Stevenson au juge.

Le juge refuse de libérer le gang. Trop dangereux.

Rencontré en Floride plus tôt ce mois-ci, alors qu'il s'entraînait en vue de son combat du 30 novembre à Québec, le boxeur a accepté de revenir sur certains éléments de son passé.

Du bout des lèvres, il dit regretter ce que les filles ont pu endurer.

Délation

Au procès, quatre filles vont dénoncer tour à tour les accusés.

Ces derniers ne présentent pas de défense. Le mot d'ordre avait été passé de ne pas témoigner, se souvient Stevenson. «C'est sûr qu'il va y avoir des représailles si tu parles. Dans ce milieu-là, tu ne peux pas parler. J'ai respecté ça.»

La Presse a retrouvé deux des victimes du gang pour mieux connaître le rôle que Stevenson a joué à l'époque.

Malgré le temps qui s'est écoulé, toutes deux tremblent encore lorsqu'elles repensent aux quelques mois passés dans le logement à Anjou. L'une n'en veut plus au boxeur. L'autre ne lui a jamais pardonné. «Il ne mérite pas d'être adulé comme ça avec tout ce qu'il nous a fait subir. Que dirait-il si ça arrivait à l'une de ses filles?», demande celle qui lui en veut encore beaucoup. Elle fulminait lorsqu'elle a vu le boxeur de passage à l'émission Tout le monde en parle l'an dernier décrire son rôle dans le gang comme celui de «garde du corps des filles». «Il était le bras droit de Fox. Il était bien plus qu'un garde du corps», dit-elle.

Même s'il refuse de l'admettre, Adonis a battu les filles, confirment les deux victimes. «Je pense qu'il le faisait pour obéir aux ordres; pour éviter que Fox nous tue. C'était pour nous protéger du pire», dit celle qui lui a pardonné.

«Les gars aussi étaient manipulés là-dedans. Pas juste les filles», ajoute l'une d'elles.

À l'époque, Stevenson était souvent au gymnase. «Je pense que c'était son échappatoire. Il ne l'avouera sans doute pas, mais je pense que lui aussi avait peur du chef», affirme l'une des victimes.

La vie à l'ombre

2 avril 2000, à la prison de Rivière-des-Prairies. Stevenson est placé dans le secteur de la «protection» de la prison avec l'un de ses coaccusés. Les gars sont confinés à leur cellule 23 heures sur 24.

À 17h, c'est l'heure des visites. Les détenus du secteur attendent que les portes s'ouvrent pour se rendre aux parloirs. Il y a un retardataire: Stevenson. Un détenu, Guy Langlois, s'impatiente et crie: «Ça s'en vient-tu, là?» d'un ton baveux.

Stevenson lui répond: «C'est-tu à moi que tu parles comme ça?» Langlois lui lance «oui» sur le même ton. Les choses en restent là.

À 19h30, une échauffourée éclate entre une dizaine de détenus. Des cris résonnent. La tension est forte. Lorsque les gardiens arrivent, Langlois est étendu sur le dos devant une cellule. Stevenson s'élance et décoche un coup de pied à la tête de Langlois.

«Pendant trois jours, j'en ai rêvé, de ça, là, parce que je n'avais jamais vu ça, quelque chose d'aussi violent, en 11 ans de carrière», dira un agent carcéral selon des documents judiciaires.

Langlois a du sang qui lui coule de la bouche. Il a des convulsions. Transporté d'urgence à l'hôpital, il sombre dans un coma profond. Double fracture du crâne. Hospitalisé dix jours, il a survécu.

Stevenson affirme avoir été attaqué par une dizaine de gars, certains armés de pics artisanaux. Il a répliqué en passant le K.-O. à 5 ou 6 d'entre eux avant que les gardiens débarquent.

«Ils savaient que j'aimais la boxe. Ils voulaient me tester. C'est comme ça la prison», indique le boxeur.

Verdict percutant

Un mois plus tard, la décision du juge Jean-Pierre Bonin fait l'effet d'un uppercut.

«Il n'y a aucune espèce de doute que les accusés ont vécu des fruits de la prostitution de toutes les jeunes filles qui sont décrits dans l'acte d'accusation», dit le magistrat.

«Des jeunes filles ont été sérieusement battues. Elles ont été forcées à se battre entre elles. Elles ont été forcées à faire des gestes de lesbianisme, poursuit-il. Elles ont reçu des menaces lorsqu'elles ont, à l'occasion, manifesté l'intention de quitter le groupe.» Fox est le chef incontesté, retient le juge.

Stevenson avait le contrôle sur deux jeunes filles, dont il percevait les revenus, indique le juge. Il était associé dans la compagnie d'informatique qui servait de paravent licite au gang. Il était présent lorsque les filles se sont fait tabasser, a retenu le juge.

Les accusés sont trouvés coupables. Fox écope de 5 ans de prison alors que Stevenson et Pascal sont envoyés en prison pour 4 ans.

Ils ont déjà passé 20 mois en détention préventive. Ce temps-là comptait encore en double à l'époque.

Le boxeur n'est pas encore au bout de ses peines. Il a un autre procès qui lui pend au bout du nez en raison de l'incident survenu en prison. Il a été accusé de tentative de meurtre et de voies de fait graves.

À son grand soulagement, le chef d'accusation le plus grave finit par tomber. En septembre, il plaide coupable à l'accusation de voies de fait graves. Il écope d'un mois de prison de plus. Lorsqu'il est libéré en 2001, il fait un pacte avec lui-même. Plus jamais il ne remettra les pieds en dedans. C'est l'heure de retourner au gymnase.

LA RÉDEMPTION

Adonis passe en coup de vent chez les amateurs. Son séjour derrière les barreaux a laissé des traces. Il ressent une urgence de boxer chez les pros. Mais en même temps, il est méfiant envers ceux qui veulent l'aider.

Chez les amateurs, il obtient une fiche de 33 victoires et 5 défaites, dont 2 contre Jean Pascal. À l'époque, c'est Pascal, le chouchou de la foule.

Après deux ans au sein de l'équipe nationale, où il remporte une médaille d'argent aux Jeux du Commonwealth en Australie, il rencontre le promoteur Yvon Michel.

«On a eu l'assurance que sa vie avait changé», raconte le promoteur qui lui a fait signer son premier contrat professionnel en 2006.

Or, au fil des mois, Michel se rend compte que le boxeur est toujours marqué au fer rouge. «Adonis ne faisait pas confiance à personne. Il changeait souvent de gymnase et d'entraîneur», se souvient-il.

Cette méfiance lui nuit. «Il ne s'était pas développé comme on pensait qu'il allait le faire», explique M. Michel.

À la fin de son contrat avec GYM, en 2009, Adonis rencontre le promoteur américain Joe Duva qui le convainc de venir s'installer en Floride. Cette fois-ci, il aurait dû être plus méfiant.

La fête sous les palmiers

Avril 2010, Hollywood, en Floride. Adonis ne s'entraîne presque plus. Il fait la fête dans les bars.

Cela fait des mois qu'il vit aux États-Unis. Son promoteur-agent, Joe Duva, ne remplit pas ses promesses. Il ne lui a toujours pas trouvé d'adversaire. Il ne lui verse plus d'allocation.

Sans le sou et déprimé, Adonis lui annonce qu'il rentre à Montréal. Duva lui répond qu'il lui a trouvé un adversaire, Darnell Boone. Son combat a lieu dans une semaine dans le Maryland.

«J'avais besoin d'argent. Je n'étais pas préparé, mais je pensais le battre facilement. C'était un bum», se souvient Adonis. Son entraîneur arrive à peine 30 minutes avant le combat. Il n'a pas ses gants habituels.

Au premier round, Adonis envoie son adversaire au tapis. «Je n'étais pas en forme. Je voulais en finir le plus vite possible», raconte le boxeur.

Au deuxième round, Boone lui assène une droite solide. Adonis est envoyé au plancher. Il se relève, mais l'arbitre décide d'arrêter le combat. Adonis perd par K.-O. technique.

À la suite du combat, son promoteur le libère. Son rêve américain se brise. Sa réputation de Superman - surnom dont il a hérité lors de son court passage chez les amateurs - en prend pour son rhume. Il rentre au Québec. «Je me suis dit que ça ne m'arriverait plus. J'avais honte.»

Pied de grue devant GYM

De retour à Montréal, Adonis se cherche un nouveau promoteur. Il reçoit des offres, mais tout le monde veut le signer «au rabais».

Le promoteur Yvon Michel, quant à lui, ne le rappelle même pas.

«À son premier contrat avec nous, il avait refusé certains combats plus risqués. Je me disais: il aime parader, mais il a peur des défis», raconte M. Michel.

Adonis est tenace. Pendant des mois, il se poste, tôt le matin, devant les bureaux de GYM sur le boulevard Saint-Laurent. Michel l'ignore. Le boxeur s'entraîne alors au gymnase d'Howard Grant. Ce dernier se met de la partie pour tenter de convaincre Michel.

Loin du sommet

Février 2011, à Montréal. Yvon Michel le convoque finalement à son bureau. Le promoteur accepte de le reprendre à une condition non négociable. Adonis ne doit plus refuser de combat. Il est loin du sommet.

Quelques mois plus tard, en décembre, Adonis se bat contre l'Américain Aaron Pryor Jr au Centre Bell. Le Québécois remporte son combat par K.-O. technique au 9e round, mais il semble désorganisé sur le ring. Manque de précision et d'équilibre. Sa puissance compense le reste.

Après le combat, Yvon Michel lui donne l'heure juste. «Tu ne battras pas les meilleurs de cette façon-là.»

Adonis se plaint de manquer de bons partenaires d'entraînement. «Je m'entraînais avec des combattants ultimes. J'avais une bonne condition physique, mais je manquais de technique», décrit Adonis.

Le milieu de la boxe est petit. «Les gars à Montréal ne voulaient pas mettre les gants avec moi. C'est comme s'ils me barraient pour que je ne progresse pas, indique le boxeur. Dans la boxe, il y a des clans. Je n'étais pas dans le bon clan.»

Le père spirituel d'Adonis, Tiger Paul, lui suggère de prendre le chemin de Detroit et de tenter sa chance au réputé Kronk Gym.

Adonis quitte Montréal dans la controverse. Son entraîneur Howard Grant l'accuse de l'avoir trahi. «C'est un geste de profiteur. Ce gars-là n'a aucune loyauté, il ne m'a même pas consulté», dira Howard Grant à La Presse à l'époque. De son côté, Adonis prétend lui en avoir parlé, mais que ce dernier rechignait à voyager.

De la chair fraîche

Janvier 2012, à Detroit. «Fresh meat (chair fraîche), fresh meat, fresh meat!», scandent les boxeurs en guise d'accueil lorsqu'Adonis met les pieds pour la première fois au Kronk.

Le propriétaire du gym, Emanuel Steward, a formé une quarantaine de champions du monde dans sa carrière, dont le légendaire Thomas Hearns. Il n'a jamais accepté d'entraîner un Canadien.

Quand les gars apprennent d'où vient le nouveau, ils entonnent l'Ô Canada en dérision.

Adonis ne se laisse pas intimider. «Je voyais qu'on voulait m'arracher la tête», raconte-t-il. Ce jour-là, il mettra K.-O. deux adversaires plus imposants que lui.

Au terme de l'entraînement, Steward téléphone à Yvon Michel. «Il est incroyable, phénoménal», lance-t-il au bout du fil. Le vétéran de la boxe de 67 ans prend la route de Montréal le lundi suivant pour sceller son association avec GYM.

Quand Steward regarde Adonis, il se revoit plus jeune. La boxe a sauvé la vie de ce gangster repenti.

La prochaine supervedette

Le boxeur trouve au Kronk Gym une seconde famille. Steward l'héberge chez lui. Il lui apprend à faire confiance aux autres.

Jusqu'à sa mort en octobre 2012, il répétera qu'Adonis allait devenir la prochaine supervedette internationale de la boxe. Un mélange entre Mike Tyson et Sugar Ray Leonard.

Au point de vue technique, Steward a raffiné le style du boxeur. Il a le jeu de jambes d'un boxeur agile. Il lui a inculqué la philosophie du K.-O. avant tout.

C'est le neveu de Steward, Javan Sugar Hill, qui entraîne désormais Adonis dans la plus pure tradition du Kronk Gym.

Sugar est un ancien policier de Detroit. Il connaît le passé de son protégé et refuse de le juger. «Adonis était dans la rue, il s'est adapté à son environnement. Aujourd'hui, il s'adapte dans le ring. On passe notre vie à s'adapter.»

Aux yeux de Sugar, Adonis est un modèle de réinsertion. «S'il n'avait pas eu ce passé, il ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui», dit l'entraîneur.

Sugar est comme un grand frère pour Adonis. Leur complicité est évidente. Le boxeur n'a pas de nutritionniste ni de préparateur physique. Il s'en remet à un seul homme.

76 secondes

Le 8 juin 2013, au Centre Bell. Exactement 76 secondes. La vie du boxeur vient de changer en 76 secondes.

C'est le temps qu'il a mis pour ravir la ceinture de champion WBC des mi-lourds (175 lb) à Chad Dawson et ainsi prendre sa place dans l'élite de la boxe.

Le nouveau champion du monde explose de joie avant de s'effondrer, en larmes.

«Adonis ne savait pas quoi faire sur le ring après le K.-O. Personne ne s'attendait à une victoire aussi rapide, se souvient son entraîneur, Sugar Hill. Je n'ai jamais vu un boxeur célébrer de façon si sincère.»

Depuis le début de sa carrière, et même, peut-on avancer, de sa vie, Adonis a été le négligé.

Avec ce K.-O., il se rapproche du statut de supervedette prédit par son défunt mentor, Emanuel Steward. HBO signe alors une entente lucrative de trois combats avec le Québécois.

Moins de quatre mois après ce spectaculaire knock-out, le public américain a pu voir en direct sa première défense de titre contre une autre grosse pointure, Tavoris Cloud.

Ce jour-là, le 28 septembre, Stevenson domine Cloud d'un bout à l'autre du combat pour l'emporter par K.-O. technique au 7e round.

Même le légendaire Don King, promoteur de Cloud, vante le style du boxeur québécois. «Stevenson a démontré ce soir un peu de Tyson et un peu d'Ali. Il a livré un grand combat», a dit King à La Presse.

Le promoteur Yvon Michel compare Adonis à Georges St-Pierre. À ses débuts, le Québécois connaissait un grand succès chez nos voisins américains, mais était encore méconnu au Québec.

Un combat nan peyi m'nan

Novembre 2013, à Delray Beach, en Floride. Assis sur une chaise longue au bord de la piscine d'un chic immeuble de condos, Adonis s'accorde un court moment de repos entre ses deux entraînements quotidiens.

Il lui reste une dizaine de jours avant de rentrer chez lui en vue de la défense de son titre de champion WBC des mi-lourds contre Tony Bellew, le 30 novembre à Québec.

Adonis confie à La Presse son rêve de faire un combat là où il est né, en Haïti. Il n'est jamais retourné depuis qu'il a pris l'avion pour Montréal afin de rejoindre sa mère, au début des années 80.

Ça lui paraît des siècles; comme s'il avait vécu plusieurs vies.

«À ma connaissance, je serais le premier champion du monde à le faire», dit-il. Le président Michel Martelly l'a déjà appelé pour l'inviter.

Le boxeur doit d'abord convaincre sa femme - enseignante au secondaire - que ça ne mettra pas sa vie en péril. Il parle d'elle avec beaucoup d'admiration. Le couple vient d'avoir son troisième enfant.

«Je sais que ce n'est pas facile pour elle que je m'entraîne loin», dit-il en soupirant. Il parle presque tous les jours à ses enfants sur Skype. «Je sais c'est quoi, grandir sans père. Je veux être là pour eux.»

Avant de réaliser son rêve de combattre devant les siens, il a un adversaire concret qui l'attend le 30 novembre.

Avant le combat, Adonis va se recueillir devant une photo d'Emanuel Steward accrochée dans le vestiaire. Un tête-à-tête avec son défunt mentor. Il va ensuite se diriger vers le ring sur la musique de la trame sonore de Superman.

S'il remporte son combat contre le Britannique Bellew, Superman deviendra riche. Très riche, grâce à un potentiel contrat de plusieurs millions avec la télévision américaine. Et il l'aura gagné honnêtement, à la sueur de son front. Son ancienne vie est derrière lui. La nouvelle peut commencer.