Georges St-Pierre a peur. Il ne s'en vante pas. Il ne le crie pas sur les toits. Mais il ne le cache pas non plus. Si vous le lui demandez, il vous répondra: oui, j'ai peur avant un combat, avant d'entrer dans une cage avec un adversaire qui s'est entraîné pendant des mois pour me donner une raclée.

C'est ce que va faire St-Pierre dans environ 60 heures. Il va marcher vers l'octogone, en second, car c'est la prérogative du champion. Il va franchir la porte entrouverte de la cage. Elle va se refermer derrière lui, et devant lui, il y aura Johny Hendricks. Hendricks, qui s'est entraîné depuis des mois pour lui donner une raclée. Hendricks avec sa barbe de Viking; avec sa lutte de niveau universitaire; avec ses poings à assommer une Holstein.

Bien sûr que St-Pierre a peur, même si ça ne se voyait pas hier à Las Vegas. Le champion mi-moyen de l'UFC est arrivé il y a quatre jours dans la ville du vice. Il a pris ses quartiers dans une suite au MGM Grand. C'est là qu'aura lieu le combat de samedi. Il n'en sort que pour aller conduire un camion aux vitres teintées dans les rues bordées de palmiers. «Ça le relaxe», dit l'un de ses agents.

Sinon, il ne quitte sa chambre que pour rencontrer les médias, comme il l'a fait hier avec une meute de journalistes.

«Je vais tout faire pour finir Hendricks.» «C'est le meilleur camp d'entraînement de ma vie.» «Johny va me causer des problèmes, mais je vais lui causer des problèmes aussi.» St-Pierre a dit tout ça. Il était plus souriant que lors de ses deux derniers combats à Montréal. «C'est moins stressant pour moi de me battre loin de la maison.»

«Oui, j'ai peur»

Mais sourire ou pas, la peur n'est jamais bien loin durant les jours qui précèdent un combat. «En ce moment, oui, j'ai peur. Je n'ai pas peur de mon adversaire. J'ai peur d'échouer. J'ai peur d'avoir fait tout ce travail-là, car j'ai travaillé très fort, pour rien, a-t-il dit. Parce que dans mon sport, je ne peux pas arriver deuxième. Si j'arrive deuxième, c'est que j'ai perdu. C'est premier ou rien d'autre. C'est comme ça que je pense.»

La peur est-elle différente quand on entre dans une cage avec un cogneur comme Hendricks? «La peur est toujours la même, a répondu St-Pierre. Il s'agit de mesurer les risques. Mais quand je rentre dans l'octogone, la peur est pas mal partie. Il me reste un peu de peur, assez pour être conscient de ce qui arrive. Ça me garde sharp.»

Sentir la mort

On l'appelle la peur du combattant. À peu près tous admettent la ressentir. «Ceux qui disent ne pas avoir peur sont des menteurs», a déjà dit Lucian Bute, qui explique que pour lui, la peur s'évanouit au son de la cloche, mais ne le lâche pas d'une semelle dans les heures avant un combat. Comme si, par un réflexe pavlovien, les craintes du combattant disparaissaient dès que retentit ce son perçant qui signale le début des hostilités.

Mais les choses ne sont pas si simples. Le 20 juin 1980, au Stade olympique, Sugar Ray Leonard affrontait Roberto Durán. Durán était le dur des durs, le macho des machos. Il était craint comme l'est Johny Hendricks aujourd'hui, et peut-être davantage.

Leonard raconte que vers le milieu du combat, qui s'était transformé en une furie magnifique à justifier le coût du Stade, il avait eu peur. «À un moment, j'ai senti la mort», raconte-t-il.

Voilà ce qui sépare les sports de combat de tous les autres. Il a senti la mort. On est loin du hockey. «Oui, mais les bagarres, les bagarres», diront certains, qui sont les mêmes à dire que la blessure subie par le dur à cuire du Canadien George Parros relevait de l'accident.

Il n'y a pas d'accident dans une cage. Il n'y a pas d'accident dans un ring. Au hockey, la blessure à la tête est accessoire. Dans les arts martiaux mixtes et dans la boxe, elle est prisée, attendue par la foule et les promoteurs comme une offrande.

Dans ce domaine, Johny Hendricks excelle. La moitié de ceux qui sont entrés dans une cage avec lui en sont sortis avec un K.-O. ou un K.-O. technique; en d'autres mots, avec une commotion cérébrale ou pas très loin.

Georges St-Pierre pratique un sport de fous. La peur fait partie du jeu. Elle a l'effet d'une rouille inexorable sur certains combattants qui se laissent dévorer par elle. St-Pierre, lui, jure qu'il la contrôle. «Quand je rentre dans l'octogone, je sais que j'ai tout fait en mon pouvoir pour gagner. Je me suis entraîné au meilleur de mes capacités. Je n'ai rien laissé au hasard, dit-il. Je ne peux rien faire d'autre.»

Ils seront donc quatre dans l'octogone samedi soir. L'arbitre, Johny Hendricks, Georges St-Pierre et sa peur. Celle qui fait qu'on «reste sharp». Celle qui vous permet de survivre à cinq rounds de cinq minutes. Celle qui vous aide à rester champion, encore.

Photo Ryan Remiorz, PC

Johny Hendricks s'est entraîné depuis des mois pour donner une raclée à Georges St-Pierre.