Il y a un an, Adonis Stevenson se battait pour une bourse de 40 000 $. Une fois payés le camp d'entraînement, le cutman, l'entraîneur... il ne lui restait pas grand-chose en poche.

Quand le Montréalais partait s'entraîner à Detroit, il ne voulait penser qu'à la boxe. Mais la vérité, c'est qu'il s'inquiétait pour les siens restés à Montréal - sa femme, ses filles, sa famille - et se demandait s'ils auraient assez d'argent pour payer le loyer, l'électricité, assez d'argent pour bien vivre pendant qu'il était parti.

Stevenson était pourtant une star montante de la boxe montréalaise. On l'avait même vu à Tout le monde en parle quelques mois plus tôt. Mais la boxe est un sport où seule l'élite de l'élite gagne bien sa vie. En un an, Stevenson a fait son entrée dans cette infime élite.

Samedi, il doit empocher un magot dans les six chiffres. «On se rapproche du million», a dit en souriant le boxeur rencontré hier.

Fini les jours d'inquiétude. Sa vie a changé du tout au tout ce jour de juin dernier quand il a annihilé Chad Dawson au Centre Bell. Le K.-O. au premier round a retenti fort dans les bureaux de HBO, qui a signé une entente lucrative de trois combats avec le Québécois.

Avec l'argent de sa bourse, Stevenson a acheté une maison dans la couronne Nord. Fini l'appartement, fini le loyer, fini l'angoisse de penser que les siens pourraient manquer de quoi que ce soit. Cette fois-ci, lorsqu'il est parti à Detroit pour se préparer à affronter Tavoris Cloud (24-1, 19 K.-O.), Stevenson n'a pensé qu'à la boxe.

«Je suis content de ce que j'ai accompli pendant cette année. Je suis champion du monde, je vais défendre mon titre. Mais je ne tiens rien pour acquis, je le jure», explique le nouveau champion WBC des mi-lourds (175 lb), qui va défendre son titre pour la première fois samedi contre le dangereux Cloud.

L'année bénie de Stevenson (21-1, 18 K.-O.) n'est pas qu'une histoire de compte en banque. Elle est aussi une question de réputation. Plusieurs avaient ri du gaucher lorsqu'il avait défié Lucian Bute en décembre 2011. C'était à la suite de sa victoire contre l'Américain Aaron Pryor fils. Même les journalistes avaient souri lorsque le défi avait été lancé en conférence de presse.

«Lucian veut se battre contre les meilleurs, contre Carl Froch, contre Mikkel Kessler, contre Andre Ward, avait répondu l'entraîneur du Québécois d'origine roumaine, Stéphan Larouche. On attend notre tour, et c'est normal que ceux derrière nous crient, surtout les boxeurs qui ne vendent pas beaucoup de billets.»

La flèche était cinglante. Stevenson ne remplit pas encore le Centre Bell - il devrait y avoir autour de 8000 spectateurs samedi -, mais ça pourrait venir s'il continue d'accumuler les victoires expéditives.

Ce qui est certain, c'est que plus personne ne rit non plus dans le camp d'InterBox. On l'a vu quand le promoteur de Bute, Jean Bédard, a envoyé ce tweet en août dernier: «J'ai informé Yvon Michel que si Jean Pascal n'est pas disponible, Adonis Stevenson est une bonne option pour Lucian Bute.»

C'était le monde à l'envers.

L'ombre d'Emanuel Steward

Sur cette année parfaite plane l'ombre du regretté Emanuel Steward. «C'est grâce à lui, tout ce qui se passe aujourd'hui, dit Stevenson. Y'a beaucoup de gens qui pensent connaître la boxe, mais qui ne la connaissent pas vraiment. Y'a pas mal de gens qui ont dit beaucoup de choses sur moi: que je n'avais pas de jeu de jambes, que je boxais tout croche. Lui, il a vu mon potentiel. Il a cru en moi.»

Aujourd'hui, Stevenson, 36 ans, a le jeu de jambes d'un boxeur agile. Son style s'est raffiné. «Il a une intelligence du ring inégalée», dit son entraîneur - et neveu de Steward -, Javan Hill.

Emanuel Steward a aussi inculqué à Stevenson la philosophie du Kronk Gym de Detroit. Elle se résume en quelques mots: le K.-O. avant tout. Steward avait compris que rien en boxe ne surpasse le knock-out.

Le vieux maître avait raison. Car contrairement au Lotto 6/49, un K.-O., ça change le monde. Parlez-en à Adonis Stevenson.