Le 9 août dernier, Marlène Harnois était sur un nuage. La Québécoise naturalisée française venait de décrocher le bronze à Londres. Huit mois plus tard, son rêve s'est transformé en cauchemar. À couteaux tirés avec son entraîneuse, exclue de l'équipe française de taekwondo, brisée, déprimée, Marlène Harnois dit avoir été victime de harcèlement pendant des années. Le gouvernement français a ouvert une enquête. L'athlète, qui envisage de rentrer au Québec, a accepté de se confier à La Presse.

En août dernier à Londres, Marlène Harnois était assise dans le couloir d'un stade avec l'auteur de ces lignes. Elle racontait son parcours improbable: celui d'une jeune championne de taekwondo qui, adolescente, a tout laissé tomber; l'école, la compétition. Puis, la «drop-out» de Brossard a reçu l'appel d'une entraîneuse française qui lui offrait de partir pour la France relancer sa carrière, Myriam Bavarel.

Mais pour cette entrevue, dans l'euphorie des Jeux, Marlène Harnois n'a pas abordé tout un pan de son aventure en France. Une part d'ombre qui vient finalement d'éclater au grand jour.

Depuis mercredi, Harnois est au coeur d'une tempête médiatique en France. La presse a annoncé que la médaillée de bronze avait été mise à l'écart de l'équipe de France. La «Canadienne» s'est disputée avec son entraîneuse. Mais il y a plus que ça. Dans une entrevue à l'Agence France-Presse, qui a dévoilé l'histoire, elle parle de harcèlement, d'insultes, de menaces, de gifles... La ministre française des Sports a décidé d'ouvrir une enquête.

«Moi, je n'ai plus rien à perdre, j'ai déjà tout perdu, lance Harnois au bout du fil. Je veux une vraie enquête. Je veux que le ménage soit fait dans la fédération de taekwondo, pour les autres filles qui vont suivre après moi. Je veux utiliser ce que j'ai de notoriété pour faire bouger les choses.»

Du podium à l'exclusion, comment Marlène Harnois est-elle tombée de si haut? La réponse se trouve, selon elle, dans sa relation toxique avec l'entraîneuse Myriam Bavarel. Celle qui l'a recrutée au Québec l'a aussi hébergée chez elle dans ses premières années en France. Elle avait droit de vie ou de mort sur Harnois, décidait de sa sélection pour les compétitions et la menaçait sans cesse de l'exclure.

«C'était une relation malsaine. Elle était à la fois ma coloc, mon entraîneuse et la sélectionneuse de l'équipe, explique-t-elle. C'est arrivé qu'elle me donne des claques devant tout le monde, m'envoie chier et après l'entraînement, je devais rentrer chez elle.»

Elle a accepté pendant des années de vivre sous ce régime. «Je me disais que je devais souffrir pour atteindre mon rêve», dit-elle.

Il a été impossible de joindre Myriam Bavarel, vendredi. Mais elle a accusé Harnois d'exagérer dans une entrevue avec le journal L'Équipe. «Ce qu'on vit là est incompréhensible. Marlène et moi nous sommes déjà brouillées, mais ça n'a jamais été aussi long et violent, a-t-elle dit. Maintenant, des athlètes qui pètent les plombs après les Jeux, ça arrive...»

Mais après les Jeux et sa médaille, Harnois dit avoir été en pleine forme. Elle s'est acheté une maison en banlieue de Paris. Elle a été reçue à l'Élysée. Elle s'était fait un nom en France. «Je vivais le rêve.»

Sa relation avec son entraîneuse a toutefois fini par la rattraper. Pour expliquer son exclusion, la fédération de taekwondo a parlé d'un incident à l'entraînement. Le 6 avril, les deux femmes ont eu une prise de bec en public. On a signifié à Harnois qu'elle ne pourrait plus s'entraîner avec ses coéquipières.

Sa participation aux Mondiaux, qui auront lieu en juillet, était aussi compromise. «Les Mondiaux, c'était mon objectif. Je voulais les gagner, lance-t-elle. Ça m'a bouleversée.»

Deux mois de grisaille

Marlène Harnois voyait tout ce pour quoi elle travaillait depuis sept ans lui filer entre les doigts. Elle avait été mise au ban. Ses anciennes coéquipières n'osaient plus être vues avec elle.

Elle a tenté de chercher des appuis auprès de sa fédération. Elle a même plaidé, en vain, sa cause auprès de la ministre des Sports.

«J'étais complètement désespérée. Je ne voulais pas en parler publiquement, alors je gardais tout ça en moi: les déceptions, les trahisons, les coups bas, raconte-t-elle. Et pendant tout ce temps, ma mère, ma famille, mes amis étaient si loin. Ce sont mes amis au Québec qui m'ont aidée à tenir le coup.»

Sa mère, Mireille, a passé le mois d'avril à dormir avec ses lunettes pour voir l'afficheur au cas où sa fille l'appellerait à Montréal dans la nuit. «Je lui parlais souvent cinq, six, sept heures. Elle a tellement pleuré, tellement été triste», raconte Mireille Harnois.

C'est finalement en désespoir de cause qu'elle s'est confiée à l'Agence France-Presse. Le ministère des Sports a décidé d'ouvrir une enquête. On parle maintenant en France de «l'affaire Marlène Harnois».

Des contacts avec Taekwondo Canada

Harnois est réaliste quant à ses chances de réintégrer l'équipe de France. Marlène Harnois est «paumée» et a «disjoncté après les Jeux», selon un cadre de la fédération cité par la presse. Les ponts sont brûlés.

La Québécoise ne sait pas non plus si elle refera du taekwondo un jour. Elle a contacté Taekwondo Canada et s'est informée de la possibilité de représenter son pays d'origine aux Mondiaux. «Mais c'était impossible et les délais, trop courts. De toute manière, je ne me serais pas vue prendre la place d'une athlète qui a mérité sa participation, explique Harnois. Si je reviens au Québec faire du taekwondo, on va faire les choses bien.»

Elle compte tout de même rentrer à Montréal d'ici une semaine ou deux, une fois la tempête médiatique passée en France. Elle veut reprendre des forces, se ressourcer. Loin du sport, de ses hauts inégalés et ses bas parfois si cruels.

«Je veux voir mes amis du Québec, qui m'ont vraiment aidée à passer à travers tout ça, lance Marlène Harnois. Je veux faire des barbecues, je veux jouer au poker! Je veux me changer les idées. J'aurai bien le temps de décider ce que je fais de ma carrière après ça.»