Bermane Stiverne affrontera l'étoile Chris Arreola le 27 avril dans le combat de sa vie. Ce jeune Haïtien élevé à Montréal est parti à Las Vegas pour réaliser le rêve de sa vie: devenir champion du monde poids lourd. Voici son histoire, qui est aussi celle d'un gymnase aujourd'hui disparu, le Plaza olympique.

En 1998, Bermane Stiverne avait 19 ans et le vague sentiment de ne pas savoir quoi faire de sa peau. Après deux années passées dans l'équipe de football de l'Université Michigan State, il rentrait à Montréal. Le constat était simple: son rêve de jouer dans la NFL s'était écroulé. Stiverne repartait à zéro.

Deux ans plus tôt, après avoir terminé son secondaire au Québec, il avait reçu une offre de bourse de l'université américaine. La réflexion n'avait pas été longue. Ce fils d'Haïti, qui a grandi entre Montréal et Laval, irait jouer au football aux États-Unis et, si possible, mènerait une carrière pro.

Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu. À Michigan State, Stiverne a accumulé les blessures. Sa cheville a écopé, puis son genou. Sa charpente de 6'2 et 240 lb ne résistait pas aux mouvements soudains du football.

Il est revenu à Montréal déprimé, ne sachant quoi faire de ses 10 doigts. Un ami l'a alors traîné au club de boxe où il s'entraînait. C'est comme ça qu'un jour de 1998, Bermane Stiverne a mis les pieds au gymnase Plaza olympique. Il ne le savait pas, mais sa vie allait changer.

Le Plaza olympique, qui a vécu huit ans à la fin des années 90, tient une place à part dans l'histoire de la boxe au Québec. L'endroit ne payait pas de mine: un local exigu situé au-dessus d'un casse-croûte de la Plaza Saint-Hubert, près de la rue Jean-Talon.

Le regretté Dave Campanile menait le Plaza de main de maître. Campanile portait la moustache et teignait sa chevelure noire par coquetterie. Il passait ses journées à fumer des cigarettes et à boire du café tout en entraînant les jeunes du quartier qui osaient monter les marches de son gym.

«Dave, c'était un entraîneur old-school», se souvient un boxeur amateur qui a fréquenté les lieux. L'Italo-Montréalais avait fait sa renommée en découvrant le jeune Arturo Gatti. Maintenant âgé de près de 70 ans, il tentait de dénicher le nouveau talent brut de la boxe montréalaise. Joachim Alcine est passé par le Plaza; Adonis Stevenson aussi.

«On était un petit gym de rien. Les gars arrivaient par bouche à oreille. C'étaient surtout des jeunes de la rue, se rappelle Mike Moffa, qui a commencé sa carrière d'entraîneur au Plaza. Il s'en est livré des guerres, là-dedans. Les sparrings n'étaient pas des sparrings; c'étaient des combats de boxe!»

Le Plaza ne donnait pas de cours de «boxe cardio», comme le font aujourd'hui plusieurs clubs pour arrondir les fins de mois. Il accueillait seulement des jeunes aux dents longues et aux poches vides. Les boxeurs en herbe avaient une clé du gym et un lit de camp traînait dans un coin. Quand ça n'allait pas à la maison, il y avait toujours une place au Plaza.

«Quand on allait aux Gants dorés pis que les gars des autres gyms voyaient que le Plaza était dans leur catégorie, ça les désespérait un peu», rigole Mike Moffa, qui entraîne aujourd'hui le boxeur Dierry Jean.

Bermane Stiverne avait 19 ans quand il a monté l'escalier de la rue Saint-Hubert. «J'ai commencé simplement pour perdre du poids, je ne savais vraiment pas dans quoi je m'embarquais.»

Les débuts ont été durs. Stiverne n'était pas très bon. Mais à force de persévérance, doté d'une grande vitesse pour un lourd, il s'est vite imposé au gym, jusqu'à se joindre à l'équipe amateur du Québec. «Après mon premier combat amateur, j'ai été accro à la boxe. Je n'ai plus jamais regardé en arrière», dit le boxeur.

Un moment de son passage au Plaza l'a marqué. Un mois qu'il n'avait plus un rond, il a bégayé honteusement à Dave Campanile qu'il ne pouvait pas payer la poignée de dollars que coûtait l'abonnement au gym. «C'est pas grave, ne t'en fais pas pour ça», lui a répondu l'entraîneur.

«Je pense que c'est là que j'ai commencé à prendre la boxe au sérieux, se souvient Bermane Stiverne. S'il m'avait mis dehors, je ne pense pas que j'aurais continué le sport.»

Direction Las Vegas

Les temps ont bien changé. Le Plaza est fermé depuis longtemps et son pilier, Dave Campanile, est mort.

Bermane Stiverne s'apprête quant à lui à affronter l'Américain Chris Arreola (35-2, 20 K.-O.), sur les ondes de HBO, dans un des combats poids lourds les plus attendus de l'année. La Presse s'est rendue à Las Vegas pour le rencontrer dans le gym où il s'entraîne: un grand local moderne et éclairé, à des années-lumière du Plaza olympique.

Comment s'est-il rendu là? Après le Plaza, Stiverne a mené sa carrière amateur auprès de Sylvain Gagnon. Il ne se souvient plus dans le détail de sa fiche chez les amateurs - «79 ou 89 victoires pour 10 défaites. Je n'ai pas bien compté les victoires, mais j'ai compté les défaites. J'ai commencé la boxe assez tard, à 19 ans. Mais c'est quand même une bonne carrière amateur.»

Les poids lourds aux mains rapides ne courent pas les rues. Quand est venu le temps de passer chez les pros, Stiverne a reçu quelques offres, dont une du légendaire promoteur Don King. «Quand Don veut quelque chose, il s'arrange pour l'avoir. Il m'a fait une offre que je ne pouvais pas refuser», lance Bermane Stiverne en esquissant un sourire.

C'était en 2005. Bermane Stiverne a fait ses valises et a quitté Montréal pour une deuxième fois. Il a atterri à Las Vegas, capitale de la boxe. «Je m'étais toujours dit que si je devenais athlète, je voulais être parmi les meilleurs. C'est pour ça que je suis allé jouer au football aux États-Unis. Dans le temps, la boxe à Montréal n'était pas aussi développée, alors je suis parti pour Vegas.»

Sous la férule de King, Stiverne, aujourd'hui âgé de 34 ans, s'est monté une fiche de 22 victoires, une défaite et une nulle. Sur ses 22 victoires, 20 sont venues par K.-O. La liste de ses adversaires n'est pas renversante, mais Stiverne a enfin sa chance. Son combat du 27 avril contre Chris Arreola, le plus populaire poids lourd américain, représente l'occasion d'une vie. Une victoire sur HBO ouvrirait bien des portes, surtout celle du championnat WBC des poids lourds, puisqu'il s'agit d'un duel éliminatoire.

«Je suis vraiment motivé pour ce combat-là. Quand j'étais jeune, je regardais des combats poids lourds, des combats éliminatoires, et je ne pensais jamais me rendre aussi loin, raconte Stiverne. C'est un accomplissement. Personne ne peut m'enlever ça.»

Autour, le gymnase de Las Vegas est désert. Le patron ferme les portes chaque jour pour permettre au boxeur de s'entraîner en privé. «Je ne pensais jamais qu'un jour on fermerait un gymnase pour moi, que j'aurais mes propres partenaires d'entraînement.»

«Pour ma carrière aujourd'hui, si j'avais à remercier deux, trois personnes, ce serait Dave Campanile, Mike Moffa et Sylvain Gagnon. Ils ont toujours été avec moi. Ce sont des gars que je ne peux pas oublier.»

C'est un peu pour eux que ce Montréalais errant tentera de causer la surprise, le 27 avril, dans un ring de la Californie.