Avant un combat, il ne lâche pas Georges St-Pierre d'une semelle, habite dans le même appartement que le champion et se permet même d'effacer certains de ses courriels pour éviter «les distractions». Est-il un ami, un mentor ou un chaperon? Kristof Midoux est tout ça à la fois. Alors que St-Pierre s'apprête à remonter dans l'octogone le 16 mars au Centre Bell, voici leur histoire.

«Tabarnouche, mon fils se fait voler ses cinq piastres à l'école et vous voulez qu'il se batte dans une cage!»

Au bout du fil, Roland St-Pierre ne mâchait pas ses mots. Son fils Georges avait 16 ans. Nous étions en 1998 et les arts martiaux mixtes étaient encore interdits un peu partout au Canada. Le sport traînait une réputation sulfureuse et Roland St-Pierre n'était pas sûr de vouloir voir son Georges jeté dans la fosse aux lions.

À l'autre bout du fil se trouvait Kristof Midoux. Le Français menait à l'époque une carrière de combattant. Il s'était battu à Kahnawake, près de Montréal, où Georges St-Pierre l'avait vu en action. Midoux l'avait pris sous son aile. Après des mois d'entraînement, son protégé était enfin prêt à livrer son premier combat amateur. Tout reposait sur ce coup de fil.

«Laissez-moi Georges, Roland. Si je me trompe, je suis un imbécile, a calmement répondu Midoux. Mais je ne me trompe pas, votre fils est doué. Il peut être champion.»

Qui sait ce qu'il serait advenu de la carrière de Georges St-Pierre sans ce coup de fil? Son père a donné sa bénédiction. Quelques jours plus tard, le jeune St-Pierre remportait son premier combat amateur contre un type âgé de 25 ans.

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Quelques mois plus tôt, Kristof Midoux et Georges St-Pierre s'étaient rencontrés pour la première fois. Le jeune Québécois roulait en voiture au centre-ville de Montréal quand il a vu la silhouette massive du Français sur le boulevard Saint-Laurent. St-Pierre a tout de suite reconnu Midoux, ce champion d'arts martiaux mixtes qui avait comme lui commencé par le karaté kyokushin. Il a actionné les freins, est sorti de sa voiture et a couru se présenter.

«M. Midoux, je vous ai vu vous battre, j'aimerais être comme vous, j'aimerais m'entraîner», a lancé St-Pierre, dont le professeur de karaté venait de mourir.

Sans trop y croire, Midoux lui a donné l'adresse du gymnase de Terrebonne où il s'entraînait. «Je lui ai donné une adresse et je me suis dit que je ne le reverrais jamais. Mais il est venu au rendez-vous et on ne s'est jamais quittés.»

Midoux a su en quelques semaines qu'il avait affaire à un jeune homme hors de l'ordinaire. Il ne l'a pas tant perçu dans le talent de St-Pierre que dans sa volonté. À l'époque le poids lourd pesait 225 livres. À côté de lui, l'adolescent St-Pierre avait l'air d'une mouche. «Je lui ai un peu fait la misère, se rappelle Midoux à propos des séances d'entraînement. Mais jamais je ne l'ai entendu se plaindre, dire j'ai mal, je ne viendrai pas demain.»

St-Pierre était alors élève au cégep Édouard-Montpetit. Il n'avait pas un sou en poche. «Il n'était pas riche. Il mangeait ce qu'il pouvait manger et ne se plaignait pas. C'est là que j'ai su qu'il valait la peine, qu'il fallait le faire combattre.»

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Si Kristof Midoux a vite cru en Georges St-Pierre, le jeune homme a mis du temps à croire en lui-même. St-Pierre dévorait des vidéos de combats ultimes, mais n'arrivait pas à voir comment il pourrait en gagner un. Dans sa tête, les autres étaient tous meilleurs que lui.

Alors un jour, Midoux lui a demandé de dresser la liste des combattants qui lui faisaient peur, puis il les a rassemblés au gymnase. «Quand Georges est arrivé pour s'entraîner, il m'a dit: «Mais qu'est-ce qu'ils font là? « Je lui ai dit qu'ils étaient là pour lui. Georges pensait que c'était une blague. Puis Georges les a défoncés.»

«Il était trop humble. Je lui disais: «Tu crois que ces gars-là sont forts, mais tu les as tous battus», raconte Midoux. Et en plus, tu leur dis en pleine face: «Tu es fort, merci beaucoup». Il était grave, il me faisait rigoler et il n'a pas changé. C'est un truc de fou.»

Le premier combat de St-Pierre a été contre lui-même. Quand Midoux a vu qu'il avait eu raison de l'humilité maladive de l'adolescent, il a su que le temps des combats était venu.

«Kristof m'a tout appris. Il m'a fait devenir l'homme que je suis», explique aujourd'hui St-Pierre.

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Georges St-Pierre a depuis livré 25 combats professionnels, avec 23 victoires et deux défaites. Il a gagné le titre de champion UFC des mi-moyens (170 livres), l'a défendu à sept reprises, a engrangé quelques millions de dollars au passage et est devenu l'athlète canadien le plus connu de la planète.

Tout a changé. Mais Kristof Midoux est encore là. Dans les semaines qui précèdent un combat, il suit son protégé partout, tout le temps. Il rentre d'Europe pour l'occasion et s'installe dans l'appartement montréalais de St-Pierre.

«On est 24 heures ensemble, c'est un truc de fou», dit Midoux.

Son boulot auprès de St-Pierre est clair. Si l'entraîneur Firas Zahabi s'occupe de la préparation physique du champion, lui se charge de l'aspect mental. «Les gens le voient deux heures dans une salle de sport. Moi je le vois tout le temps et je dois m'assurer qu'il ne pense pas aux petites conneries auxquelles il pourrait s'arrêter: qu'il a mal, que l'autre est fort quand même... Le jour du combat, il faut qu'il ne pense à rien.»

Il se permet même d'aller fouiner dans la boîte courriel de St-Pierre. «J'ai tous les mots de passe. J'enlève des messages avant un combat que je mets de côté et qu'il reverra plus tard. Il y a des choses qu'il n'a pas besoin de savoir pendant ce mois-là. Des histoires à la con, des histoires de gonzesse, des gens qui lui demandent de l'argent, des distractions.»

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Pour illustrer son rôle auprès de St-Pierre, le colosse raconte une anecdote. Une semaine avant son combat contre Carlos Condit, en novembre dernier, St-Pierre a reçu un coup de pied violent au visage. La scène s'est déroulée devant les caméras de l'UFC qui étaient à Montréal pour filmer le champion à l'entraînement. «Il s'est vraiment énervé», se rappelle Midoux.

«Je suis surentraîné», a crié St-Pierre, désespéré de voir qu'à quelques jours de son retour dans l'octogone, il pouvait être atteint par un coup de pied si puissant.

«De quoi tu parles, tu es surentraîné, ferme ta gueule, a tout de suite coupé le Français, comme pour empêcher que le doute ne s'installe chez son protégé. Simplement, les gens avec qui tu t'entraînes sont très forts, alors il ne s'agit plus seulement de parer le coup de pied. L'important, c'est que tu aies pris le coup de pied à la tête, que tu sois tombé et que tu te sois relevé. Si tu penses que samedi prochain ça ne va pas arriver, détrompe-toi.»

Le samedi 17 novembre, au troisième round et devant 17 000 spectateurs au Centre Bell, Georges St-Pierre a reçu un terrible coup de pied de Carlos Condit au visage. Le choc a pris la foule par surprise. Le favori est tombé sur le dos et, un instant, il a semblé perdre le contrôle du combat.

Avant de monter dans la cage, Midoux avait lancé cette phrase: «Georges, tu vas saigner aujourd'hui, tu vas te salir.»

Dans l'octogone, Georges St-Pierre est resté calme. Quelques secondes plus tard, il avait repris le dessus. Il a même gagné le troisième round, comme tous les autres.

Derrière la cage, Kristof Midoux regardait son ami des 15 dernières années. «Ce soir-là, il m'a vraiment mis le frisson», se souvient le mentor qui sera une fois encore, le 16 mars, dans le coin de St-Pierre.

Midoux sera là au Centre Bell, pour le combat opposant son protégé à Nick Diaz. Il sera là tant que St-Pierre voudra bien de lui à ses côtés. Avec toujours un seul but: s'assurer que Georges St-Pierre ait la carrière qu'il mérite. «La vie qu'il a choisie, il la fera jusqu'au bout en tant que champion. Il sortira de là champion.»

C'est la promesse qu'il avait faite à Roland St-Pierre, un jour de 1998.