Un moment vient dans la carrière d'un athlète où s'impose cette question lancinante, impossible à dissimuler sous des litres de sueur et des heures d'entraînement: le temps est-il venu d'abandonner le sport? C'est précisément ce moment que vit Karine Sergerie.

La meilleure athlète canadienne de taekwondo de l'histoire a entamé une profonde réflexion sur son avenir après les Jeux de Londres. À 27 ans, la Québécoise est usée par sa discipline sportive, elle doit subir une autre opération à la hanche et a bien hâte de commencer des études pour embrasser une carrière. Mais elle n'est pas certaine d'être tout à fait prête à tourner le dos au sport qu'elle aime.

«Le taekwondo, c'est sûr que d'un côté je veux continuer, mais je n'ai pas fini de réfléchir. Je dirais que c'est 50-50», a expliqué la médaillée d'argent olympique en entrevue cette semaine.

«Il y a 50 % en moi qui aimerait être capable de continuer la compétition, de m'entraîner, d'avoir du plaisir à le faire et de poursuivre pour les bonnes raisons. L'autre 50 % se demande si je suis vraiment capable de tenir le coup.»

Sergerie doit passer sous le bistouri le 31 janvier. Cette opération est rendue nécessaire par les coups de pieds incessants qu'exige la pratique du taekwondo. Tout comme au retour des Jeux de Pékin, elle doit subir une opération à la hanche qui consiste à limer la tête de son fémur droit.

«J'ai aussi un problème au dos et il faudra voir si l'opération à la hanche va m'aider. Sinon, je devrai commencer à travailler avec un ostéopathe», explique-t-elle.

Elle espère avoir besoin d'au plus six mois de convalescence et aborde ce contretemps avec philosophie. «Ça me force à prendre plus de temps pour réfléchir et à demeurer sagement couchée sur les côtés, dit celle qui n'a pas repris l'entraînement depuis les JO de Londres. C'est vraiment le temps qui va me permettre de départager les choses.»

Des blessures et un secret

Médaillée d'argent aux Jeux de Pékin en 2008, Sergerie est arrivée à Londres auréolée du statut de favorite pour monter sur le podium. Mais l'athlète de Québec dit aujourd'hui qu'elle aurait été la première surprise de remporter une médaille. «Juste de me qualifier pour les Jeux a été un miracle», lance-t-elle.

Il y a d'abord eu les blessures. Elle en traînait quelques-unes depuis ses premiers Jeux. «L'entraînement était rendu plate parce qu'il y avait plein de choses que je ne pouvais plus faire», explique-t-elle. Puis moins de 10 jours avant les Jeux, alors qu'elle se trouvait aux Pays-Bas pour un camp d'entraînement, elle se blesse au dos. «J'étais complètement barrée», raconte Sergerie.

Mais les blessures n'étaient que la pointe de l'iceberg. Ce qui se trouve sous la surface, Sergerie ne veut pas trop en parler. Elle a déjà fait allusion dans le passé à cette souffrance psychologique qui la tenaille. Selon elle, ce secret explique en grande partie les dernières années de sa vie d'athlète et la baisse de ses performances sur le tapis.

«Je pourrais tout expliquer ça et un jour je vais le faire, mais pour moi ce n'est pas une priorité de le faire pour l'instant, dit-elle. Mais ce serait plus simple à comprendre, mettons.»

C'est dans ces conditions moins que parfaites que Karine Sergerie a livré, le 10 août, son premier combat au centre ExCel de Londres. La guerrière espérait encore être sauvée par son talent inné et par l'adrénaline «qui est tellement présente quand [elle se bat].»

Puis, tout s'est écroulé au moment de marcher vers le tapis. «Je pense que j'étais à bout. Avant mon premier match, j'ai vraiment senti que mon corps me disait quelque chose; quelque chose comme «je ne suis plus capable».»

«J'ai vraiment trouvé ça difficile. Parce que l'important après tout le stress, c'était d'embarquer sur le tapis, d'avoir du plaisir et de livrer des bons matchs. Mais je n'ai pas réussi à faire ça. J'ai trouvé ça difficile et ça m'a pris du temps à l'accepter.»

Sergerie a finalement remporté son premier combat 1-0, puis s'est inclinée 10-5 à son second. Elle repartait bredouille de Londres et un peu déconfite. Avec le recul, elle se dit que sa simple présence a été une grande victoire.

Le dernier combat?

Deux Jeux olympiques, une médaille d'argent, quatre podiums en championnat du monde... voilà un bilan qui en ferait rêver bien d'autres. Peut-être va-t-il encore s'enrichir. Peut-être est-il complet, tout comme sa carrière d'athlète.

Karine Sergerie ne veut pas trop y penser avant son opération. Elle se consacre présentement à ses études. Elle termine des cours qui lui permettront d'accéder à une technique en santé animale. «Si je vois que j'aime ça, alors un jour je pourrai étudier pour devenir vétérinaire», dit celle qui adore les animaux. «Mais je ne sais pas encore si je vais être capable de les voir souffrir.»

Elle devra finalement trancher au printemps. L'équation est à la fois simple et compliquée. «Si je décide qu'émotivement et psychologiquement je suis prête à reprendre l'entraînement, il faudra voir si physiquement je suis capable de le faire aussi, dit-elle. Ça va m'en prendre pas mal pour me dire que je continue.»

«Mais en même temps, je m'ennuie beaucoup de toute la gang avec qui je m'entraînais», ajoute-t-elle d'une voix indécise.

Le temps est-il venu d'abandonner le sport? C'est précisément la question que se pose Karine Sergerie. Un combat de plus pour elle. Et peu importe l'issue, la guerrière sait déjà qu'il ne sera pas facile.