Certaines défaites sont plus cruelles que d'autres. Celle subie samedi soir en Angleterre par Lucian Bute, la première de sa carrière, est l'une d'elles. Le Québécois a perdu son titre de champion du monde dans un combat où il a été totalement déclassé par Carl Froch. La Presse était sur place.

Lucian Bute s'est réveillé hier matin avec cinq points de suture au-dessus de l'oeil gauche. Sa ceinture de champion du monde n'était plus à ses côtés. Loin des caméras et des journalistes, entouré seulement des gens qu'il aime, il a pris son petit déjeuner dans un hôtel de Nottingham. Il y avait Elena, sa compagne, mais aussi son entraîneur de toujours, Stéphan Larouche.

La veille, la journée avait pourtant bien commencé. Il faisait beau à Nottingham. Bute se sentait prêt comme jamais en vue de cette 10e défense de son titre IBF. Il débordait de confiance. Son camp d'entraînement avait duré des mois et le boxeur avait eu recours à sept partenaires d'entraînement. Du jamais vu.

Puis à minuit tapant samedi, dans un Capital FM Arena plein à craquer, la cloche a retenti. Ce n'était pas n'importe quelle cloche ou n'importe quel combat. Le Québécois d'origine roumaine devait livrer la performance de sa vie. La victoire était la seule option. Son titre de champion du monde était en jeu et sa réputation aussi.

«Si Lucian perd, les gens vont dire "on le savait que Lucian avait été protégé"», prévenait Stéphan Larouche dans les jours précédents.

Mais Lucian Bute (30-1, 24 K.-O.) a perdu. Largement. Violement. Dès le premier round, les 9000 spectateurs ont su qui contrôlait le combat.

Carl Froch (29-2, 21 K.-O.) a attaqué son adversaire comme un chien enragé et n'a jamais lâché le morceau. Il a ébranlé Bute à répétition aux 3e et 4e rounds. Puis lors de la 5e reprise, le champion, dos aux câbles, a subi une rafale de coups à la tête. Voyant que Bute ne se protégeait plus, l'arbitre Earl Brown a séparé les boxeurs et entamé un compte de 10.

L'entraîneur Stéphan Larouche ne croyait déjà plus aux chances de son boxeur. Il est sorti du coin pour le protéger et a jeté l'éponge. Le public s'est levé d'un bond à Nottingham. Carl Froch a été déclaré vainqueur par K.-O. technique à 1:05 du 5e round.

Atmosphère lourde

Près de deux heures après le combat, dans la nuit, Lucian Bute s'est adressé aux médias québécois et roumains dans une petite pièce bondée de son hôtel. L'atmosphère était lourde.

«Ç'a été une dure défaite, la pire soirée que j'aurais pu avoir. J'avais confiance en moi. Je suis venu ici en pensant que je pouvais gagner, a commenté l'ancien champion IBF des super-moyens. Stéphan m'avait prévenu qu'il pourrait sauter sur moi dès le son de la cloche. Je n'ai pas réagi comme je l'aurais espéré. Je me suis fait surprendre. J'ai paniqué un peu et c'était trop tard.»

À un moment au troisième round, il a touché d'un crochet Froch et pensait pouvoir revenir. Mais il n'a pas suivi son plan, il n'a pas occupé le centre du ring, il n'a pas sorti le jab. Lucian Bute a expliqué tout ça calmement. À un seul moment il a paru ému, lorsqu'il a évoqué la fin du combat, au moment où les coups répétés de son adversaire l'ont complètement paralysé. «Au cinquième round, il s'est passé ce qui s'est passé. C'est la boxe», a-t-il échappé, la gorge nouée.

Bon joueur

Pour le nouveau champion du monde IBF des 168 livres, l'émotion était tout autre. Carl Froch a connu des mois difficiles après avoir subi une dure défaite contre l'Américain Andre Ward en décembre. La victoire de samedi lui a donné des ailes. Mais bon joueur, il avait de bons mots pour le vaincu.

«Lucian Bute est classé numéro 1 dans la plupart des publications de boxe. Il était invaincu en 30 combats et il a un gros pourcentage de K.-O. Je peux comprendre pourquoi: il m'a frappé avec quelques bons coups et je les ai sentis. S'il vous pince souvent avec ce genre de coups, vous êtes dans le pétrin», a admis Froch.

Photo: AP

Lors de la cinquième reprise, le champion, dos aux câbles, a subi une rafale de coups à la tête.

Les boxeurs avaient signé une clause revanche en cas de victoire de l'aspirant. Le second combat, s'il avait lieu, serait au Québec. Mais les deux parties ont jugé qu'il était trop tôt pour s'avancer. Après une telle défaite, le promoteur de Bute, InterBox, sera-t-il intéressé à une revanche?

Lucian Bute a au moins laissé entendre qu'il ne tournerait pas le dos à la boxe. «Je ne suis pas le premier ni le dernier boxeur à perdre. Tous les grands boxeurs ont perdu un combat. Je pense que j'ai un caractère fort et que je peux revenir, a-t-il lancé après la défaite. J'ai besoin de repos maintenant, c'était une soirée difficile. Après, on va prendre une décision.»

Entre les quatrième et cinquième rounds du combat, Stéphan Larouche craignait pour la santé de son poulain. Bute se faisait toucher à répétition. Peu dans la foule croyaient encore à ses chances de gagner. «Qu'est-ce qu'on fait, on arrête?», a demandé Larouche.

Bute n'a pas hésité et lui a répondu: «Laisse-moi essayer. Je n'ai peur de rien et je veux continuer jusqu'à la victoire. Parce que je suis un boxeur.»

Ce matin, il n'est plus champion. Mais Lucian Bute reste un boxeur. Avec tout le drame que cette profession implique. Boxeur, il ne l'a peut-être jamais autant été qu'aujourd'hui.

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Photo: AP

En principe, un combat revanche doit avoir lieu au Québec, en vertu du contrat signé par les deux boxeurs. Hier cependant, les parties ont jugé qu'il était trop tôt pour se prononcer sur la question.