Les semaines d'entraînement et de sacrifice sont terminées. Ce soir à Nottingham, dans un amphithéâtre rempli à craquer, Lucian Bute devra faire subir à Carl Froch une première défaite à la maison. Une mission périlleuse. La plus difficile de sa carrière.

«C'est le plus grand défi de Lucian», a lancé sans détour son entraîneur, Stéphan Larouche, juste avant d'aller rejoindre son protégé hier soir pour écouler les dernières heures avant le rendez-vous.

Le combat qui a permis à Lucian Bute (30-0, 24 K.-O.) de gagner le titre de champion du monde IBF en 2007 a bien sûr été un grand moment. Ses deux défenses contre Librado Andrade ont fait frémir les spectateurs. Mais plusieurs amateurs de boxe ont remis en question le calibre de ses victimes dans les dernières années.

Ce soir à minuit (19 h au Québec), pour la 10e défense de son titre, il affrontera «le meilleur boxeur» disponible, comme aime à le répéter son entourage. Le tout dans la cour de son adversaire. En 13 combats à Nottingham, Carl Froch (28-2, 20 K.-O.) n'a jamais connu la défaite.

«Une victoire contre Carl Froch, chez lui, va me donner beaucoup de crédibilité dans le monde, estime Lucian Bute. Je veux être reconnu comme le meilleur. Je ne veux pas juste être reconnu à Montréal, je veux être au Temple de la renommée de la boxe.»

On a eu droit à un avant-goût de l'ampleur de ce combat hier lors de la pesée officielle. Les deux boxeurs ont respecté la limite de 168 livres - 167,2 livres pour Bute et 167,5 livres pour Froch. Mais la foule a volé la vedette.

Les Roumains font du bruit

Une centaine de partisans roumains ont réussi à enterrer les Anglais qui s'étaient déplacés pour soutenir leur favori : «Loucian Bou-té, Loucian Bou-té» scandaient-ils avec une énergie sans fond. Les partisans de Froch ont d'abord répliqué. Ils ont repris en choeur «Quiet-Quiet». Sans effet. L'ironie est qu'eux-mêmes ont fini par se taire, se contentant de rouspéter poliment.

La scène était sans agressivité aucune. Plutôt comique, en fait. Les Roumains ont gagné la première manche. Les choses devraient être différentes ce soir dans l'aréna.

«Je me sens comme à Montréal!» s'est réjoui Bute après la pesée, entouré des siens.

Pour le dernier face à face, les deux se sont toisés gentiment. Carl Froch s'est approché de Bute et lui a demandé: «Tu es prêt pour demain?» Le Québécois a opiné et lui a renvoyé la question. «On le saura dans 24 heures», a chuchoté l'Anglais. Les deux souriaient.

«J'ai beaucoup de respect pour Lucian Bute et je lui ai souhaité bonne chance. C'est un combat entre deux professionnels qui n'ont aucune animosité», a expliqué Froch hier.

Mais le respect a ses limites et Carl Froch a été clair: lui aussi doit sortir gagnant du ring. Sa carrière de boxeur en dépend. «C'est le plus gros combat de ma vie. S'il se déroule comme je pense qu'il peut se dérouler, je vais être de retour au sommet de la scène internationale, juge-t-il. Je vais me préparer au rematch au Canada (une clause prévoit un combat revanche si l'Anglais bat le champion). Je ne veux même pas penser à une défaite.»

«Je vais mettre de la pression du 1er au 12e round s'il le faut, prévient l'ancien champion du monde qui a perdu son titre aux mains d'Andre Ward. S'il le faut. Parce que je ne veux pas lui souhaiter de malheur - je ne souhaite jamais de malheur à un boxeur - mais ce combat ne se rendra pas à la limite. Je ne vois pas Lucian Bute se rendre à la limite à Nottingham. Je frappe trop fort.»

Bien sûr, il n'est pas le premier à prédire qu'il couchera Bute. «Ils le disent tous. Mais aucun n'a jamais réussi à le mettre K.-O.» rappelle Stéphan Larouche.

La suite pour Bute?

Une victoire pour Lucian Bute viendrait faire taire bien des critiques. Ceux qui accusent son clan de l'avoir protégé à outrance pourraient devoir changer de disque.

«Moi je pense qu'il va passer le K.-O. à Froch, prédit l'ancien champion du monde Éric Lucas, qui a fait le voyage en Angleterre. Et s'il y parvient, Lucian va devenir le meilleur 168 livres de la planète. C'est simple comme ça.»

Les portes s'ouvriraient devant lui. Les combats contre des adversaires du type de Jean-Paul Mendy ou de Jesse Brinkley seraient chose du passé. S'il bat Carl Froch ce soir, il y aura un avant et un après.

En cas de victoire, le prochain adversaire pourrait être le Danois Mikkel Kessler (45-2, 34 K.-O.). Le promoteur Jean Bédard explique que cette avenue est à court terme plus probable qu'un duel contre Andre Ward. «Et on n'exclut pas que le combat ait lieu au Québec», dit-il.

Les portes s'ouvriront finalement pour le Québécois d'origine roumaine s'il gagne ce soir. Mais s'il perd? Stéphan Larouche le sait très bien: «Si Lucian perd, les gens vont dire "on le savait que Lucian avait été protégé"»

La chute d'un côté, la gloire de l'autre. Et 12 rounds de 3 minutes entre les deux.

Roumains, Québécois, même combat

Lucian Bute sera encouragé par plus de 400 partisans ce soir au Capital FM Arena de Nottingham. La moitié sont des Québécois fanatiques de boxe. Les autres sont des Roumains fanatiques de Lucian Bute.

Rencontré hier à la pesée, Daniel, 30 ans, a expliqué qu'il en était à son deuxième voyage pour assister à un combat de son favori. «La première fois, c'était à Montréal, mais je ne me souviens plus qui était l'adversaire, admet ce Roumain originaire de la même ville que Bute, Galati. De toute façon, on est là pour Lucian. C'est le numéro 1, il n'y en a pas d'autres.»

Les 400 partisans seront disséminés dans l'amphithéâtre de 9000 places. Mais un peloton de 50 sera réuni et espère faire assez de bruit pour encourager son favori. Pour Roumains et Québécois, le combat est le même: rappeler à Lucian Bute qu'il n'est pas seul, en Angleterre.