Joachim Alcine a lancé le coup à la dernière seconde du cinquième round. David Lemieux était adossé aux câbles, la garde haute. Alcine s'est approché de lui la main droite à la ceinture. Puis, à toute vitesse, comme un lanceur à la balle molle, il a décrit un arc de cercle avec son poing, avant de l'enfoncer dans l'abdomen de Lemieux.

Le coup en question est un «bolo punch», une attaque rare et sournoise que l'ancien champion du monde a lancée à au moins trois reprises samedi dernier au Centre Bell. Son utilisation est le fruit sa nouvelle association avec un entraîneur érudit et versé dans les classiques, Anthony Wilson. Elle est aussi signe de la confiance retrouvée de Joachim Alcine.

Car le bolo punch est un coup risqué pour celui qui l'envoie. Tout comme les grimaces ou les bombements de torse utilisés ce soir-là par Alcine, cette attaque est réservée aux boxeurs confiants en leurs moyens.

«Il faut faire attention, parce que ce n'est pas tout le monde qui peut faire ça. Il faut le bon timing, note l'éminence grise de la boxe au Québec, Guy Jutras. C'est un coup dangereux parce que le boxeur ouvre sa garde pour l'envoyer, mais c'est un coup tellement spectaculaire!»

Pourquoi est-ce un coup délicat? À cause de l'arc de cercle que décrit le poing, le bolo punch prend une fraction de seconde de plus à décocher que les coups classiques - le jab, le crochet ou l'uppercut. Pendant cette fraction de seconde, le boxeur est susceptible d'être contré d'un crochet.

Guy Jutras, qui était au Centre Bell pour le combat, a été surpris de voir Alcine lancer ce coup recherché. Selon lui, le bolo punch ne fait pas plus mal qu'un autre coup. Il est seulement plus impressionnant. «C'est un coup divertissant, électrisant, spectaculaire. C'est un coup rare aussi, note-t-il. Alcine l'a utilisé pour rendre le combat excitant je pense, comme quand il se tapait sur le torse. C'était bon.»

Le coup de machette

Le bolo punch doit son nom à une machette traditionnelle utilisée aux Philippines. Le boxeur philippin Ceferino Garcia aurait, dans les années 30, inventé le coup, qu'il assimilait au geste répété par les coupeurs dans les plantations de canne à sucre.

Le nom est resté, puis le coup a été rendu populaire dans les années 40 par le boxeur Kid Gavalan. Plus tard, Sugar Ray Leonard l'a utilisé - notamment dans ses combats contre Roberto Duran - puis Roy Jones Jr et Joe Calzaghe en ont fait de même.

«J'ai 80 ans et je me rappelle juste de l'avoir vu être utilisé une couple de fois au Québec dans les dernières décennies», note Guy Jutras.

Selon l'entraîneur de Joachim Alcine, il était essentiel de lui apprendre le coup. Anthony Wilson - que le boxeur québécois a qualifié d'entraîneur vieille école - le lui a fait pratiquer à l'entraînement.

«J'avais remarqué que Lemieux avait tendance à se pencher vers l'avant à la fin des combats, a expliqué Wilson hier. Mais on l'a surtout utilisé lorsque Lemieux était contre les cordes. Car, c'est un coup approprié uniquement quand un adversaire recule ou est affaibli; on ne le fait pas quand l'adversaire vient vers nous ou qu'il est en pleine forme et alerte.»

Le bolo punch aura surtout fait plaisir à la foule au Centre Bell. Peut-être a-t-il aussi influencé quelques juges et fait pencher la balance en faveur d'Alcine à l'issue des 12 rounds, car le coup est impressionnant.

Guy Jutras espère maintenant que Joachim Alcine gardera ce coup dans son arsenal. «Parce que ce soir-là, il est devenu un boxeur excitant. Il ne l'avait jamais été avant, dit-il. Mais là il a livré un combat où réellement tout le monde était surpris.»

Et le bolo punch y était pour quelque chose.