Ce soir à Bucarest, Lucian Bute revient devant les siens, le temps d'une huitième défense de son titre, contre Jean-Paul Mendy. En Roumanie. La Presse a décidé de remonter le temps et le chemin parcouru par Bute en allant dans son village natal, À Pechea, là où tout a commencé.

On arrive à Pechea lentement, très lentement, par une petite route de campagne, où l'on croise des charrettes, des chevaux, des chèvres et parfois aussi des humains. Il faut vraiment vouloir pour aller à Pechea; les conducteurs ne tiennent manifestement pas trop à la vie, les embouteillages semblent être une tradition, et le trajet est in-ter-mi-nable.

Mais on y va quand même. Parce que c'est ici que tout a commencé pour Lucian Bute.

Bute est le champion des super-moyens de l'IBF, mais pour Pechea, il est beaucoup plus que ça. Ici, Bute est fierté, bonheur, émotion. Il est celui qui a triomphé, mais qui revient encore pour saluer son monde.

«Il est resté le même, jure Marin Meca, un ami et le propriétaire d'un restaurant du village. Je me souviens, il était revenu ici il y a quelques années pour apporter des cadeaux aux enfants, et il prenait le temps de saluer tout le monde. Il n'a pas la grosse tête.»

À Pechea, on dirait que chacun des quelque 12 000 habitants le connaît. En tout cas, ils savent tous où habitent papa et maman Bute. Suffit de demander et nous y voici, devant la maison où le champion a grandi. Stefan Bute sort, nous y invite, nous montre les deux chambres où les trophées, photos et médailles de son célèbre fils sont savamment installés. Il faut dire que les parents du champion ont l'habitude. «Il y a plein de gens qui viennent ici pour prendre des photos devant leur maison», soutient Marin Meca.

La route poussiéreuse nous mène ensuite à un bâtiment délabré, où se trouve le Club de boxe Lucian Bute. Il s'agit d'un très modeste gymnase, sans arène, qui serait aussi sans intérêt si ce n'était de ce léger détail: c'est dans cette pièce que le héros roumain a donné ses premiers crochets.

Felix Paun s'en souvient très bien. Aujourd'hui âgé de 48 ans, l'entraîneur enseigne la boxe depuis 27 ans. Il est celui qui a pris le jeune Bute sous son aile dès les premiers pas, en 1992.

«C'est un camarade de classe qui l'avait amené ici, se rappelle Felix Paun. Lucian avait 13 ans et il était petit. Il était timide aussi. Mais plus ça allait et plus j'ai réalisé que j'avais un boxeur de talent sous la main. Je m'attendais à ce qu'il devienne un bon boxeur amateur, qu'il gagne des médailles. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'il atteigne ce niveau-là...»

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Il faut passer un peu de temps à Pechea pour réaliser combien Lucian Bute est parti de loin. Dans ce petit village roumain où le temps semble s'être arrêté, les perspectives d'avenir ne sont pas si bonnes. En chemin, on croise plusieurs de ces usines en béton gris de l'époque communiste. Pour la plupart des habitants de la région, ces usines sont un lieu de travail inévitable pendant de longues années.

Mais le jeune Bute ne voulait pas d'un travail en usine. Il voulait vivre sa passion. Il voulait boxer, même si ses parents étaient contre l'idée d'un fils qui se bat dans un ring.

«Ce que j'ai vu dès le départ, poursuit Felix Paun, c'est sa vitesse et sa mobilité. Je savais qu'il allait être un très bon boxeur amateur, mais il fallait convaincre ses parents. Au début, on a dû insister auprès d'eux, leur dire que leur fils avait une chance unique. J'ai dû aller leur parler à la maison pendant des mois... Par ici, les parents ont parfois peur pour leurs enfants, ils veulent qu'ils évitent les sports agressifs comme la boxe ou la lutte. Ce fut difficile, mais avec le temps, on a fini par les convaincre. Lucian a beaucoup insisté lui aussi, il aimait boxer.»

Felix Paun est fier. Ça se voit. Dans le petit gym, les murs sont tapissés de posters d'InterBox que Bute a ramené du Québec. L'entraîneur nous raconte que son ancien élève lui demande encore conseil de temps à autre, qu'il lui arrive d'acheter des gants et de l'équipement pour les jeunes de Pechea qui désirent suivre le chemin qu'il a tracé.

Bien sûr, M. Paun ne rate jamais un combat. «Je crois que Lucian peut continuer de gravir les échelons... Il peut battre Kelly Pavlik, Mikkel Kessler ou Carl Froch. Le seul qui pourrait lui causer des ennuis, c'est Andre Ward.»

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En tout, Lucian Bute a passé quatre années dans le petit gymnase qui porte son nom aujourd'hui. À l'âge de 17 ans, il a quitté le village pour aller boxer au sein de l'équipe nationale roumaine et c'est un peu là que sa carrière a changé de trajectoire, quand on lui a préféré le compatriote Marian Simion en vue des Jeux olympiques de 2004.

Bute n'a pas accepté cette décision de l'équipe nationale roumaine. Insulté, il a choisi de tenter sa chance chez les pros. Son entraîneur Stéphan Larouche n'a rien oublié des premières rencontres.

«J'avais croisé les boxeurs de l'équipe roumaine en Roumanie, c'était en 2002, et Lucian m'avait impressionné, raconte Larouche. Il avait les cheveux teints en blond platine et il souriait. Tous les membres de l'équipe roumaine avaient un air triste, mais lui, il rayonnait.»

L'année suivante, Stéphan Larouche cherche un partenaire d'entraînement pour Éric Lucas, en vue d'un combat revanche (qui n'aura jamais lieu) face à l'Allemand Markus Beyer. Il pense immédiatement au Roumain rayonnant.

«Ce fut un coup de chance d'une certaine façon, estime Larouche. Beyer s'est blessé, il n'y a pas eu de combat avec Éric Lucas, mais on a pu voir Lucian boxer pendant un mois. Ce sont les circonstances qui l'ont amené avec nous.»

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Ce soir, celui que les circonstances ont emmené au Québec se battra dans sa Roumanie natale, à Bucarest, face au Français Jean-Paul Mendy. Pour Bute, il s'agira de la huitième défense de son titre des super-moyens (168 livres) de l'IBF.

Stéphan Larouche n'en revient pas encore du chemin parcouru.

«Peu de gens le savent, mais quand Lucian a gagné sa ceinture contre Alejandro Berrio en 2007, il a dû être opéré quatre jours plus tard à un genou, rappelle l'entraîneur. On ne sait jamais ce qui peut arriver après ça.»

Ce que peu de gens savent aussi, c'est que Lucian Bute ne parlait pas un mot de français à son arrivée au Québec. C'est une question de la collègue Diane Sauvé, de Radio-Canada, qui l'a fait réagir.

«C'était après son troisième combat chez les professionnels et elle lui avait demandé comment il se sentait, explique Larouche. Lucian avait été frustré de ne pas pouvoir lui répondre. Dans le vestiaire ensuite, il m'avait dit qu'il ne voulait plus jamais vivre ça. La semaine suivante, il s'est inscrit à l'Université de Montréal, trois cours par semaine. Quatre mois plus tard, il parlait français.»

Ce sera assurément la fête à Pechea ce soir. Un écran géant sera installé au centre du village et tous les habitants, ou presque, vont se réunir pour regarder le gros combat. L'instant d'un soir, ce sera un peu comme si Lucian Bute n'était jamais parti.