Nous publions ici en exclusivité quelques extraits du livre Arturo Gatti, le dernier round, de Jacques Pothier, qui paraîtra demain aux Éditions La Presse._________________________________________________

Prologue

Le testament

Bien avant sa mort au Brésil en juillet 2009, Arturo Gatti éprouvait des pensées suicidaires, comme en fait foi cet épisode de sa vie tourmentée, survenu cinq ans plus tôt au New Jersey.

À 4 heures cette nuit-là, un taxi au même coloris acidulé que les bâtiments environnants quitta la Tonnelle Avenue de Jersey City et déposa le tout nouveau champion des super-légers du World Boxing Council (WBC) à la porte du Ringside Lounge. Arturo Gatti n'y pensa pas sur le moment, mais quand la voiture presque phosphorescente repartit vers ses quartiers, elle emporta avec elle la dernière lueur qu'il verrait au cours des douze prochaines heures. Tout le reste, jusqu'à la fin de l'après-midi de ce mardi de mars 2004, ne serait que pure noirceur (...)

Une heure plus tôt, le bar s'était vidé de ses derniers clients et, de la même manière qu'il savait qu'il ne trouverait aucune nunuche avec qui baiser à cette heure-là ni aucun paumé avec qui boire et renifler, il savait, parce que ça aussi c'était immuable, que le seul type à qui il souhaitait parler allait être encore là à compter les recettes de sa journée (...)

Et puis, au travers d'accès de larmes pénibles à supporter, sans jamais demander une goutte d'alcool ni passer son temps à faire des allers-retours aux toilettes, il avait commencé à les lui jeter à la face, ces choses, conscient que ce serait là l'un des plus forts testaments jamais livrés par un boxeur.

«Il y a quatre semaines, j'ai pris la décision d'en finir avec cette putain de vie. Ce jour-là, j'ai dit: je veux partir, je suis exténué, je ne suis plus capable d'en prendre, d'endurer, je ne veux plus me battre, je ne peux plus me battre, mon corps est mort, mes genoux me font souffrir, mes hanches me font souffrir, mes mains sont complètement détruites, ma vision est nulle, j'ai des cataractes, j'oublie les trucs les plus simples, parfois je n'arrive même pas à me rappeler ce que j'ai fait la veille, ma tête est pleine de toutes sortes de choses et ne tourne plus rond. Je sais que si je suis encore ici aujourd'hui, c'est que cette fois-là Dieu n'a pas été capable de me prendre et de me ramener à lui, dans un sens je suis trop fort. Mais ce n'est que partie remise, d'ailleurs tu me rendrais service si tu acceptais de me donner ton gun, je sais très bien que tu en caches un ici. Il est chez toi? Bon, si tu le dis... De toute façon, j'ai encore le mien, je peux même te dire le calibre, c'est un .22, je n'ai juste pas de balles, mais tu verras, suffit d'être patient, les balles vont venir à moi, et voilà ce que je vais faire quand les balles vont venir à moi, je vais prendre le canon et je vais me l'enfoncer aussi creux que ça dans le fond de la gorge, et je vais appuyer ici, et voilà, juste une balle et ce sera terminé, je ne souffrirai plus, je serai enfin en paix. Je ne sais pas où je serai enfin en paix mais je sais que ce sera aux côtés de mon père. Toute ma vie et toute ma carrière auraient été différentes si mon père était resté en vie. Lui au moins aurait été là pour me témoigner de l'amour et je peux te dire que je serais probablement devenu encore plus big que De La Hoya (...) En définitive, la boxe m'a tout pris. Je lui ai donné ma vie et regarde ce qu'elle m'a fait la boxe, regarde comment elle m'a traité.»

____________________________________________________

Chapitre 1

Uncasville, 18 mai 2002

Le neuvième round du premier des trois combats ayant opposé Arturo Gatti à Micky Ward est entré dans la légende. Matraqué par son adversaire, envoyé au tapis par un crochet au foie, il a trouvé la force de se relever - confirmant, pour le meilleur et pour le pire, sa réputation d'encaisseur extraordinaire.

À toujours le comparer à des figures fictives du grand écran, on a juste oublié que les 93 coups de plein fouet qu'il vient d'encaisser dans ce round, ce n'était pas du cinéma. Il les a vraiment pris sur la tête pour la plupart, donnés par un homme entraîné pour tuer, armé de gants - Reyes, les pires! - de huit onces conçus pour briser bien plus de cellules que le cerveau humain peut en développer (...)

Ce qu'il subit présentement est inhumain, à un point tel que le juge Richard Flaherty ne va pas inscrire sur son bulletin 10-8 pour Ward à la fin du round, mais 10-7! Mais en revanche, tout ce que 20 ans de boxe ont jusqu'ici appris à Arturo, le refus de l'abandon, l'importance d'être un guerrier, de savoir repousser la douleur, sa nature, ses modèles - il avait fait siens les mots de Winston Churchill «never, never, never quit» qu'il avait un jour lus sur le bureau de son ami et coach de football Rich Hansen -, tout ça concourt à ne pas le faire lâcher de lui-même et à dire qu'il faut le laisser poursuivre. «Aurait-on dû arrêter le combat? Si j'avais été quelqu'un d'autre, peut-être, oui...», avait-il ainsi répondu après le combat à Thomas Hauser. «Mais je suis Arturo Gatti, et mes combats sont toujours comme ça. Je me fais ébranler, je reviens, je me fais encore ébranler et je reviens encore...»

Mais cette fois? On n'aurait pas assez d'une vie pour se remettre d'une telle agression, et ce dont bénéficie maintenant Arturo pour récupérer c'est... 60 secondes! Quand le seul coup de marteau qu'il a pu éviter dans ce round vient finalement à sa rescousse pour faire entendre la cloche, il est groggy, coupé sous l'oeil et sa tête est boursouflée. Marcher jusqu'à son coin est une épreuve, s'asseoir une délivrance. Buddy l'asperge d'eau de la main droite et place la gauche derrière sa tête. Puis il colle sa tête à la sienne, d'ordinaire deux fois plus petite et maintenant identique. «Arturo, écoute-moi. Arturo, écoute-moi.» Son regard est vitreux, dans le vague. «Je ne te laisserai pas continuer à prendre des coups comme ça.» Réaction nulle. Une épave. Oubliez l'idée qu'Arturo Gatti est mort au Brésil. Il est mort bien avant, un peu partout en Amérique.

____________________________________________________

Photo: AP

Arturo Gatti et Micky Ward

Chapitre 10

Le roman noir d'Arturo et Amanda

Meurtre ou suicide? La mort d'Arturo Gatti, dans l'appartement brésilien qu'il partageait avec sa femme Amanda Rodrigues, n'a pas fini de faire couler de l'encre. En imaginant une conversation entre le frère cadet de Gatti et le responsable de l'enquête policière, Jacques Pothier se rallie à la version officielle: l'ancien boxeur s'est bel et bien enlevé la vie.

Si Fabrizio Gatti en avait alors eu le pouvoir, il aurait assis (le chef de police Paulo Alberes) devant lui pour le soumettre à un interrogatoire de six heures. Il aurait fait la liste de toutes les questions qui le turlupinaient depuis qu'Alberes avait conclu au suicide de son frère et les aurait posées l'une après l'autre (...) L'interrogatoire aurait ressemblé à ceci:

Pourquoi y avait-il du sang sur les draps de la chambre à coucher si Arturo avait été retrouvé sur le plancher?

Parce qu'Amanda saignait du menton en arrivant au condo (mais aucun test d'ADN n'avait été fait pour vérifier s'il s'agissait bien de son sang).

Pourquoi être si sûr qu'il n'y a pas eu de complices à l'intérieur?

Il fallait absolument une carte magnétique pour entrer et le système n'indique aucun accès après 2h26. Il n'y avait non plus aucune trace d'effraction et ils ne pouvaient entrer par la porte de la galerie sans être remarqués par le garde de sécurité et la caméra de surveillance. Et puis, il n'y avait aucune trace de lutte, aucune empreinte dans le condo (...)

Pourquoi ne pourrait-elle pas l'avoir pendu?

Impossible. Trop frêle, pas assez forte (...)

Sa blessure à la tête?

Elle a été causée lors de la querelle publique. Du sang a été retrouvé sur l'appuie-tête du taxi qui l'a ramené à l'hôtel. Un test d'ADN a prouvé que c'était le sien (...)

Et le testament modifié la veille du voyage, qui lui donnait le motif de le tuer?

Un élément qui n'a aucune importance à mes yeux. Qu'un testament lui accorde un ou 30 millions de dollars, je m'en balance. Ce qui compte, ce sont les faits, les preuves, ce que l'enquête a démontré. Cela aurait duré ainsi pendant des heures et à la fin, Paulo Alberes aurait malheureusement dit à Fabrizio ce qu'il avait aussi dit aux envoyés spéciaux: c'est triste, mais il n'y a qu'une seule hypothèse, et c'est le suicide.

Photo fournie par Amanda Rodrigues

Arturo Gatti avec sa femme Amanda Rodrigues.