Tous les boxeurs vous le diront, le coup de poing qui fait le plus mal, le coup de poing qui paralyse, le coup de poing contre lequel il n'y a aucune défense lorsqu'il est bien appliqué, le coup de poing qui tue en somme c'est le coup de poing décoché au foie.

Rappelez-vous la victoire d'Arturo Gatti contre Leonard Dorin.Dorin, ce soir-là, lui qui n'avait jamais visité le plancher en carrière, ni, comme Andrade, jamais été mis K.-O. s'est effondré aussi lourdement qu'une poche de sable qu'on laisse tomber sur un tapis lorsque Gatti, d'un puissant crochet de gauche, l'a solidement atteint au foie. Un coup parfait, d'une précision toute chirurgicale, qui l'a forcé à s'agenouiller au milieu du ring, recroquevillé sur lui-même et laissé pantois, grimaçant de douleur, sans même qu'il puisse songer à la possibilité de se relever tellement le mal semblait insupportable.

Samedi, ce fut au tour d'Andrade de vivre cette terrible descente aux enfers.

Pas étonnant que Bute, lorsqu'il a vu son crochet de gauche s'enfoncer dans le côté droit du corps d'Andrade, se soit mis à festoyer bien avant que l'arbitre n'entame le compte de dix. Terrassé net, à quatre pattes par terre comme on dit, genoux et poings au sol, Bute savait fort bien qu'Andrade ne parviendrait jamais à se relever.

«De tous les coups de poings, celui asséné au foie est celui qui pardonne le moins, a dit Yvon Michel. On peut se relever à la suite d'un uppercut essuyé au menton, on peut se relever d'un direct à la mâchoire, mais on ne se relève pas d'un crochet ou d'un direct bien appliqué au foie.»

Ou si peu, aurait pu ajouter Michel...

«Ou si peu, en effet. Ceux qui sont passés par là savent que le coup au foie est paralysant mais que le mal, curieusement, est de courte durée. Mais tant et aussi longtemps que vous n'êtes pas passé par là, vous ne pouvez pas le savoir. Quand cela vous arrive vous pensez mourir et l'envie de poursuivre le combat est la dernière des choses qui vous viennent à l'esprit. Ce n'est qu'une fois le combat arrêté, que le mal soudainement disparaît. Complètement. Dans ma courte carrière de boxeur, j'ai déjà essuyé ce coup. La douleur est terrible. Mais après quinze ou vingt secondes, elle disparaît. Moi, quand ça m'est arrivé, après une minute de repos, j'ai pu reprendre l'entraînement.»

Or donc ?

«Or donc, si jamais Andrade se fait refaire le même coup, il saura qu'il lui faudra gagner du temps. Puiser au fond de lui-même l'énergie dont il a besoin pour se relever. Savoir qu'une fois sur pieds, il sera en mesure de s'accrocher à son adversaire en attendant la fin du round. Et qu'au round suivant, ses sens complètement retrouvés, il sera en mesure de redevenir le boxeur qu'il était en début de combat, comme si dans les faits rien ne s'était passé.»

Facile à dire, mais samedi soir, après le crochet de gauche fatidique de Bute, quand on a vu le Mexicain tomber au sol et grimacer comme on l'a vu grimacer, il n'était que dans l'ordre normal des choses qu'il demeure au tapis.

«Le piège il est là. Andrade, comme Dorin face à Gatti, ne pouvait pas savoir que le mal partirait aussi vite qu'il était venu. La première fois qu'on se fait frapper au foie, les boxeurs réagissent tous de la même façon. Andrade n'a pas fait exception.»

On avait prédit qu'Andrade samedi se porterait davantage à l'attaque et c'est exactement ce qu'il a fait.

Même s'il a remporté les trois premiers rounds, par moments j'ai craint pour Bute. Surtout que Bute ne nous a pas prouvé jusqu'à maintenant qu'il pouvait super bien encaisser. D'une part parce que personne, hormis Andrade, n'est parvenu chez les pros à le frapper solidement et d'autre part parce quand ça s'est produit, contre Andrade justement, Bute s'est écroulé.

Épuisement ou mâchoire de papier? La question se pose. Quoi qu'il en soit, samedi, jusqu'au troisième round, Andrade distribuait tellement de coups qu'avec un peu de chance il aurait bien pu atteindre Bute au menton en quelques occasions. Ses coups étaient secs et rataient la cible de peu. En plus, conséquence directe du premier affrontement entre les deux boxeurs, Andrade ne semblait aucunement craindre celui qu'il était parvenu à terrasser au douzième round du premier combat. Par contre, dans les yeux de Bute, j'ai cru déceler beaucoup d'anxiété et de nervosité.

Michel: «Bute n'a jamais été reconnu comme un boxeur qui commence ses combats avec force. Il a toujours eu besoin d'une couple de rounds avant de se mettre en marche. Et puis, vous savez, dans un combat revanche, c'est toujours le boxeur le plus talentueux qui remporte le deuxième combat parce que le boxeur le plus talentueux est toujours celui qui emmagasine le plus d'informations sur son adversaire.»

Et l'information la plus pertinente était celle qui voulait qu'Andrade laisse son côté droit sans protection à chaque fois qu'il tentait d'atteindre Bute au visage à l'aide de son crochet de droite.

Cela dit, Bute a remporté 25 victoires en 25 combats, dont 20 par K.O.

Super six ou pas, je ne vois comment un boxeur de la catégorie des super-moyens (168 livres) pourra se vanter d'être le meilleur au monde sans avoir à affronter le Québécois d'origine roumaine.

Dans le milieu de la boxe, le mot est d'ailleurs déjà passé.

Le vainqueur du Super Six chez les super moyens n'aura donc pas le choix, il devra affronter Bute s'il veut vraiment être considéré comme le meilleur boxeur de sa catégorie.

On en est rendu là. C'est vous dire tout le respect que l'on porte à l'actuel champion du monde de l'IBF.

Qu'on se le dise mes amis, pour Bute, dont la bourse samedi a été de 900 000 dollars, le meilleur est définitivement à venir.