Murs décrépis, lampes faiblardes, équipements à l'abandon: 35 ans après le «combat du siècle», l'histoire s'est effacée à l'ex-Stade du 20 Mai de Kinshasa, capitale de l'ex-Zaïre, là où le légendaire boxeur Mohammed Ali reprit sa couronne mondiale à George Foreman.

Ce 30 octobre 1974, au coeur de la nuit et de l'Afrique, l'Américain Ali mit son compatriote KO à la 8e reprise d'un combat tactique, où il épuisa et énerva son adversaire, devant près de 100 000 spectateurs acquis à sa cause.Le combat débuta à 03H00 du matin, retransmis en direct aux États-Unis, mais pas au Zaïre (l'actuelle République démocratique du Congo, RDC). Le dictateur Joseph Mobutu ne vint pas au stade, il regarda le combat dans son palais, en bénéficiant d'un circuit fermé de télévision. Les Congolais, eux, verront le match en différé le surlendemain.

«Les gens étaient venus dès 06H00 du matin avec de quoi manger. Le stade était archi plein. Il n'était pas fait pour recevoir un tel évènement. Il avait été refait, des routes et l'éclairage alentour aussi, c'était luxueux», se souvient Pierre Kabala, à l'époque journaliste à la Radio télévision nationale congolaise (RTNC), encore ému d'évoquer ce moment légendaire.

«Ali, tue-le!»

«Ali n'était pas qu'un boxeur, c'était aussi un mobilisateur. Il a su tirer de son côté la majorité du public en apprenant quelques mots de lingala (langue locale) comme «Ali, boma ye!» (Ali, tue-le !), scandés par ses supporteurs, ça a fait son jeu», explique le journaliste.

«Dès qu'il est monté sur le ring, il a dit qu'il était chez lui et que Foreman était un Belge au Congo. A chaque fois qu'il l'attirait dans les cordes, il lançait des phrases et Foreman s'énervait, y allait de toutes ses forces et se fatiguait».

«Au 7e round, Ali lui a dit «tu vas voir comment tu vas tomber comme un sac de fufu (farine de manioc)». Il a utilisé toute son intelligence pour l'emporter» au 8e, raconte le témoin.

Trente-cinq ans après, il ne reste aucune trace de l'évènement dans le stade omnisports rebaptisé, en 1997 après la chute de Mobutu, Tata Raphaël, du nom d'un promoteur du sport à Kinshasa. Le 20 mai 1967 était la date de création du Mouvement populaire de la Révolution (MPR), le parti unique de l'ex-dictateur.

Aujourd'hui certaines parties sont squattées, des immondices traînent ça et là, la pelouse a quasiment disparu.

L'enceinte abrite une équipe de foot locale, et un club de boxe «et de promotion sociale», qui compte 52 garçons et 22 filles.

«Emotion incroyable»

«On se débrouille. Il n'y a pas de matériel, on doit louer un ring pour les combats», se désole Judex Tshibanda, l'entraîneur. Les cours se font dans les salles où Ali et Foreman avaient leur vestiaire. Seules quelques rares photos et articles de journaux jaunis collés aux murs rappellent le «combat du siècle».

«Il n'y a plus rien, personne n'a été en mesure d'entretenir les lieux et cette histoire. Ce stade est complètement abîmé, c'est triste», se désole Gabriel Mamba, 75 ans, ancien président des juges-arbitres de boxe de l'ex-Zaïre.

Le soir du combat, c'est lui qui portait le drapeau congolais à l'entrée des boxeurs sur le ring.

«Il y a avait une émotion incroyable. J'étais pour Ali», confie-t-il.

«Le stade se meurt. C'est une mémoire qui n'est pas entretenue. Il faudrait en faire un site touristique. J'ai la nostalgie», conclut Pierre Kabala.

Vendredi, pour le 35e anniversaire de ce combat épique, l'ex-top model américaine Khaliah Ali, une des filles de Mohammed Ali, devait se rendre au stade à l'issue d'une visite humanitaire dans le pays.