Enfant, il excellait au soccer et au hockey. Mais il a préféré imiter son frère aîné et se lancer dans la boxe, au grand désespoir de sa mère qui craignait pour son mobilier. Aujourd'hui, on le dit arrogant. Une façade, disent ses amis. Portrait d'un boxeur de Laval qui disputera ce soir le titre des super-moyens du WBC.

La dernière année n'a pas été tendre pour Jean Pascal.

Le boxeur de Laval a été ébranlé lors de ses deux derniers combats. Une blessure persistante à l'épaule droite l'a tenu à l'écart du ring depuis janvier. Les médias l'ont écorché pour ses déclarations controversées, notamment au sujet de Lucian Bute.

 

Pascal? Un arrogant, a-t-on entendu plus d'une fois. Une grande gueule qui n'a rien prouvé.

Ses preuves, Jean Pascal aura l'occasion de les faire ce soir en Angleterre, au Trent FM Arena de Nottingham, la ville de son rival Carl «Le Cobra» Froch, un cogneur peu commode à qui il disputera le titre vacant des super-moyens (168 lbs) du WBC.

Ce sera seulement le deuxième combat professionnel de Jean Pascal hors du Québec. Un combat qui, en cas de victoire, promet d'être un tremplin vers la phase la plus lucrative de la carrière du boxeur de 26 ans. Mais un combat qui marque aussi le dénouement du long parcours d'un athlète naturel animé par le désir de plaire.

Jean-Thénistor Pascal est né à Port-au-Prince, en Haïti, le 28 octobre 1982. Encore poupon, il a suivi sa mère infirmière, Lisette Joseph, au Canada et a fait la navette entre les deux pays avant d'émigrer définitivement au Québec vers l'âge de 4 ans.

Son potentiel athlétique n'a pas mis de temps à s'exprimer. Au soccer, il lui arrivait régulièrement de marquer quatre ou cinq buts par match, raconte son beau-père, François Laporte, dont il est demeuré proche même après que sa mère et lui se soient séparés.

Il excellait aussi au hockey. «Quand il est arrivé ici, je lui ai mis des patins dans les pieds. Deux ans plus tard, il jouait dans l'atome AA! Il a toujours été dans l'élite», dit M. Laporte, arrivé à Nottingham jeudi en compagnie du frère de Jean, Nicholson Poulard. (Sa mère, pas très portée sur la boxe et trop nerveuse pour assister à ses combats, est restée au Québec.)

La carrière de hockeyeur de Jean Pascal s'est toutefois arrêtée au début de l'adolescence, car sa mère n'avait pas de voiture pour aller le reconduire à l'aréna.

Un diamant brut

Le jeune sportif n'a pas mis de temps à imiter Nicholson, son aîné de cinq ans, qui tâtait déjà de la boxe. Au grand désespoir de leur mère, qui craignait pour son mobilier, les deux frangins (nés de pères différents) s'entraînaient dans le sous-sol de la maison familiale, à Auteuil. «Ses premières volées, c'est moi qui les lui ai données», lance en riant Nicholson, aujourd'hui boxeur professionnel lui aussi.

Pascal a abouti au club de boxe Champion, où il a été pris en charge par l'entraîneur Sylvain Gagnon, qui a également lancé Éric Lucas. Gagnon est devenu peu après entraîneur de l'équipe du Québec, au centre Claude-Robillard, et était dans le coin de Jean Pascal quand celui-ci a remporté, à 15 ans, le championnat canadien juvénile. Un moment charnière, reconnaît Pascal. «C'est là que j'ai vu que je pouvais être le meilleur», dit-il.

L'impact de ses succès en boxe s'est fait sentir en dehors du ring, selon Pascal. «Quand j'étais plus jeune, j'étais timide et gêné. Ça me donnait de la misère à l'école. La boxe m'a appris à avoir confiance en moi et à me dire que je pouvais être meilleur. Et c'est à partir de là que mes notes se sont améliorées.»

Gagnon, lui, a vite eu l'impression d'avoir trouvé un diamant brut. «Il avait du potentiel et de la détermination. J'avais même dit à Ti-Guy Émond que c'était un futur champion du monde», dit-il.

Pascal a confirmé qu'il n'était pas un feu de paille en triomphant d'Adam Trupish en finale de son premier championnat canadien senior. Pascal n'avait que 18 ans à l'époque, quatre de moins que son rival, qui a représenté le Canada aux deux derniers Jeux olympiques. «Adam avait 22 ans et il affrontait ce jeune flot qui arrivait tout juste chez les seniors. Jean lui a passé le K.-O. Ça lui a donné beaucoup de confiance», souligne le boxeur Antonin Décarie, resté ami de Jean Pascal depuis leurs débuts à Claude-Robillard.

C'était le début d'une brillante carrière chez les amateurs: sept championnats canadiens consécutifs, trois titres de boxeur de l'année au pays (2001-2003), l'or aux Jeux de la francophonie (2001) et à ceux du Commonwealth (2002), le bronze aux Jeux panaméricains (2003). Et une participation aux Jeux olympiques d'Athènes, après un combat, judiciaire celui-là, avec le Comité olympique canadien pour obtenir sa qualification.

Tout en terminant ses études en techniques policières, Pascal a poursuivi sur sa lancée chez les professionnels, après s'être joint au Groupe Yvon Michel en janvier 2005. Onze de ses 12 premiers combats se sont terminés par une mise hors de combat... contre des adversaires qui étaient souvent, il faut bien le dire, de simples faire-valoir. (Difficile de décrire autrement un gars comme Donnie Penelton, qui avait une fiche de... 13-162-5.)

Jamais vraiment menacé, Pascal a conquis les titres nord-américains les uns après les autres, se forgeant au passage la réputation d'un boxeur rapide et incisif, porté à garder sa gauche très basse, à la manière de son idole Roy Jones Jr.

Son style flamboyant dans le ring et à l'extérieur de celui-ci a toutefois créé des attentes auxquelles il n'a pas toujours été en mesure de répondre. La foule l'a hué lors d'un combat contre Darnell Boone, au Stade Uniprix, en juin 2006, parce qu'il tardait à achever son modeste adversaire.

On lui a reproché sa propension aux déclarations chocs (comme de dire qu'il battrait Lucian Bute avant la limite) et aux gestes provocateurs (tel le coupe-gorge qu'il a adressé à Edison Miranda, l'hiver dernier, en Floride).

Pourtant, ceux qui le connaissent bien sont unanimes: Pascal est aux antipodes du boxeur à l'ego hypertrophié que certains voient en lui. «Jean n'est pas aussi sûr de lui que ce qu'il dégage comme personnalité publique», dit Antonin Décarie. «Les gens disent parfois qu'il est frais chié, mais c'est tout le contraire. C'est sa façon de se protéger, de cacher sa gêne.»

Des combats ordinaires

Pascal n'a pas aidé sa cause en livrant des combats ordinaires contre Brian Norman et Omar Pittman, qu'il a battus aux points en décembre et janvier derniers. Chaque fois, il a semblé avoir été sonné dans l'arène.

En fait, Pascal soignait une blessure à l'épaule droite qui l'a handicapé lors de ces deux combats. Il n'a pas boxé depuis. «La blessure a été bénéfique. Elle lui a démontré qu'il n'était pas invincible, estime son beau-père, François Laporte. Ça l'a descendu d'un cran.»

Le promoteur de Pascal, Yvon Michel, est d'accord. «Pour être prêt pour un championnat du monde, il faut qu'un cheminement t'y amène. Il faut que tu aies rencontré l'adversité. Jean l'a eue, cette adversité.»

Pascal semble avoir appris sa leçon. Il a fait un peu le fanfaron cette semaine en se comparant à une mangouste qui allait dévorer le cobra, mais c'était le minimum syndical pour une conférence de presse d'avant-combat. Autrement, il a gardé un profil bas et s'est tenu loin des journalistes.

Son attitude n'a rien d'innocent. «Quand tu es bravache et impudent, tu te mets trop de pression sur les épaules, dit le psychologue sportif de Pascal, Robert Schinke. Dans le passé, Jean s'occupait de ce qui se passait autour de lui au lieu de se préoccuper de lui-même. L'évolution, elle est là. Et elle est nécessaire pour qu'un athlète connaisse du succès à long terme.»

«Avant, je disais tout ce qui me passait par la tête, reconnaît Pascal. J'étais un jeune adulte et je voulais grimper les échelons plus vite. J'avais mon franc-parler, mais dans la vie, toute vérité n'est pas bonne à dire. J'ai mûri.»

Assez pour devenir champion du monde? La réponse ce soir à Nottingham.