Finie cette période d’incertitude pendant laquelle l’avenir du ski de fond canadien était compromis. Révolue cette époque pendant laquelle Nordiq Canada cherchait désespérément son prochain Alex Harvey. Terminée cette ère de grands remous loin des podiums internationaux. Antoine Cyr était attendu et il est arrivé, prêt à prendre le flambeau.

Le temps était doux et la neige logeait encore dans les conifères finlandais lors de la dernière course de la saison, à la fin du mois de mars, à Lahti. À cette épreuve du 20 kilomètres classique en départ de masse, Antoine Cyr a arraché une huitième position, pour la deuxième fois de la saison.

Quelques semaines plus tard, il rentrait d’une fin de semaine de vélo avec sa copine dans sa région natale de l’Outaouais. Confortablement assis dans la salle à manger de la maison où il a grandi, le désormais résidant de Saint-Ferréol-les-Neiges est revenu sur la meilleure saison de sa carrière avec La Presse.

Une saison caractérisée par énormément de volume, mais surtout par la confirmation d’enfin faire partie de l’élite de son sport.

« En tant qu’athlète, tu sais où tu peux finir, tu penses que tu serais capable de faire des top 10, mais tant que tu ne l’as pas fait, tu ne le sais pas vraiment. Cette année, de percer le top 10 à plusieurs reprises, ç’a vraiment été un déclic et un poids de moins sur mes épaules », a révélé le fondeur de 24 ans.

Sept fois, précisément, Cyr a terminé parmi ce club sélect. Il l’a d’ailleurs fait dans trois contextes différents, soit en Coupe du monde, au Tour de ski et aux Championnats du monde et dans différents types d’épreuves, c’est-à-dire au relais, en sprint et en distance, témoignant ainsi d’une polyvalence dont le skieur n’est pas peu fier.

Ç’a vraiment été une saison où j’ai dépassé mes objectifs. Ça m’a ouvert les yeux sur l’état du ski de fond canadien et où on en est avec l’équipe.

Antoine Cyr

Son fait d’armes le plus impressionnant demeure sa quatrième position au 15 km classique en départ de masse, dans l’avant-dernière course du mythique Tour de ski sur la tout aussi prestigieuse piste de Val di Fiemme. Sur ce tapis encastré entre les montagnes et en plein cœur de la forêt italienne, le Gatinois a été épatant, du début à la fin. Plus la course progressait, plus il prenait du galon. Sa poussée dans les derniers kilomètres du parcours aurait pu le faire monter sur le podium si la course avait été plus longue de quelques mètres. « C’était à un ongle d’orteil », se souvient-il au sujet de l’écart entre Francesco de Fabiani et lui.

« Ça m’a ouvert les yeux, pas juste pour moi, mais pour mes coéquipiers canadiens, de se dire qu’on est capable de finir quatrième en Coupe du monde et de se dire qu’on est capable de viser le podium. Il faut juste le faire. »

Répondre aux attentes

À la mi-vingtaine, dans un sport à long développement, Cyr est là où on l’attendait. Depuis bon nombre d’années, il est considéré comme le plus beau projet du ski de fond canadien. Avec ses succès de la dernière saison, il a répondu aux attentes placées en lui depuis le départ à la retraite de son mentor Alex Harvey.

Avec raison, son travail sera toujours comparé à celui de son plus illustre prédécesseur. La preuve, la plupart des observateurs parlent de sa dernière campagne comme étant la meilleure pour un fondeur canadien depuis Alex Harvey. Il reste que c’est d’abord et avant tout la meilleure saison d’Antoine Cyr.

PHOTO FOURNIE PAR NORDIQ CANADA

Antoine Cyr

Il y a beaucoup de monde qui compare ma carrière avec celle d’Alex. Il a un parcours très différent. Alex, c’est Alex. Antoine, c’est Antoine. On vient de deux milieux complètement différents. Alex, à mon âge, avait déjà des podiums en Coupe du monde. Je ne suis pas le même athlète que lui.

Antoine Cyr

Cyr n’est peut-être pas prodigieux, mais seul le temps saura mesurer quel impact il aura eu sur son sport.

Chose certaine, c’est bien parti. Il est le leader incontesté de l’équipe canadienne, même si c’est arrivé un peu malgré lui. « Ça met un peu de pression, admet-il. Je n’ai jamais voulu prendre une position de leader. Pas parce que je ne voulais pas, pas parce que ce n’est pas ma personnalité. Je pense que je peux être un très bon leader. »

Le ski de fond demeure un sport individuel et trop complexe pour commencer à se mêler des affaires d’autrui. « Je me concentre à faire mon sport et pratiquer ma profession du mieux que je peux. C’est comme ça que je donne le meilleur exemple. »

Qu’il le veuille ou non, et surtout si ses résultats continuent de s’améliorer, son nom sera toujours accolé à celui de Harvey. Si certains veulent accaparer toute la lumière et renier le passé, c’est tout le contraire pour Cyr. « Ça ne me dérange pas vraiment, parce que c’est un honneur. De se faire mettre dans la même phrase qu’Alex, c’était mon rêve. »

L’entrevue s’est déroulée dans la pièce, sur la chaise même où son rêve a pris forme. « C’est drôle parce que je suis dans la cuisine de mes parents et je me souviens des matins, à 4 h ou 5 h avant d’aller à l’école le vendredi, on se levait pour regarder Alex au sprint, et j’étais assis ici avec mon père, devant des sites de streaming pour regarder les courses. »

D’idole, Harvey est devenu un ami. « On s’écrit et on s’appelle presque chaque fin de semaine. Il est vraiment derrière nous, mais Alex a pris sa retraite et il ne reviendra pas », rappelle-t-il.

De là l’importance « d’essayer de faire notre propre chemin, faire nos propres marques ».

Son plan d’entraînement est « le squelette du plan d’entraînement qu’Alex faisait », avoue-t-il, avec fierté. La recette de l’ancien champion semble bien fonctionner pour le 24e skieur au classement général de la saison 2023.

Comme dans le monde du vélo de route, auquel il fait allégrement référence, il y a au ski de fond une sorte de hiérarchie. Et il est difficile de grimper les échelons et de gagner le respect des autres compétiteurs. Surtout de ceux qui sont bien installés au sommet de la pyramide.

Il croit être parvenu à s’être fait une place au sein de ce club privé. « Surtout en départ de masse. […] J’avais l’impression d’avoir plus ma place, de moins me faire piler sur les skis. »

Il ne s’en cache pas : « C’est le fun de voir que tu montes un peu dans la hiérarchie ! »

La récupération

« Le mois de congé » arrive bientôt à terme pour Cyr et l’équipe canadienne. « Le ski de fond, premièrement, c’est un sport super difficile. Deuxièmement, quand on s’entraîne, il n’y a pas de temps mort. » Près de 900 heures d’entraînement et plus de 40 courses à l’international plus tard, « physiquement et mentalement, tu es brûlé », admet-il. C’est pourquoi avril est un mois de repos presque complet. « Ç’a toujours été super important pour moi de me laisser plus aller en avril. C’est dur mentalement de décrocher. Mais il le faut, parce que le 1er mai, je veux avoir hâte de recommencer à m’entraîner. » Ce repos, il en a besoin. « Il faut vraiment se reposer, mettre le cerveau à off. » Pour une bête sportive comme lui, le repos passe notamment par de longues journées de vélo et de kitesurf. À chacun sa façon de se reposer.