(Saint-Ferréol-les-Neiges) « Championne du monde au départ… » Deux mois après son titre, Laurence St-Germain ne s’habitue pas à être désignée de la sorte.

Dans les hauteurs de Sestrières, la semaine dernière en Italie, la skieuse de 28 ans a participé à des essais privés à l’invitation de son équipementier, Rossignol.

Elle ne s’attendait tellement pas à vivre cette première expérience qu’elle n’a pas répondu à quatre appels d’un représentant du fabricant en provenance de la France, croyant d’abord à un pourriel vocal…

En s’installant pour une manche chronométrée et filmée avec de nouvelles planches sous les pieds, la Québécoise a tressailli quand le technicien de Rossignol lui a rappelé son titre-surprise en slalom décroché à Méribel, le 18 février.

« Dans ma tête, j’étais encore : ah ! c’est bizarre ! », a-t-elle raconté dimanche dernier en entrevue dans son village de Saint-Ferréol-les-Neiges.

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Laurence St-Germain, championne du monde de slalom

Je ne le réalise toujours pas. Là-bas, je voyais des gens qui prenaient des photos de moi en cachette… À part que j’ai un manteau de l’équipe canadienne, personne ne sait qui je suis d’habitude.

Laurence St-Germain, championne du monde de slalom

Elle devra s’y faire, car elle conservera ce statut au moins jusqu’en février 2025 et les Mondiaux de Saalbach, en Autriche.

Si tout se passe comme elle le souhaite, St-Germain fera partie des prétendantes pour cet évènement qui précédera les Jeux olympiques de Milan Cortina, un an plus tard.

Elle a fait un pas en ce sens en obtenant cette possibilité de tester six nouveaux modèles de ski développés par la marque française qui l’équipe depuis l’adolescence.

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La championne olympique Petra Vlhová

Indice de l’importance accordée à cette séance, la championne olympique Petra Vlhová, principale tête d’affiche de Rossignol, était l’autre slalomeuse invitée.

« Elle est super gentille », a constaté St-Germain, qui n’avait pas eu l’occasion de fraterniser avec la Slovaque, gagnante du grand globe de cristal en 2021.

« Chacune a sa personnalité en dehors des courses. Certaines sont plus réservées. Je ne pensais pas qu’elle était aussi sociable. Elle a parlé tout le long du souper ! C’était vraiment cool de la rencontrer. »

Rompue à ce genre d’exercice, Vlhová a d’entrée de jeu fait part de son expérience avec la Canadienne et la Norvégienne Thea Louise Stjernesund, chargée d’évaluer des skis de slalom géant.

« Elle a dit : “C’est comme ça que je fonctionne, ça marche bien pour moi, mais c’est personnel à chacun.” Elle voulait juste nous donner des trucs. Elle n’était pas arrogante du tout, elle voulait vraiment nous aider. »

Les tests

Accompagnée de son technicien et de l’entraîneur de l’équipe canadienne Laurent Praz, St-Germain a passé quatre jours à jauger, noter, comprendre et mesurer les skis fraîchement sortis du siège social international de Grenoble. Quatre techniciens et développeurs de Rossignol chronométraient et filmaient chaque séance de deux angles différents.

Elle effectuait deux manches d’une trentaine de secondes sur chacune des quatre paires de skis à l’essai, dont les siens qu’elle utilise depuis les JO de Pékin l’hiver dernier. Elle a hérité de ces planches d’abord destinées à l’Autrichienne Katharina Liensberger, vice-championne olympique et gagnante du globe de slalom en 2021.

St-Germain a adopté ces skis pour leur rapidité, mais aussi pour leur faculté à « pardonner » les erreurs et faciliter le retour au bon rythme entre les piquets. « Ils me permettent de prendre plus de risques et d’attaquer davantage. »

Même dans ce processus à l’aveugle, l’étudiante en génie biomédical à Polytechnique Montréal reconnaissait ses propres skis dès le premier virage. « Dès que j’embarque dessus, je me sens comme à la maison. »

À sa surprise, une des paires d’un nouveau modèle s’est révélée plus vite de deux dixièmes de seconde dès leur premier essai. Habituellement, une période d’adaptation est nécessaire.

Ce qui me fait dire que si je connais plus ces skis-là, que je les teste davantage et que je deviens plus à l’aise dessus, ils ont le potentiel d’être super bons. C’est sûr que ça va me donner un avantage.

Laurence St-Germain

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Laurence St-Germain occupe actuellement le 11e rang du circuit.

St-Germain doit pousser ses essais sur d’autres types de neige, de conditions et de terrain pour en savoir plus sur deux modèles qu’elle a retenus. Elle a même mis à l’épreuve les skis de Vhlová, qui ne lui correspondaient pas du tout.

« Même si c’est l’une des meilleures au monde depuis un bon bout de temps, chaque skieur a son style. Je n’étais pas lente avec, mais ça ne convenait pas du tout à mon style. »

Au-delà des avancées technologiques dont elle pourra bénéficier dès l’hiver prochain, Laurence St-Germain a éprouvé une véritable satisfaction à faire part de ses impressions au personnel de Rossignol. Elle est la seule qui a passé quatre jours à Sestrières, ce qui lui a permis de compter sur toute l’équipe lors de sa dernière séance.

J’avais vraiment un entraînement VIP. Je pense qu’ils ont beaucoup aimé que je reste plus longtemps. On a pu beaucoup échanger. J’ai senti que je n’étais pas là que pour moi, mais pour eux aussi.

Laurence St-Germain

L’équipe de Rossignol lui a même offert de fouiller dans le document maître de la conception et des données techniques de tous les skis fabriqués par Rossignol depuis près d’un quart de siècle !

« Il y a des athlètes que ça ne dérange pas, ce qu’ils sentent sous le ski. Ils ont vu que moi, ça m’intéressait beaucoup. En tant que future ingénieure, tout le côté scientifique m’attire beaucoup. »

Pour couronner le tout, la championne mondiale a pu donner son avis sur les cosmétiques qui couvriront les skis dans les prochaines années…

Sa cinquième place à Äre (Suède) à son premier départ après sa victoire historique, un sommet personnel dans le cirque blanc, l’a soulagée et lui a confirmé que ses progrès à l’entraînement étaient bel et bien réels.

Encore échaudée par sa sortie de piste lors des finales de Soldeu, en Andorre, St-Germain veut continuer à améliorer sa constance en vue de la prochaine saison. Son souhait : intégrer les sept meilleures du circuit une bonne fois pour toutes, ce qui lui donnerait accès aux numéros de dossard les plus favorables. Elle occupe actuellement le 11e rang.

« Avec les tests, j’ai beaucoup appris et j’ai pris une coche aussi dans mon éthique de travail à l’entraînement. J’ai déjà hâte à mon prochain camp et voir comment tout ça va se consolider. »

« On va repartir à zéro »

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L’ex-entraîneuse-chef féminine de l’équipe canadienne de ski alpin Karin Harjo

C’est en s’informant de sa disponibilité pour l’accompagner dans ses tests de skis que St-Germain a appris le départ de l’entraîneuse-chef féminine Karin Harjo. Après les Mondiaux, l’Américaine a annoncé qu’elle se joignait à l’encadrement de Mikaela Shiffrin, devenue la skieuse la plus titrée de l’histoire à la fin de l’hiver. Pour la Québécoise, qui avait entendu les rumeurs durant les Championnats du monde à Méribel, ce changement est une « déception », même si elle comprend très bien la décision de son ex-coach, avec qui elle n’a pas souvent travaillé sur la neige. Harjo a passé plus de temps à soutenir la nouvelle retraitée Marie-Michèle Gagnon en vitesse. « Elle a construit quelque chose pendant un an et là elle s’en va. On va repartir à zéro. C’est sûr que c’est dommage. » St-Germain est heureuse de constater que la direction de Canada Alpin a déjà commencé à sonder les athlètes pour connaître leurs critères quant à la succession. « Karin a amené beaucoup de choses dans l’équipe qui vont rester. En tant qu’athlètes, c’est l’année où on a été le plus impliquées dans les décisions. Elle était vraiment à l’écoute de ce qu’on voulait. J’espère que cela sera instauré un peu plus dans la culture de l’équipe. »