L’après-midi tirait à sa fin mardi, en Suisse, quand Justine Dufour-Lapointe s’est jointe à notre appel vidéo. De la musique jouait en arrière-plan. « Je suis juste en train de prendre un petit verre, mettons ! », a lancé la skieuse à La Presse tout en s’éloignant des festivités.

La Québécoise avait toutes les raisons de célébrer, mettons : à peine quelques heures plus tôt, elle avait été couronnée championne du monde de ski libre, concluant en beauté sa première saison au sein du Freeride World Tour.

Non seulement Dufour-Lapointe a atteint son objectif initial, qui était de vivre de nouvelles expériences et de tremper ses skis dans une zone d’inconfort, mais elle l’a aussi fait en gagnant.

« Je suis un peu sous le choc. C’est tellement nouveau pour moi, tout ça. Ç’a été une expérience très enrichissante, très intense. Je ne m’étais pas nécessairement fixé d’objectifs, j’avais juste envie d’aller apprendre, découvrir et m’amuser. »

Finir cette saison-là avec le titre de championne du monde, c’est au-delà de mes attentes, même si j’ai toujours aimé avoir des objectifs clairs.

Justine Dufour-Lapointe

Mardi matin, la skieuse s’est présentée au Bec des Rosses, en Suisse, pour la dernière compétition de la saison. Bien placée au premier rang cumulatif, elle avait fait ses calculs : une première ou une deuxième place à cette compétition lui assurerait le titre.

Avant le début de la compétition, alors que la Québécoise se trouvait dans le télésiège aux côtés des autres skieuses, l’organisation du Freeride World Tour a procédé à du bombing, une technique de contrôle des avalanches, afin de s’assurer que le tout soit sûr pour les athlètes. Le village de Verbier, tout près de la montagne, avait été secoué dans les jours précédents par plusieurs centimètres de neige ainsi que des rafales de plus de 135 km/h.

Lors du bombing, des avalanches ont pris d’assaut la mythique montagne jusqu’à sa base. Du haut du télésiège, la Québécoise pouvait apercevoir la « fumée ». « On savait que ça n’allait pas bien », raconte-t-elle.

Effectivement, dame Nature a forcé le Freeride World Tour à annuler l’évènement. Faute de temps pour en organiser un nouveau, les champions du monde de chaque catégorie ont été déterminés par le classement.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM DE JUSTINE DUFOUR-LAPOINTE

Justine Dufour-Lapointe est portée en triomphe.

« C’est sûr que tout le monde n’était pas content, mais moi, j’étais comme : oh, mon dieu, c’est complètement incroyable ! C’était assez spécial, mais ç’a été une saison difficile partout dans le monde pour trouver de la neige. On essaie juste de s’adapter et on comprend que c’est pour la sécurité de tous aussi.

« Ç’aurait été le fun de pouvoir courser, d’avoir l’expérience, mais en même temps, je sais que j’ai travaillé fort pour me rendre là, ajoute-t-elle. J’ai été stratégique, intelligente dans mes choix pour bien skier. J’étais super fière de moi. »

Comme à 16 ans

C’est un hiver de premières qui prend fin pour Justine Dufour-Lapointe. Pour la première fois en 12 ans, elle n’a pas skié sur le circuit de la Coupe du monde. Pour la première fois, elle devait s’autofinancer. Pour la première fois, elle se retrouvait à voyager et à skier seule, sans ses sœurs Maxime et Chloé. Pour la première fois, elle s’adonnait au ski libre.

« Je pense que je suis allée à la souche de la skieuse en moi. Je suis allée découvrir qui j’étais, qui je voulais être à travers cette expérience-là. C’est ce qui m’amène autant de plaisir et de bonheur. Ce n’est pas tant le trophée que je ramène à la maison aujourd’hui, mais tout ce que je ramène en souvenirs. »

Ses expériences des derniers mois, elle les compare à sa première saison en Coupe du monde. La jeune Justine de 16 ans était alors « émerveillée » par tout ce qui l’entourait. Sans pression, elle était « aux anges » d’être sur le circuit. Elle se sentait « vivante ».

« C’est comme ça que je me suis sentie cette année, à 28 ans. Je ne pensais jamais un jour vivre ça, d’être de retour dans ces chaussures-là, d’être émerveillée par la vie. Parce que c’est un cadeau que je me suis offert, finalement, que de vivre cette expérience-là. »

J’ai vécu ce que j’espérais, oui, mais avec encore mieux : avec les résultats. Avec des médailles. Et là, un titre.

Justine Dufour-Lapointe

Celle qui est montée sur le podium 49 fois en 117 départs en Coupe du monde de ski acrobatique est aussi sortie de sa coquille ; elle ne pouvait faire autrement que de connecter avec de nouvelles personnes.

« Ça allait arriver, que ce soit en ski, dans la vraie vie ou sur le marché du travail. Là, de le faire dans un environnement comme ici, c’était l’idéal. Mes sœurs m’ont quand même manqué énormément. […] Mais je pense que ç’a aussi été enrichissant pour moi de vivre à ma manière. »

Dufour-Lapointe planifie de passer l’été à la maison, au Québec, avant de retourner à l’entraînement. C’est certain « à 100 % », promet-elle, qu’elle sera du Freeride World Tour l’année prochaine. Après une telle saison et à en juger par son sourire, le contraire aurait été surprenant.

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PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DU FREERIDE WORLD TOUR

Justine Dufour-Lapointe

Dans le Freeride World Tour, Justine Dufour-Lapointe ne reçoit aucun financement du gouvernement ; c’est elle qui doit financer ses voyages, elle est sa propre patronne. La skieuse a trouvé des partenaires, mais « ç’a quand même été difficile », soutient-elle. « Je suis contente de finir première, ça va m’aider à aller en chercher davantage, ajoute-t-elle. C’est ce que j’ai envie de faire : aller en chercher davantage pour avoir plus de sous, faire plus de création de contenu, me sentir plus libre dans mes voyagements. […] J’espère juste que l’année prochaine, il va y avoir plus de gens qui vont vouloir embarquer dans ce trip-là que je vis. »

Katherine Harvey-Pinard, La Presse