Laurence Fournier Beaudry et Nikolaj Sorensen ont songé à tout arrêter. Ils n’ont plus rien à prouver, mais ils sont toujours habités par la passion dévorante d’en faire plus. S’ils sont revenus, c’est pour gagner. Jusqu’à présent, c’est mission accomplie.

La relation unissant Fournier Beaudry et Sorensen est unique et inspirante. Ils sont non seulement l’un des meilleurs duos au monde en patinage artistique, mais ils vivent également une histoire d’amour se déroulant en français, en anglais et en danois.

En plein cœur d’une saison où tout va pour le mieux, les olympiens nous ont donné rendez-vous à l’Académie de glace de Montréal, dans le quartier Saint-Henri, quelques jours après le Nouvel An.

Le duo s’est présenté dans les gradins de l’aréna Sylvio-Mantha une dizaine de minutes après son entraînement matinal. Quatre heures à peaufiner la routine les ayant propulsés depuis l’automne.

« On va te parler, mais juste cinq minutes », lance d’un air sérieux le grand patineur en serrant la main.

« Je te niaise, on a tout notre temps, comment vas-tu ? », rétorque-t-il en riant juste avant de se diriger vers la cafétéria.

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Laurence Fournier Beaudry et Nikolaj Sorensen

Cette attitude joviale, décontractée et teintée d’humour a imprégné les 50 minutes d’entrevue.

Fournier Beaudry et Sorensen sont épatants cette saison. Ils ont remporté la médaille d’argent au Grand Prix de France en novembre et deux semaines plus tard, ils ont gagné leur première médaille d’or, à Sapporo, au Japon. Puis, la semaine dernière, ils sont devenus champions canadiens, assurant ainsi leur place aux Championnats du monde.

Assise à gauche de la table, vêtue d’une veste rouge à l’effigie de l’équipe olympique canadienne, Fournier Beaudry se souvient d’une phrase dite par leur entraîneuse Marie-France Dubreuil en début de campagne. « Cette saison, vous avez besoin de patiner comme si vous aviez déjà gagné. Il faut arrêter de penser qu’il faut l’avoir fait. » Un déclic pour le duo.

La paire est habituée au top 10, mais moins à la plus haute marche du podium. « On sait qu’on peut pousser encore plus », précise la patineuse dans un éclat de rire. Ce désir insatiable de faire toujours mieux est à la base de leur succès et de leur longévité.

Leur souci du détail à l’entraînement est chirurgical. Leur plus grande force demeure néanmoins de croire profondément en leur potentiel et en leurs moyens.

« Dans un livre, au début de l’année, on a écrit nos buts. On voulait gagner un Grand Prix et on en a gagné un, explique Sorensen. C’était la première fois qu’on croyait pouvoir atteindre tous nos objectifs. C’est beau dire qu’il faut rêver grand, mais si tu ne crois pas que tu es capable de réaliser tes rêves, ça ne vaut rien », ajoute le Danois dans un joual impeccable.

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Nikolaj Sorensen et Laurence Fournier Beaudry discutent avec leur entraîneuse de ballroom, Ginette Cournoyer.

Revenir pour les bonnes raisons

« Cet été, on a failli quitter. Moi, j’ai failli quitter », révèle Sorensen, sur un ton plus sérieux. Le patineur aura 34 ans en février et sa compagne vient d’arriver dans le club des trentenaires.

Jusqu’en 2018, le couple a représenté le Danemark sur la scène internationale. Cependant, il était impossible pour Fournier Beaudry d’obtenir la citoyenneté danoise, critère nécessaire pour participer aux Jeux olympiques. Comme il s’agissait de leur grand rêve, patiner sous la bannière canadienne était la seule solution envisageable. Sorensen a obtenu sa citoyenneté canadienne en août 2021, au bout d’un processus long et angoissant.

Ils ont donc pu patiner aux Jeux olympiques, à Pékin, il y a un an, où ils ont terminé en neuvième position.

« À la fin de la saison, on se demandait pourquoi continuer. C’était quoi notre but à présent ? », précise la Montréalaise au sujet de leur réflexion des derniers mois.

Cependant, ils refusaient de conclure leur carrière avec les souvenirs de la dernière saison. « On n’a pas eu beaucoup de fun l’année dernière, parce que tout le monde était stressé », insiste Sorensen.

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Laurence Fournier Beaudry et Nikolaj Sorensen ont terminé neuvièmes aux Jeux olympiques de Pékin.

« J’aurais eu plus de plaisir à pratiquer et à patiner si moi-même je m’étais mise moins de pression sur les épaules », ajoute sa coéquipière.

Quelques mois plus tard, ont-ils plus de plaisir que jamais à patiner ? « Oui », répondent-ils en même temps du tac au tac.

Sont-ils meilleurs que jamais ? « Oui », disent-ils en chœur, avec un certain soulagement dans la voix.

Même s’ils arrachent tout dernièrement, ils refusent de voir trop loin. « On s’est dit qu’on allait y aller une année à la fois », précise Fournier Beaudry. Surtout après avoir navigué à travers différents écueils, dont les deux opérations au genou droit de Sorensen et les complexités de visa.

« Si je me fais des plans pour les Jeux, c’est pour gagner une médaille, raconte le grand gaillard à propos d’une éventuelle participation aux Jeux olympiques de Milan en 2026. Ça ne vaut pas la peine d’être sixième ou septième quand on a déjà été neuvième. »

Fournier Beaudry et Sorensen se sont donné le droit de rêver à nouveau. Ils sont des idéalistes sans illusion. Nul ne sait où se trouve leur destination finale, mais en attendant, ils profitent du voyage, ensemble.