Quand Mikaël Kingsbury a levé la tête, il a vu le concurrent précédent, George McQuinn, très haut dans les airs, tout mou et sans défense.

Le jeune Américain de 23 ans venait de se cogner l’arrière de la tête sur l’arête du saut du bas. À l’atterrissage, elle a rebondi sur la neige gelée. Le skieur du Colorado a effectué une longue glissade avant de s’immobiliser dans l’arrivée. Une dizaine de patrouilleurs et de secouristes ont accouru.

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George McQuinn lors de sa chute

Dans le walkie-talkie du préposé au départ, Kingsbury a entendu que son malheureux rival était inconscient. Le champion olympique des bosses a détaché ses skis et tenté de penser à autre chose. Le personnel médical est resté une quinzaine de minutes autour du blessé avant de l’évacuer en civière dans la stupeur générale.

Après cette pause inquiétante, Kingsbury s’est élancé. Comme d’habitude, il a gagné. Mais le skieur de Deux-Montagnes n’oubliera pas de sitôt son 100e podium et sa 71e victoire en Coupe du monde, survenue dans ces circonstances dramatiques, jeudi après-midi, à Deer Valley, en Utah.

Après sa descente, le Québécois de 29 ans a envoyé ses meilleurs vœux à McQuinn, qui se dirigeait assurément vers le meilleur résultat de sa carrière – et potentiellement une qualification olympique surprise – quand il a perdu l’équilibre à l’approche du deuxième saut.

« Je voulais envoyer toutes mes pensées et dédier cette victoire à George », a immédiatement exprimé Kingsbury après la confirmation de sa victoire.

Je n’ai pas vu son crash, mais ça n’avait pas l’air beau. Je lui souhaite le meilleur.

Mikaël Kingsbury

Heureusement, McQuinn était dans un état « stable » et avait repris connaissance quand il a été évacué, au dire de Kingsbury. L’Américain, dont la 19e place à Tremblant dimanche égalait un sommet personnel, participait à sa première finale réservée aux six mieux classés.

« Chapeau à George d’avoir poussé », a dit plus tard le Québécois en visioconférence. « Le gars est très talentueux. Mais c’est dur pour Ikuma [Horishima] et moi quand on doit attendre un extra 20, 25 minutes en haut de la piste. »

Kingsbury a rappelé la blessure de la Française Sandra Laoura, qui a perdu l’usage de ses jambes lors d’un accident à l’entraînement au mont Gabriel en 2007. Âgé de 14 ans à l’époque, il avait suivi la séance en bordure de piste.

« Après avoir entendu les nouvelles, ça m’avait fait un peu peur. Dans des moments comme ça, quand tu vois quelqu’un d’inconscient, ça fait toujours peur. Mais ce sont les risques du sport. On n’a rien à enlever à ce gars. Il a poussé pour essayer de monter sur un premier podium à vie quand la compétition est vraiment forte et dans des conditions plus difficiles que ce matin. »

Malgré les circonstances dramatiques et la détérioration de la visibilité en cette fin d’après-midi, Kingsbury a encore réalisé une descente en plein contrôle en super finale.

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Mikaël Kingsbury a dominé avec 83,28 points, devant les Japonais Ikuma Horishima (81,98) et Kosuke Sugimoto (79,02).

Avant-dernier à s’exécuter comme à Tremblant, le Québécois a réalisé un périlleux arrière avec deux vrilles sur le saut du haut. Jouant de prudence, il s’est contenté d’un 720 désaxé sur celui du bas.

Sa technique impeccable entre les bosses a changé la donne. Il s’est installé au premier rang avec 83,28 points, juste assez pour exercer de la pression sur Horishima.

Dernier à s’élancer après avoir mené la finale 1, le Japonais n’a pas été en mesure d’inquiéter son éternel rival, même s’il a ajouté une rotation supplémentaire sur le tremplin du bas. Il a reçu 81,98 points pour son effort. Son compatriote Kosuke Sugimoto (79,02) a complété le podium, le premier de sa carrière.

« Je suis vraiment content de ma journée, c’est une quatrième victoire en ligne, a rappelé Kingsbury. La piste à Deer Valley n’est pas facile. C’est une des plus difficiles au monde, surtout avec les conditions chaudes d’aujourd’hui. Encore une fois, une super belle bataille avec Ikuma. C’est toujours agréable d’être avec lui en haut de la piste pour skier une super finale. »

L’athlète de 29 ans monte donc sur son 100e podium à son 119e départ, pour une moyenne ahurissante de 84 %. « C’est vraiment spécial. Honnêtement, je n’aurais jamais pensé me rendre jusque-là. »

Vendredi, Kingsbury prendra le départ de la deuxième compétition à Deer Valley sans arrière-pensée, même s’il s’agit de la dernière course avant les Jeux olympiques de Pékin.

« Je connais mes limites. Ce n’est pas ma première finale. Je ne vais pas pousser de la manière dont [McQuinn] l’a fait. Lui, il n’a rien à perdre. Ikuma et moi, on se bat pour de gros points juste avant les Jeux et pour le globe de cristal. Sans dire que je n’ai pas le choix, je veux faire la course. Je me sens en plein contrôle et pas nécessairement en danger. »

Dumais, 11e

Les Québécois Laurent Dumais (11e) et Gabriel Dufresne (13e) se sont arrêtés en finale 1. Dumais, le plus rapide de ce tour, a connu un léger déséquilibre après la réception d’un spectaculaire 1080 en haut de parcours. Après ses 15e et 14e places à Tremblant, le skieur de Québec semble se remettre de mieux en mieux d’une hernie discale qui lui a fait rater les trois premières étapes de la saison.

Dumais regrettait seulement un « mauvais ajustement » au changement de température.

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Laurent Dumais

C’est pour ça que j’ai eu un trop de vitesse sur le saut du haut. Ça m’a surpris. Dès l’atterrissage, j’essayais de reprendre l’équilibre. Après, la visibilité m’a un peu joué des tours. C’était tout blanc.

Laurent Dumais

Dufresne, lui, a joué le tout pour le tout avec deux vrilles sur le premier saut, mais il a chuté sur le côté peu après avoir touché à la neige. Brenden Kelly, l’autre Canadien en lice, s’est arrêté en qualifications (26e).

La bataille est très chaude entre les trois hommes pour déterminer qui peut espérer accompagner Kingsbury aux JO de Pékin.

Dure journée pour l’équipe américaine : Nick Page, deuxième des qualifications, n’a pas pris le départ de la finale 1, apparemment en raison d’une blessure. Il souhaite être de retour pour la deuxième épreuve vendredi.

Du surplace pour les Dufour-Lapointe

Chez les femmes, les sœurs Dufour-Lapointe n’ont pas été en mesure d’améliorer leur sort dans la course à la sélection olympique.

La cadette, Justine, a égalé son meilleur résultat à Tremblant en prenant le neuvième rang. Qualifiée de justesse (16e), la double médaillée olympique a rebondi en finale avec une descente sans faille significative. Son score de 72,78 points l’a laissée à un peu plus de 2 points d’une participation à la finale 2, réservée aux six mieux classées.

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Justine Dufour-Lapointe

Huitième à Tremblant, son meilleur classement en plus de deux ans, Chloé a fait la moue en recevant sa note : 71,73 points, ce qui l’a reléguée au 13e échelon. Elle a été pénalisée pour un petit déséquilibre après l’absorption du premier saut, où elle a de nouveau exécuté le désaxé 720.

Les sœurs montréalaises sont toujours les bosseuses canadiennes les mieux positionnées dans la course aux billets pour Pékin. Leurs compatriotes Berkley Brown (17e), Maïa Schwinghammer (18e) et Sofiane Gagnon (34e), absente à Tremblant après avoir contracté la COVID-19, se sont arrêtées en qualifications.

Sacrée dans les Laurentides dimanche, la Française Perrine Laffont a réédité l’exploit dans l’Utah, démontrant qu’elle est fin prête pour les JO. Elle a devancé la jeune Japonaise Anri Kawamura, gagnante de la première compétition à Tremblant, et l’Australienne Jakara Anthony.

« Avec la COVID, ça va être stressant d’arriver aux Jeux », a souligné Laffont, qui a repris le maillot jaune de meneuse en Coupe du monde. « Mon ski va de mieux en mieux, c’est cool. »