(Calgary) Sur son téléphone, Antoine Gélinas-Beaulieu rafraîchissait la page du site internet de la fédération internationale de patinage avec une certaine fébrilité.

Il avait confiance en ses calculs, mais il avait hâte d’obtenir une confirmation officielle. L’enjeu : l’assurance d’une première participation aux Jeux olympiques.

À 29 ans. Après une carrière de 20 ans marquée par des hauts et des bas, dont une pause de sport de trois ans en 2012. Épuisé, un peu perdu et écœuré par le régime d’entraînement auquel il était soumis, cet ancien grand espoir junior en patinage de vitesse courte et longue piste avait pris son sac à dos pour faire le tour du monde.

Le Sherbrookois d’origine a repris l’entraînement à Québec en 2015, allumé par le départ de groupe, une nouvelle épreuve de longue piste inaugurée aux Jeux olympiques de 2018.

Ce n’était donc que logique qu’il obtienne sa qualification pour Pékin dans cette discipline. Mais pour y parvenir, Gélinas-Beaulieu a eu chaud, samedi, à la deuxième journée de la Coupe du monde de Calgary.

En demi-finale, il a été fauché par un rival autrichien qui a chuté à ses côtés avec un peu plus de deux tours à faire. Il croyait sa journée perdue avant qu’une réclamation de ses entraîneurs ne lui assure un repêchage pour la finale, un scénario rare dans cette course dont lui-même ignorait l’existence.

Pour la finale, la mission était claire : se coller à son compatriote Jordan Belchos, à qui il disputait le seul ticket olympique disponible pour le Canada. Le second sera mis à l’enjeu aux sélections de Québec à la fin du mois.

Avant le départ, Gélinas-Beaulieu détenait une priorité de 14 points sur Belchos au classement de la Coupe du monde. Avec le Québécois scotché à lui, l’Ontarien a cherché à se faufiler dans le peloton. À défaut d’y parvenir, il a néanmoins acquis le dernier point disponible dans l’ultime sprint intermédiaire.

Pour Gélinas-Beaulieu, il ne restait plus qu’à s’insérer parmi les huit premiers au sprint final. Après avoir franchi la ligne au septième rang, il a levé les bras, persuadé d’avoir accompli sa mission. En se laissant glisser dans le demi-tour suivant, il a mis ses mains sur son visage, envahi par de « grosses émotions ».

J’ai célébré fortement après ma course, mais j’ai eu une petite hésitation quand je me suis rassis sur les bancs… Avec mes calculs et tout ce que j’ai lu et relu sur le bulletin, ma place est présélectionnée pour les Jeux olympiques. Ce n’est pas confirmé, je touche du bois, mais je ne sais pas où il y en a !

Antoine Gélinas-Beaulieu

Les officiels ont mis du temps à publier les résultats, mais ils ont corroboré l’impression de Gélinas-Beaulieu. Avec son point de sprint intermédiaire, Belchos s’est vu attribuer le huitième rang final, une place devant son compatriote. Au bout du compte, il ne lui reprenait donc que quatre points, pas assez pour effacer son déficit au cumulatif de la Coupe du monde.

« C’est énorme »

« C’est énorme », a confié l’heureux élu pour Pékin, une qualification qui reste à officialiser. « J’avais 9 ans, je regardais les Jeux olympiques de Salt Lake City et je rêvais. J’ai commencé le sport à cause de ça. Je suis aussi revenu dans le sport à cause de ça. Quand je voyais le mass start, qui commençait comme discipline, ça m’emballait. J’avais des papillons dans l’estomac juste à le regarder. Je me disais : imaginons que je retourne dans le longue piste et que je fasse cette discipline qui me ressemble. J’y suis dans mon élément naturel. »

Multiple médaillé aux Mondiaux juniors en courte et longue piste, l’ancien étudiant en cinéma pensait avoir une chance de se qualifier au départ de groupe pour les Jeux de 2018, mais une chute lors des sélections a anéanti ses chances.

Deux ans plus tard, Gélinas-Beaulieu a confirmé son potentiel énorme en remportant le bronze aux Championnats du monde de Salt Lake City. Il a aussi fini neuvième au 1000 m et septième au 1500 m.

Pendant la pandémie, l’hiver dernier, il a décidé de ne pas se rendre dans la bulle des Pays-Bas pour disputer deux tranches de la Coupe du monde et les Mondiaux. Souffrant d’asthme depuis l’enfance, il a préféré ne pas prendre de risques. Il s’est concentré sur l’entraînement, sa grande passion.

Aux derniers championnats canadiens, en octobre, il a été pris de crises d’anxiété, un mal qui le guette depuis des années. Il s’y est attaqué de front et s’en est ouvert publiquement récemment, ce qui l’a soulagé. Au dernier jour, il a remporté le départ de groupe.

Aux trois premières Coupes du monde, il a connu des ennuis, enregistrant des résultats en deçà des attentes dans ses trois distances.

« Je retrouve mes jambes de plus en plus, s’est-il cependant réjoui samedi. Je suis en confiance en revenant m’entraîner chez nous. Si j’ai cette préqualification, j’ai la tête plus légère. Mon but va être de rajouter des distances pour les Jeux olympiques. Peut-être faire le 1000 m, le 1500 m, la poursuite par équipes. Au moins, je sais que ma place va être assurée. »

Gélinas-Beaulieu estime avoir « un très gros potentiel de médaille » au départ groupé à Pékin. Une chose est certaine, il s’y alignera aux sélections de Québec même si le billet est acquis. « J’ai tellement de fun à faire cette distance-là ! »

S’il le juge nécessaire, il tentera de durcir la course le plus possible pour s’assurer qu’un patineur sorti d’un peu nulle part ne vienne cueillir la deuxième place du Canada. Cela devrait favoriser Belchos, un spécialiste des longues distances avec qui il aimerait disputer les Jeux comme coéquipier, dans un contexte totalement différent qu’à Calgary.