(Calgary) Coup sur coup, le Chinois Gao, le Japonais Murakami et le Russe Murashov sont passés sous les 34 secondes.

En plantant ses lames devant la ligne de départ, Laurent Dubreuil savait qu’il avait besoin de la course de sa vie pour espérer monter sur le podium pour la septième fois de suite. Meneur du classement de la Coupe du monde, il n’avait jamais atteint la barrière psychologique des 33 secondes.

Et il y avait ce record canadien, les 34,03 secondes de Jeremy Wotherspoon, dont il rêve depuis qu’il a 15 ans et qu’il avait raté par deux centièmes une semaine plus tôt à Salt Lake City.

Le champion mondial aurait pu s’écraser. Il s’est plutôt élevé comme jamais à ce premier 500 mètres de la Coupe du monde de patinage de vitesse longue piste de Calgary, vendredi après-midi.

PHOTO JEFF MCINTOSH, LA PRESSE CANADIENNE

Laurent Dubreuil a établi un record personnel et un record de piste sur l’Ovale olympique de Calgary.

Son temps : 33,77 secondes, une immense progression personnelle de 28 centièmes qui l’a fait passer dans une autre dimension. Il a levé les bras au ciel. Soudainement, il était le deuxième performeur de l’histoire sur la distance. Seul le Russe Pavel Kulizhnikov a déjà fait mieux que lui à deux reprises (33,61 s et 33,71 s). Il sentait que les quatre concurrents suivants ne parviendraient pas à le déloger.

« Je me savais capable de faire 33, mais je n’avais pas en tête un 33,7, pas du tout, a admis Dubreuil, plus en verve que jamais. C’est la preuve que quand on ne se met pas de limites, qu’on exécute son plan de course, qu’on pense juste à ce qu’il faut faire pour aller vite, on peut se surprendre. »

L’athlète de 29 semblait particulièrement fier d’avoir détrôné Wotherspoon, à ses yeux le meilleur sprinteur de l’histoire, dont la marque mondiale établie en 2007 a tenu pendant huit ans jusqu’à ce que Kulizhnikov la lui chipe.

« Ça représente beaucoup. J’ai grandi avec ce temps-là comme record du monde. On regardait cette course-là pratiquement tous les jours pour essayer de comprendre comment un patineur, techniquement et physiquement, pouvait être aussi bon. »

Wotherspoon, qui coache la Norvège, a été le premier à aller s’asseoir au côté de Dubreuil pour le féliciter. Il a admis que perdre ce record le pinçait un peu, mais ajouté qu’il était heureux que ce soit le Québécois qui s’en empare.

« J’ai pris ça comme une marque de respect, c’est clair. Je lui ai dit à quel point c’était significatif de battre ce temps-là. À quel point c’était un rêve quand on était jeunes. »

Pendant que le gagnant délaçait ses patins, un membre de l’équipe canadienne lui a tendu un téléphone. C’était son entraîneur Gregor Jelonek, forcé de suivre la course depuis Québec, car il a attrapé la COVID-19 il y a quelques semaines en Norvège.

« Il n’était pas totalement cohérent, il était dans le tapis ben raide ! a relaté Dubreuil, amusé. Il était juste content. Il criait ! Il était sur un high un peu comme moi ! »

Dès l’échauffement, le patineur de Lévis savait qu’il était dans une bonne journée. Il a réussi un départ canon : 9,46 sur les 100 premiers mètres, un sommet personnel, à un centième du Chinois Tingyu Gao, médaillé d’argent en 33,87 s. Son tour a été aussi magistral : 24,3 s.

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Laurent Dubreuil célèbre après sa victoire.

« Quand ça va bien comme ça, c’est facile, le patinage de vitesse. C’est un sport vraiment difficile, cyclique, même si le 500 mètres n’est pas la distance la plus longue. Techniquement, la position n’est pas naturelle. Mais quand tu patines aussi bien, tu sens que c’est comme sans effort. […] Tu ne te sens pas fatigué après une course comme ça, tu sens que tu aurais pu en faire une autre tout de suite après, ce qui n’est pas le cas. Mais tu es comme sur un nuage. C’est comme ça que tu te sens. »

Jugeant « assez incroyable » d’être aujourd’hui le deuxième performeur de l’histoire, Dubreuil se prend maintenant à rêver au record du monde un jour.

« Il reste un gars à aller chercher pour le record du monde. Mais 16 centièmes, c’est quand même beaucoup ! Je ne pense pas que je vais le faire dans deux jours. Ce n’est pas l’objectif non plus. Ce serait juste me préparer à une déception. C’est pas mal le mieux que je peux faire en ce moment. Mais je m’en approche et je ne pense pas que je sois à l’apogée de ma carrière non plus. […] C’est de plus en plus légitime de croire que je peux le battre un jour. »

Après avoir vaincu Gao pour la toute première fois à la régulière, Dubreuil s’impose comme l’un des grands favoris pour les Jeux olympiques de Pékin.

« Je ne me projette pas comme ça, a-t-il réitéré. Je suis sur une bonne séquence, je suis content et je veux qu’elle dure deux jours de plus. Après ça, il va y avoir un reset à la maison, un repos, on va se réentraîner et je le vois comme une opportunité en fait. »

« Oui, si les Jeux étaient demain, ce serait probablement bon pour moi, mais je pense que je suis capable d’aller en chercher encore plus. Les deux mois qu’il me reste, ça va être deux mois d’efforts. Je vais essayer de tout aligner pour arriver à mon meilleur, mais je peux être encore meilleur grâce à ces deux mois-là.

Avec une séance d’entraînement pour le Canada prévue un peu trop tôt à 7 h 30, Dubreuil ne pensait pas patiner samedi à l’Ovale olympique. Il se réserve pour dimanche où il s’alignera pour un deuxième 500 m et ensuite un 1000 m. « J’espère qu’il me reste de la magie dans les jambes, mais je pense que oui ! »