Comme d’habitude, Valérie Grenier a mis un peu de temps avant de repérer son classement sur le tableau indicateur. Quand elle a vu le « 5 » affiché, les bras lui en sont tombés.

« J’avais le sentiment que ma descente était bonne, mais je ne m’attendais vraiment pas à ça. J’étais comme : “Wow !” Je capotais, je n’en revenais juste pas. Quand je me suis calmée un peu, on dirait que j’avais envie de pleurer ! »

La Franco-Ontarienne de 24 ans venait de déloger la Slovaque Petra Vlhova, tenante du grand Globe de cristal, à l’issue de la première manche du slalom géant de la Coupe du monde de Sölden, samedi.

Elle pointait à trois quarts de seconde de la meneuse, la Suissesse Lara Gut-Behrami, et de la plus proche poursuivante, l’Américaine Mikaela Shiffrin, qui s’apprêtait à signer le 70e succès de sa fabuleuse carrière.

Trois heures plus tard, Grenier s’est retrouvée avec les mêmes skieuses vedettes dans la tête d’accueil au sommet de la piste.

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Valérie Grenier à la ligne d’arrivée, alors qu’elle cherche toujours à voir le résultat de sa performance

Ça ne m’était jamais arrivé, c’était bizarre. Je ne suis vraiment pas habituée à attendre aussi longtemps avant de commencer la deuxième descente. Il n’y avait que Mikaela Shiffrin, Lara Gut et Petra Vhlova [et les Autrichiennes Stephanie Brunner et Katarina Liensberger]. C’était très différent de faire partie de cette gang-là.

Valérie Grenier

Une situation nouvelle qui amenait son lot de pression. La représentante du club de Mont-Tremblant n’avait pas envie de gaspiller une si belle occasion, le sort que connaîtra l’Autrichienne Stephanie Brunner, passée de la 3e à la 17e place.

« J’essayais de rester calme, mais à l’intérieur, il y avait beaucoup de stress. C’est tellement facile de perdre cette position-là. »

À Lenzerheide, à la fin de la dernière saison, elle pointait 13e après une manche avant de bousiller un excellent résultat en sortant de piste en fin de parcours.

« Mon coach m’a juste rappelé de faire la même chose qu’en première manche, de ne rien essayer de nouveau, de me concentrer sur mon ski. Quand je ne pense qu’à la technique et à rien d’autre, ça fonctionne presque toujours pour moi. »

Malgré une amorce un peu prudente et une petite frayeur au début du mur, Grenier s’est rendue jusqu’en bas sans encombre. Elle a d’abord été déçue d’apercevoir le voyant rouge indiquant qu’elle n’avait pas conservé son avance, puis « soulagée » de constater qu’elle était assurée de finir parmi les 10 premières.

« Tout de suite après, j’avais un gros sourire. J’ai réalisé que c’était déjà tellement incroyable comme première course. »

Avec sa septième place au classement final, elle surpassait son meilleur résultat en géant réussi sur la même piste trois ans plus tôt (11e). Elle n’avait atteint le top 10 que deux autres fois en Coupe du monde, au super-G de Lake Louise en 2018 (5e) et à celui de Cortina d’Ampezzo en janvier 2019 (4e), soit juste avant sa quadruple fracture à une jambe subie à l’entraînement aux Mondiaux d’Äre.

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Valérie Grenier lors de la première manche du slalom de Sölden

Un palier

À son retour à sa résidence de L’Orignal, dans l’Est ontarien, Grenier goûtait encore ce résultat qui lui permet de franchir un palier. « C’est la façon parfaite de commencer la saison, a-t-elle noté au téléphone lundi. Ça me confirme que je suis sur la bonne voie et que mon ski est là. Je sais aussi que j’en ai plus à donner. C’est vraiment encourageant. »

Cela renforce également sa conviction qu’un premier podium est bel et bien réaliste. Trois jours avant la course, elle l’avait manifesté pour la première fois dans une entrevue avec La Presse, non sans se sentir investie par le syndrome de l’imposteur.

« Je n’aime pas ça le dire, mais ça m’a confirmé que je n’étais pas folle, que je suis quand même assez proche de ces filles-là. De voir que c’est vraiment réel, ça m’a frappée et rendue très émotive. »

Le résultat endiguait aussi une petite inquiétude apparue quelques jours avant la course et qu’elle avait gardée pour elle. Des maux aux tibias l’avaient stoppée après seulement trois descentes à son dernier entraînement avant de s’amener à Sölden. Opérée à deux reprises pour soulager un syndrome des loges qui lui causait ce genre de douleurs, elle craignait de repartir dans cette spirale qui l’a considérablement ralentie.

La skieuse s’en voulait d’autant qu’elle s’était fait mal par sa propre faute. Pour se rendre à un magasin sur le point de fermer avec des coéquipières, elle a piqué une course avec des chaussures inadéquates.

« J’avais tellement de regrets et aussi de frustration de voir que je n’ai pas fini avec ce maudit syndrome de compartiment. C’était juste un moment difficile. »

Heureusement, tout est rentré dans l’ordre avant son départ sur le glacier du Rettenbach.

Pour le groupe d’entraîneurs, cette place parmi les 10 premières n’est que confirmation du potentiel de l’ancienne championne mondiale junior en descente.

La progression de Val a repris où elle était la saison dernière.

Manuel Gamper, entraîneur en chef de l’équipe féminine canadienne

« Il y a encore de la marge et on n’y est pas encore, a ajouté l’Italien. Dans la deuxième manche, elle en avait toujours dans le réservoir. Elle a skié de manière un peu prudente, en particulier dans la deuxième portion de l’à-pic. Mais elle avait un bon rythme, qu’elle a maintenu jusqu’à la fin. On est très heureux, il n’y a rien à redire. En même temps, on sent qu’il en reste encore et c’est une bonne chose. On veut y aller un pas à la fois. »

Le prochain test sera de conserver sa stabilité en super-G, où la skieuse éprouve encore un « blocage mental » après son accident de 2019. « Elle est certainement une skieuse qui peut être très rapide en super-G. Mais on veut minimiser les risques en solidifiant sa technique. »

Après un stage à Vail, Grenier se dirigera vers Killington, au Vermont, pour une rare Coupe du monde où ses proches pourront l’encourager sur place.

Bain de foule

Ils étaient près de 10 000 à applaudir les skieurs samedi et dimanche dans la station autrichienne. Une redécouverte pour Grenier, qui s’était habituée à skier sans public l’hiver dernier. « On dirait que j’avais oublié comment j’aimais ça, a-t-elle dit. On s’était peut-être habituées à n’avoir personne dans le finish. Entendre la foule qui criait et encourageait, c’est vraiment, vraiment bien. L’ambiance était tellement le fun, tellement intense. » Elle a également rencontré deux membres de son « fan club », deux Autrichiens, apparemment un père et son fils, qui ont conçu un grand drapeau du Canada avec deux photos d’elle et un « Allez Val » dans la feuille d’érable. « C’était tellement cute ! Ils sont vraiment gentils. Ce sont de grands fans du Canada. Ils m’écrivent souvent sur Instagram. Je n’ai pas tant de partisans dans la vie, alors c’est sûr que je réponds. Ça m’a fait plaisir de les voir. »