Un vent de folie souffle sur les Pays-Bas. Une vague de froid a fait geler canaux et lacs dans la province de Frise, dans le nord du pays. Assez pour penser pouvoir tenir la Course des onze villes. Ce mythique marathon de patinage de 200 kilomètres n’a pas eu lieu depuis 1997 pour cause de temps trop chaud.

Les supputations vont bon train même si un confinement strict dû à la COVID-19 empêche son organisation. Même le premier ministre a dû freiner les ardeurs de ses concitoyens, qui ont dépoussiéré leurs patins ou se sont rués sur l’achat en ligne.

« Notre physio a dit qu’il s’est vendu 1 million de paires de patins dans le pays, où il y a 17 millions de personnes, a souligné Laurent Dubreuil, joint à Heerenveen mardi. Et il y en a plein qui en ont déjà, des patins.

« Si t’en as pas une paire, t’es cave ! Parce que ça gèle, mon homme, va patiner dehors ! C’est là que tu réalises à quel point ils aiment le patin. Le pays arrête de vivre la semaine où ça gèle. C’est vraiment ça. »

Valérie Maltais en a été témoin pendant ses sorties d’entraînement à vélo : « Il y a un petit lac gelé près de notre hôtel. Plein de gens vont patiner même si la qualité de la glace n’est vraiment pas bonne. Tout le monde devient fou ! »

En temps normal, Maltais et Dubreuil auraient goûté de première main à l’enthousiasme des Néerlandais pour le patinage de vitesse. De jeudi à dimanche, ils participeront aux Championnats du monde par distances au Thialf d’Heerenveen. L’aréna sera vide comme lors des deux Coupes du monde qui se sont tenues dans la même bulle le mois dernier.

L’enjeu n’est cependant pas moins grand. Les deux patineurs québécois rêvent ouvertement d’une médaille d’or. Ambitieux, mais réalisable.

« C’est clair qu’on veut terminer sur la plus haute marche du podium », s’est projetée Maltais au sujet de la poursuite par équipes, dont elle prendra le départ vendredi avec Ivanie Blondin et Isabelle Weidemann.

En délaçant leurs patins après leur victoire et un record de piste à la dernière Coupe du monde, le 29 janvier, les trois Canadiennes étaient convaincues d’une chose : « On est capables d’aller encore plus vite. »

Elles ont l’intention de reproduire leur tactique gagnante : le premier tour pour Maltais, le suivant pour Blondin, les quatre derniers pour Weidemann, poussée par ses deux coéquipières. Les Norvégiens ont poussé la méthode un peu plus loin, réservant les huit tours à un seul homme de tête, Allan Dahl Johansson, avec le même résultat heureux.

L’affaire a fait jaser aux Pays-Bas, le légendaire Sven Kramer, malheureux quatrième, se plaignant que l’épreuve se transformait en un concours de poussée.

Maltais mettrait sa « main au feu » que la fédération internationale ajoutera un règlement obligeant chaque équipe à effectuer trois relais, par exemple. Elle s’étonne que cette tactique fasse autant de bruit, rappelant que Mathieu Giroux, Lucas Makowsky et Denny Morrison avaient gagné l’or avec force rétropoussettes à Vancouver en 2010.

« Il y en a qui disent que ça devient plate. Ça dépend de la manière dont tu le vois. Huit tours en avant, ce n’est pas facile ! »

À l’entraînement ces derniers jours, la native de La Baie a remarqué que plusieurs pays répétaient les poussées, comme quoi ses rivales ont pris des notes. La course s’annonce intrigante.

Maltais, qui n’a jamais décroché de titre mondial en courte piste, commence à être nerveuse, mais pas plus que pour les Coupes du monde.

On en parle, on est conscientes qu’on est les favorites et qu’on peut devenir championnes mondiales, mais je pense que c’est un privilège d’avoir cette pression-là sur les épaules.

Valérie Maltais

L’athlète de 30 ans s’alignera dès jeudi au 3000 m, une épreuve où elle aimerait percer le top 10. Elle participera également au départ en groupe, au 1500 m et, pour boucler le tout, au 5000 m à la suite du forfait de Blondin.

« Ça fait beaucoup, mais c’est la dernière distance des Championnats du monde. Je suis ici pour patiner et c’est certain que je suis capable de patiner 12 tours et demi. On n’a pas d’anneau en ce moment, je vois ça comme un entraînement, même si je sais que je peux bien faire. Je m’en vais là pour la passion du sport. »

« J’ai les jambes »

Parlant de passion, Dubreuil s’est étendu de longues minutes sur l’histoire de la Course des onze villes, dont le gagnant entre automatiquement dans la légende locale, encore plus qu’un champion olympique. « Imagine un Super Bowl une fois tous les 10 ans. Je n’exagère pas. »

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Si le sprinter n’a pas l’ambition de s’aligner sur une épreuve de 200 km, il se pointera sur la ligne du 500 m avec le sentiment de pouvoir l’emporter, vendredi. Ses trois podiums en quatre départs (il a dû en reprendre un après avoir été ralenti par la chute d’un rival) l’autorisent à y croire.

« Je ne mentirai pas, j’ai confiance, a dit Dubreuil. Je sais que j’ai les jambes pour avoir un bon résultat. Les courses des dernières semaines, ça ne ment pas. Ce n’est pas un mirage, ce n’est pas de la chance. Et je pense que ça devrait aller juste encore un peu mieux avec les deux semaines de plus qu’on a eues sur la glace. »

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Laurent Dubreuil

Cette confiance n’empêche pas une forte dose de lucidité : le patineur de Lévis sait qu’il aura besoin d’une grande performance, ne serait-ce que pour monter sur le podium. « En quatre 500 mètres cette année, il y a eu quatre vainqueurs différents. Ça veut tout dire. »

Un petit dixième risque de faire pencher la balance, comme ç’a été le cas depuis le début de la saison. Il estime donc ses chances de médaille à « moins de 50 % ».

« Si je n’ai pas une bonne course, je vais me faire battre. Le calibre est trop fort et il y a trop de bons patineurs pour avoir droit à l’erreur. Par contre, oui, je suis clairement dans les favoris et je suis à l’aise avec ce statut. »

Le scénario est différent au 1000 m, où Dubreuil, médaillé de bronze aux derniers Mondiaux, se voit plutôt comme un négligé. Troisième il y a 10 jours à Heerenveen, il rappelle que le Russe Pavel Kulizhnikov n’y était pas. Avec les Néerlandais Thomas Krol et Kai Verbij, il forme un trio redoutable, voire imbattable.

« Ça prendra une grande course de ma part et probablement une mauvaise de l’un des trois. »

Chose certaine, les Néerlandais ne manqueront pas ça pour tout l’or du monde devant leur téléviseur.

Alex Boisvert-Lacroix (500-1000 m) et Béatrice Lamarche (500-1000-1500 m) sont les deux autres Québécois en lice à Heerenveen.