Rien de moins qu’une Opération Cobra comme stratégie inédite en finale olympique. C’était le plan du relais canadien masculin aux Jeux olympiques de Vancouver 2010 pour remporter la médaille d’or. Après le dévoilement des préparatifs, mercredi, voici les souvenirs de ceux qui étaient sur la glace en ce 26 février 2010.

>>> Lisez la première partie du reportage : Les 10 ans de l’Opération Cobra : oser pour gagner

Pour Charles Hamelin, il n’y avait aucun doute : ils étaient prêts à miser gros en finale olympique. « On a pratiqué ce relais pendant deux ans sans le montrer à personne. Au moment de le faire, on s’est regardés dans les yeux pour se dire : “On le fait ou on ne le fait pas ?” Nous avions la mentalité Go Big or Go Home, alors on y est allé ! »

Olivier Jean était surtout heureux de sentir que la confiance envers les patineurs émanait de toute l’organisation de l’équipe. « On faisait quelque chose de spécial, on y croyait et on était confiants. J’ai eu cette idée, je l’ai partagée aux entraîneurs qui l’ont partagée avec le directeur général. Tout le monde a dit que ça nous donnerait un edge. Tout le monde a été ouvert d’esprit pour qu’on utilise quelque chose de nouveau dans une situation risquée. Cela nous a donné beaucoup de confiance dans notre préparation. »

Leur coéquipier François-Louis Tremblay était lui aussi confiant, mais il savait qu’il aurait une pression supplémentaire en étant le dernier relayeur de l’équipe.

« Il y avait beaucoup d’inconnues et on jouait vraiment gros. Les Jeux olympiques, ce n’est pas le moment où tu veux sortir une petite twist spéciale, mais tout était analysé avec des temps aux tours et on n’y allait pas au feeling. La pression était toute sur moi pour que je réussisse à faire deux bons tours à la fin. Si tout était mis en place et qu’à la fin j’étais fatigué ou déstabilisé, ça ne valait pas le coup. Nous l’avions tellement testée souvent que c’était sûr que ça pouvait marcher. »

Du plan à l’action

L’Opération Cobra s’est mise en branle avec un peu plus de 13 tours à faire. En tête de course, Charles Hamelin a feint de recevoir un relais d’Olivier Jean pour continuer un demi-tour de plus afin de briser l’ordre établi où toutes les formations échangeaient leur relais.

« C’était la panique chez les autres équipes qui se demandaient si Charles avait fait une erreur. Tout le monde a été mélangé. Nous avons créé un stress chez les autres et nous avons creusé un écart énorme sans ajouter d’effort », explique Jean. Charles Hamelin a ensuite passé le relais à son frère François, qui a enchaîné avec deux tours pour refiler la touche à Olivier Jean, permettant à François-Louis Tremblay de souffler un peu plus longtemps avant de revenir en piste.

À ce moment, « je suis dans le milieu de la glace, je relaxe et je pense avoir eu 1 minute 30 secondes de repos au lieu de 45 secondes », se remémore Tremblay, qui travaille aujourd’hui en ressources humaines et en consultation de rémunération des cadres. Pendant que les Canadiens conservent la tête de course, Tremblay prépare son retour.

« Dans ma tête, je me rappelle m’être dit : “OK, il n’y a plus de place à l’erreur.” Mais quand tu es en contrôle de ce que tu fais, tu es comme dans une autre dimension. »

Olivier Jean est celui qui poussera Tremblay pour les deux derniers tours de la course. Et il avait pleinement confiance en son coéquipier. « François-Louis était de loin le meilleur finisher. À ma dernière entrée de virage, avant de donner le dernier relais, je suis arrivé vraiment large, dangereusement large, pour être certain de ne pas perdre de vitesse. Je l’ai poussé et il a explosé ! J’étais le plus lourd de l’équipe, alors je lui transmettais plus de force à la poussée. Il avait plus de vitesse et plus de jambes que les gars qui étaient derrière. »

« Quand il m’a poussé, je me rappelle que c’était vraiment fort ! J’ai eu un élan incroyable ! C’était deux tours où je volais, carrément ! » confirme Tremblay.

Une médaille bien spéciale

François-Louis Tremblay a remporté cinq médailles olympiques dans sa carrière : deux d’or, deux d’argent et une de bronze. Celle en or de l’Opération Cobra se trouve au sommet de sa liste.

Et de loin.

« Il y en a une seule où j’ai gagné l’or en croisant le fil d’arrivée et c’est celle-là. Lever les mains au ciel et gagner une médaille d’or, ça fait une différence ! Aujourd’hui, on en parle encore de la médaille d’or, mais pendant 18 secondes, tout était sur mes épaules. »

Olivier Jean, aujourd’hui étudiant à la Smith School of Business de l’Université Queen’s, à Kingston, en Ontario, a même présenté l’Opération Cobra dans le cadre d’un cours de MBA pour exposer les parallèles entre le monde du sport et celui des affaires lorsque vient le temps d’innover et de prendre des risques calculés.

Le point d’orgue d’une soirée magique

L’or au relais masculin aura couronné une soirée magique. Quelques minutes plus tôt, Charles Hamelin et François-Louis Tremblay avaient été médaillés d’or et de bronze à l’épreuve individuelle du 500 mètres.

« Ces deux médailles nous ont juste donné un gros high. Nous venions de faire la performance de notre vie et après, c’était encore plus excitant, explique Hamelin. La stratégie était réglée au quart de tour, mais la faire devant une foule de 20 000 personnes au Pacific Coliseum avec les gens qui crient tellement qu’on ne s’entend même pas respirer, c’était un peu dur à gérer. Mais quand le moment est venu, on avait tellement d’adrénaline, qu’on a dit qu’on fonçait. »

« Nous n’étions pas encore sur un nuage. Nous n’aurions pas été satisfaits si nous avions manqué notre relais. Nous étions dans l’attente de cette course pour finir nos Jeux d’une bonne manière », ajoute Tremblay.

C’est Olivier Jean qui aura été le premier à suggérer cette stratégie, en 2005, auprès de l’entraîneur de l’équipe canadienne de l’époque, Guy Thibault. « Quand nous avons gagné l’or, les Américains ont gagné celle de bronze et Guy Thibault était leur entraîneur.

Quand, dans le feu de l’action – et en finale olympique en plus – Charles a fait semblant de prendre son relais, Guy a immédiatement compris ce qui se passait et il s’est dit : “Cri*&%, je le savais depuis quatre ans ! ” Après la course, il m’a félicité pour ma bonne idée. »